Tout étant dit les sœurs sortirent de la hutte et allèrent se préparer. Le trajet retour se déroula en silence. A l’approche de l’Arbre-Maison, ce silence tendu n’était plus supportable. Imala émit : « Veena… ». Loin de ralentir, celle-ci accéléra.

« Sor’a, peux-tu m’accorder l’aide d’Urrh, s’il te plait… » émit Imala vers sa plus jeune sœur.

Sans un mot échangé, Urrh prit la suite de Veena.

Si Sor’a était l’oreille du cœur de ses sœurs, Imala s’efforçait (s’imposait aurait dit Marv’) d’être le soutien indéfectible de leurs âmes. Imala saurait élucider ce qui troublait Veena et la raisonner. Ensuite Sor’a la réconforterait de son mieux ou la ferait rire.

Une étrange traque s’ensuivit. Dans ces moments-là, heureusement rare, Veena, en surcharge de sensations, se coupait de tous (ses Liés) et toutes (ses sœurs).

Avançant à travers la forêt avec l’agilité du puma, elle ne dut qu’à son œil de rapace d’apercevoir Urrh à sa droite et volta à gauche. Elle entendit Imala arriver de ce sens et voulut accélérer encore quand Shad le loup gris surgit, tête haute et queue dressée juste devant elle. Imala arriva de derrière. Pas même essoufflée, Veena s’écroula sur la mousse recouvrant les racines du hêtre le plus proche.

« Tu peux rester mutique Veena…Je te sens »

Veena ne releva pas la tête. Toutefois Imala savait qu’elle l’avait ferrée.

« Je suis Louve, je te rappelle. Mon lien avec Shad est ancien. Si tu peux utiliser à loisir la vision de Yick, je peux faire de même avec chaque sens que m’offre Shad »

Le loup ouvrit la gueule laissant voir sa langue enroulée. Sa façon de sourire. Il approuvait sans réserve.

Veena savait qu’elle allait devoir expliquer les effluves de panique qui sourdait de ses pores depuis la discussion avec le chaman.

« Tu ne seras pas seule »

-Je sais Imala répondit-elle enfin. Ses Liés se ruèrent dans la brèche, sans un mot, juste présences réconfortantes, irradiant leurs confiances en leur Liée.

-Non, tu ne sais pas. Tu crois tout encaisser toute seule. Sache que nous éprouvons une parties de tes ressentis. Je ne sais pas comment tu fais pour gérer çà à haute dose au quotidien…’

Veena haussa un sourcil :

-Tu ne me l’avais jamais dit.

-Ai-je besoin de dire à ma tête de remplir mes poumons. Quand j’ai eu besoin de ta force pour aider Sor’a lors de la Danse, crois-tu vraiment que c’est ta seule empathie qui t’a permis de le deviner ? N’aurais-tu pas plutôt aperçu l’esprit pollué ?

C’était vrai. En y repensant, Veena n’avait jamais dit à Imala qu’elle percevait, grâce à elle, les esprits ni qu’elle entrevoyait les motifs de la Vie dans la Danse de Sor’a.

-Je ne suis pas une meneuse Imala. Leurs pensées vont se concentrer sur moi, leurs ressentis directement me toucher…Je suis une éclaireuse, une rabatteuse. Tu es la guide et Sor’a la Danseuse.

Un grondement de Flin dans son esprit lui fit comprendre qu’il n’appréciait pas cette réduction.

-Veena ! Tu es la Chasseresse. Tes capacités sont connues de tout Voyemont et probablement même de tous les Yorubeks. Qui sait si même les Dourouz ne le savent pas. Je serais la voix de la diplomatie, si nécessaire, dans ta tête. Et Kelpi seras ton guide là-bas, tu le sais aussi bien que moi. Sans le moindre doute, ils savent que tu es la Liée du Grand Dauphin Blanc qui vit dans le Fleuve pour toi…N’as-tu pas confiance en nous ?

Une attente résonna sur le fil de son Lien tendue loin vers le fleuve.

-Je me rends. Merci Kelpi, merci Imala…Et merci à toi aussi Sor’a…Oui, oui, je te sens dans un recoin de ma tête !

***

A l’arbre-maison, Sor’a désormais souriante bataillait avec Ptor.

« Je préfèrerais que tu restes ici pour veiller sur la Forêt

-Tu trouves que je suis un gros lourdaud encombrant

-Arrghh ! Ptor ! Devons-nous jouer cette scène jusqu’au bout ?

-C’est sa scène, émit Urrh

Sor’a acquiesça et partit vers la grotte de Ptor. Elle ne se trouvait plus entre les racines de l’Arbre-maison. Ptor n’avait plus du tout le gabarit d’un ourson. Elle y entra évitant les os des pauvres victimes de l’appétit de l’ours ainsi que sa réserve de baies.

Les oreilles basses, l’énorme ours brun l’attendait.

-Ptor, mon merveilleux ami, je t’emmènerais si je le pouvais

Ptor lui tourna le dos.

- Ok, ok. Un ours de ta dimension près de Greywater sèmerait le trouble parmi ces pauvres ignorants Dourouz …et parmi les pêcheurs connaisseurs vu ton appétit ! (Sor’a visualisa l’image de Ptor devant un filet plein de poissons avec un sourire sur les lèvres. Les trésors de diplomatie d’Imala ne suffiraient pas à contraindre Veena de vivre cette expérience) Et comme Shad et Flin vont venir discrètement, je préfère laisser un gardien au village. Yick va probablement rester aussi de manière à faire le lien avec la corneille du chaman.

Elle fit passer sa main dans l’épaisse fourrure de la première créature dont elle eut vu les motifs (des spirales brunes, des arcs verts, voilà les couleurs de Ptor pour elle).

-Tu es mien Ptor et je suis tienne depuis que je respire.

Ptor cessa de bouder, se tourna et ouvrit grand les pattes supérieures. Une accolade monstrueuse étreignit Sor’a qui le lui rendit si ce n’est d’une force comparable du moins de toute son âme.

-Le Maitre de la Foret m’avait demandé de rester, bougonna la boule de poils de deux mètres au garrot

-Bougre ! Tu me fais une scène alors que le Grand Cerf t’a confié une mission, râla Sor’a. Mais ce n’était que pour la forme. Son Ours allait lui manquer même pour trois jours.