Au crépuscule du troisième jour après l’annonce du drame, Imala entendit craquer une brindille à trente mètres derrière elle. Le chemin herbeux était pourtant peu propice à un tel bruit. Puis son odeur lui parvint. En pleine conscience du présent depuis une heure, ses sens loup et chouette augmentaient ses pauvres capacités humaines. Nared n’était vraiment pas un chasseur : marcher sur la seule brindille du chemin.

- Si ce sourire est pour moi, c’est que ta transe n’est pas bien profonde, dit-il d’un ton qui se voulait professoral alors que son propre sourire y perçait.

Ainsi, ils ne feraient pas semblant que rien ne s’était passé. Imala s’était demandé si ce ne serait pas plus simple. Contournant la tortue aquatique d’Imala par la droite, il s’assit en tailleur à une longueur de bras. Son pélican piqua vers le Lac Nuit et en ressorti avec un poisson frétillant.

- Il aurait fallu une transe bien profonde pour manquer ton approche.

- Et oui. Je suis un lourdaud sans finesse près d’une Liée loup. Comment vas-tu Imala ?

Elle ouvrit les yeux et le regarda attentivement. Ses yeux verts enfoncés sous une arcade broussailleuse luisaient d’une douce attention. Son nez droit évoquait plus le faucon que le pélican auquel il était lié, et dont il n’avait heureusement pas le double menton. Ces pensées la surprirent avant de sentir le rire de Shad. Son loup les lui avaient probablement inspirées. Il l’avait détendu.

‘Merci Shad’

- Je vais bien. Est-ce mon maître qui s’inquiète de mon état ou as-tu déjà croisé l’une de mes sœurs ?

Il se passa le dos de la main sous son menton barbu.

- J’ai croisé Veena. Elle m’a dit que tu avais eu un malaise le jour du drame de l’Oreille Percée. A son ton, je me suis imaginé quelque chose de grave… Tu sembles allait bien.

- Je vais bien. Je ne sais pas ce qu’il s’est passé ce jour-là. Je me suis juste réveillée avec mes trois liés chevillés à l’âme et épuisés.

Après un court silence, elle ajouta :

- Ton voyage s’est déroulé sans encombre ?

- Oui. Nous devons en parler, tu sais. Nous allons passer plusieurs semaines ensemble.

Il attendit une réponse. Imala le dévisageait silencieuse.

- Tu ne sais donc pas quoi en dire.

Elle retint sa respiration.

- moi non plus, poursuivit-il. C’est aussi nouveau pour moi que pour toi.

Enfin un petit sourire étira les lèvres fines d’Imala.

-Quelle étrange situation… Je t’écoute Nared.

- Je t’entends Imala. Tu es mon âme-sœur et une apprentie chamane.

- Et tu es mon âme sœur et un chaman accompli.

- Voilà ce que nous sommes. Et rien de moins. Et rien de plus. Nos corps et nos vies appartiennent à nos peuples et aux Esprits. J’aimerai que nous profitions du plaisir de partager du temps sans nous appesantir sur ce que nous ne serons pas. En tant que chamans, nos moyens de partage sont au-delà du commun. Je crois que nous trouverons notre bonheur lors de rituels chamaniques comme lors de la vie simple des voyageurs.

- Je le souhaite également, ajouta Imala en plantant ses yeux chocolat dans ceux de ‘son chaman’ comme l’appelait ses sœurs.

-J’imagine que tes sœurs sont au courant.

Hochement de tête et léger froncement de sourcils lui répondirent.

- La plus jeune m’a l’air un peu coriace.

Un franc sourire plissa les yeux d’Imala, miroir de la malice qui encadrait de légères pattes d’oies ceux de Nared.

- Tu n’en as pas idée.

- Mon ancien maitre l’a également deviné.

- Je n’ai pas essayé de le lui cacher. Mon aura a probablement était troublée.

- Malgré son air inattentif, il est perspicace. Il l’aurait rapidement compris. Et il connait notre, car je ne doute pas du tien, grand respect pour les règles édictées par les chamans depuis les premiers temps du pacte.

Ils s’observèrent encore quelques minutes, rejoint en silence par Shad qui renifla Nared et effleura son épaule de la truffe, puis Alya qui se percha sur l’épaule d’Imala et tourna sa tête à quatre-vingt-dix degrés. Le floc-floc des pieds palmés du pélican gris s’approchèrent.

- Nared, je te présente Shad mon loup, Alya ma chouette et Marv’ ma tortue mâle. Ils sont ravis de te rencontrer.

- Imala, je te présente Kwash mon pélican. Il hésite encore. Je suis sûre que tu gagneras son affection avec le temps. C’est un misanthrope.