Une fois que Veena eut quitté la clairière, non sans un feulement rauque de Flin, l’ours retira sa pesante patte du dos de Sor’a. Se relevant péniblement, totalement consciente de l’empreinte de cinq griffes sur sa peau, Sor’a ne comprenait plus rien.

Colibri, loutre et ours se taisaient laissant leur Liée humaine mesurer ses actes.

La colère était toujours là. Soutenue par les palpitations rapides de son cœur. Affaiblie par la honte.

Le puma de sa sœur était sorti en plein jour pour protéger Veena…d’elle ! Se rappelant la vision fugitive d’un Urrh déséquilibré, elle aperçut son aile maintenue à distance de l’épaule. Ne lui épargnant rien, sa mémoire lui montra la gifle qu’elle lui avait assenée pour pouvoir vomir sa diatribe sur sa sœur. Elle tendit la main vers Silk qui s’approcha en tentant de ne pas faire chuter l’oiseau-mouche de son échine. Urrh se détourna, toujours sans émettre une pensée vers elle. Urrh l’infatigable causeur, l’amuseur du quatuor.

‘Je t’ai blessé Urrh. Pardonne-moi. Je vais te soigner.’

Urrh recula devant la main qui se tendait à nouveau.

Silk se fendit d’un laconique ‘Maitre soigneur réparer Lié de l’Air’ accompagné d’une image de la hutte d’Apponi, maitresse soigneuse de Voyemont.

Sor’a laissa retomber sa main et donna son accord mental à Silk qui avait déjà lentement amorcé un demi-tour en direction du village.

Sor’a leva les yeux vers son premier Lié. Ptor la regardait fixement, le derrière posé au sol, les pattes avant ballantes, silencieux lui aussi.

‘Que m’arrive-t-il Ptor ? Comment ai-je pu être aussi cruelle avec Veena ?

- Je ne sais pas Sor’a. A un moment je me suis dit que ce n’était pas vraiment toi, et pourtant ces pensées je les connais, en moins violentes. C’était toi, Sor’a. Une toi que je ne connaissais plus et que je n’ai pas aimé.

La brûlure des griffes dans son dos n’était rien face à la douleur qu’occasionna cette pensée de cet être présent à chaque seconde de sa vie.

Ptor poursuivit :

- Dans une fratrie, tous grandissent ensemble puis chacun vit sa vie. Tu l’as bien vu avec la dernière portée de Silk à l’automne, chacun est parti vivre sa vie.

Un tremblement agita les lèvres pincées de Sor’a.

- Pas chez les hommes.

-Si Sor’a. Même chez les hommes. Maitresse Apponi a une sœur : une autre femelle née un an après elle et celle-ci est parti vivre au-delà de la forêt, dans un village à trois vallées. Elles se voient très rarement, toujours avec un plaisir évident.

- Apponi et sa sœur ne sont pas les Trois. Elles n’ont pas notre lien, ni notre mission.

- Tes sœurs ne sont pas à toi. Peut-être qu’un jour prochain vous aurez une grande mission. Les missions ont un jour une fin. Ceux d’entre nous qui seront encore debout devront vivre leurs vies.

Sor’a baissa la tête.

‘Si la vie est toujours mienne, je serais là Sor’a. Et Silk. Et Urrh quand il t’aura pardonné.

Sor’a fondit en larmes et se blottit dans les pattes, enfin mobiles, de son ours, qui l’étreignit doucement tandis que sa colère devenait cendres amères.

Chaque fois que Ptor pensait que sa Liée s’apaisait, l’image de Veena à terre traversait leurs esprits partagés et les sanglots reprenaient. De très longues minutes plus tard, l’ours rompit le contact et transmit ‘Tu n’es plus un ourson Sor’a’ avant de s’enfoncer de son pas pesant dans les taillis.

Sor’a resta seule. Un contact mental de Silk la rassura sur l’état d’Urrh.

Dos à un immense hêtre, Sor’a essaya encore de comprendre cette crise à la lumière des pensées de Ptor.

Elle avait été colérique enfant disaient les Gardiennes de vie. Le lien avec Silk avait apaisé son tempérament, une faveur de loutre.

La surprise de cette convocation avait été l’étincelle. Non. La colère couvait déjà. Depuis le silence de Imala sur son chaman. Silence qu’on lui avait imposé de respecter.