Arrêt de bus

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Le silence me sort de ma somnolence...je n'entends plus les miaulements du chat. Il a dû s'habituer. Rester en cage dans le bus n'est pas le plus confortable pour lui, je l'admets, mais le vétérinaire est au bout de la ligne, et la voiture en panne. Alors le bus, qui passe juste en bas de chez moi, m'a paru parfait.

Mais c'est bizarre, non seulement je n'entends plus le chat, mais je n'entends plus rien du tout. Le bus s'est-il arrêté? Et si j'étais coincé au dépôt, que j'étais resté trop longtemps endormi?

L'adrénaline me fait ouvrir les yeux. Je dois rêver. Tout le monde est là, je suis bien dans le bus, mais tout s'est arrêté. Nous sommes à l'arrêt "Jardin de pierre" et plus rien ne bouge. Plus aucun son ne se propage. Plus aucun mouvement n'aboutit. Mais que s'est-il passé?

Dans le bus, nous sommes quatre, avec mon chat et la conductrice. Personne ne réagit, tout semble figé. Par la fenêtre, ce n'est pas mieux. Le quadra branché en train de traverser la rue est en plein milieu, en pleine transgression de sa vie linéaire, la fleuriste sur le trottoir ouvre la bouche d'un air stupide, les cheveux au vent d'une jeune fille ont l'air scotché dans le décor.

Je me redresse, me pince et tente de mieux regarder. J'ai une bouteille d'eau dans mon sac à dos, je m'en sers une gorgée. Je passe mon index à travers la cage du chat mais rien ne se produit.

Mais attendez une seconde...Je bouge moi! Je peux me déplacer dans cet environnement qui s'est arrêté pendant mon sommeil! Etrangement, je n'ai pas peur. Je suis confronté à la chose la plus inexpliquable de toute ma vie, en dehors du cycle d'humeur de ma petite soeur bien sûr, et je n'ai pas peur. Je devrais être terrifié par cet arrêt sur image, mais tant que moi je bouge, aucune raison de s'inquiéter. Je devrais même en profiter!

Les questions affluent comme au réveil. Suis-je le seul à pouvoir bouger? ça ressemble donc à ça le silence absolu? On devrait apprendre à faire moins de bruit...Mais au fait...

"Hé ho!" . J'entends bien ma propre voix. Même si personne ne réagit, je me reconnais et ça me fait sourire. Comprendre ce qui se passe? Pour ça, il va me falloir sortir. Heureusement pour moi, le bus était arrêté, les portes ouvertes pour laisser sortir un retraité qui revient du centre-ville.

Je fais quoi du chat? Dans le doute, je le prends avec moi. S'il venait à se réveiller et qu'il se retrouvait seul dans le bus, j'aurai du mal à justifier de l'avoir abandonné. Heureusement pour moi, il tient dans mon sac à dos, je n'ai pas à trimballer sa caisse. Je la sors du bus, attrappe le chat, le met dans mon sac en laissant une ouverture et laisse la caisse derrière l'arrêt. Quand la marche du monde reprendra, j'essaierai de venir la récupérer.

C'est quand même bizarre tous ces gens, là, figés, comme stoppés en plein élan. Je m'approche de l'un d'entre eux, effleure son épaule. Ils sont bien réels, je peux les ressentir. Ils n'ont même pas l'air morts, simplement...sur pause! C'est comme si le monde était régi par un gigantesque télécommande qui venait de tomber en panne de piles. Quant à savoir pourquoi moi j'ai échappé à ce truc, il me faudrait bien un indice, j'avoue.

Mais bien sûr! Pourquoi n'y ai-je pas pensé plus tôt? La stupéfaction m'a empêché de trouver mes automatismes. Je sors donc le portable de ma poche. Evidemment, pas de réseau. Même l'horloge ne fonctionne plus. Mais c'est quoi ce bordel? Je suis victime d'un black out mondial ou quoi?

Le golden boy au milieu du passage piéton a une grosse montre à son poignet. S'il n'était pas aussi cliché, celui-là, je croirai presque à un personnage de fiction. La montre est elle aussi arrêtée. 10h23.

Mais il est 10h23 depuis combien de temps déjà? Je ne comprends rien. Pourquoi personne ne bouge? Pourquoi n'y a-t-il plus aucun bruit?

Je regarde partout autour de moi, affolé tout à coup. Il faut que je me calme. Je sens bien que je respire beaucoup trop rapidement. Je ferme les yeux quelques instants, trouve un banc sur lequel m'asseoir. Je pose mon sac à dos noir à côté de moi et tente de reprendre le contrôle de mes émotions. Inspirer, respirer, surtout garder les yeux fermés. Ne pas regarder ce monde que je ne reconnais plus. La tête dans mes mains, je tente de retrouver le contrôle.

Quand on ne comprend pas les choses, il faut simplement les accepter comme elles viennent. C'est ce que me dit toujours mon amie Sarah. Ok. Alors il me faut juste accepter que je suis dans un monde qui s'est arrêté, que je ne peux pas savoir pourquoi, que je ne sais pas si d'autres personnes sont dans le même cas que moi et tout ceci sans aucun moyen de communication.

J'ai besoin d'un café. Puisque rien ne peut pas m'arrêter, je décide d'aller dans le premier magasin de la rue. Les objets sont-ils figés ou puis-je avoir une action sur eux? C'est le moment de le savoir.

Un centre commercial avec un coin traiteur et café. Exactement ce qu'il me faut. Je pousse la porte transparente et ...elle s'ouvre! C'est déjà un bon début. Le chat pèse un peu sur mon dos, mais je ne me vois pas l'abandonner ici. Evidemment, si la situation a tendance à durer, il va falloir que j'y réfléchisse sérieusement.

La machine pour se servir un café a l'air de fonctionner, me voilà donc à introduire un jeton de caddie trouvé dans mon portefeuille pour me servir un café. Bonne nouvelle, il est chaud. Tout ne va pas si mal finalement. Je complète avec un croissant pris sur le comptoir et me pose quelques minutes le temps d'observer autour de moi.

C'est incroyable toutes ces lumières artificielles. Je suis finalement bien heureux de ne pas avoir à supporter ce bruit auquel nous sommes tellement habitués qu'il semble ancré dans nos oreille : le brouhaha mélangé des "bips", des voix d'enfants qui font des caprices, de la musique commerciale omniprésente. Finalement, ce silence m'apaise plus qu'il ne m'angoisse. Peut-être que je suis en plein rêve et que mon inconscient cherche à me dire que je devrais me mettre sur pause. Ce n'est pas le monde autour de moi qui devrait s'arrêter, mais moi qui devrais ne plus courir partout. Message reçu!

Quand même, il serait présomptueux de croire que l'Univers s'est arrêté simplement pour titiller ma conscience...Heureusement pour moi, la gravité est toujours en place, seul le temps ne s'écoule plus. Et tout le monde est figé. J'aurai vraiment du être plus attentif en cours de physique, ça m'aiderait peut-être à comprendre où est le problème. Bref.

Mon petit déjeuner dans l'estomac, je me demande si je n'ai pas besoin d'autre chose. C'est drôle, on s'imagine toujours ce que l'on prendrait si tout était gratuit, à portée de mains. Evidemment, on ne s'imagine pas alors que tout se fige autour de nous et que la seule interaction possible avec nos semblables serait de les effleurer ou de les pousser pour se rendre compte que nous ne sommes pas victimes d'hallucinations.

Je prends quand même un paquet de biscuits, une banane et une bouteille de jus de fruit au cas où. Je stocke le tout dans une poche et sort du supermarché. Un vélo. J'irai plus vite si je me déplaçais à vélo. Je pourrais au moins aller jusqu'au restaurant de mes parents pour voir si eux aussi se sont figés.

Au bout de quelques centaines de mètres, un magasin de cycles. Mon choix se porte sur un VTT (on ne sait jamais hein), plutôt léger, avec suffisamment de vitesses pour me permettre d'emprunter les pentes de la ville. Je promets à moi-même de le ramener quand le Temps sera rétabli. Je pose le cas à dos dans le petit panier à l'avant du vélo (autant s'équiper) et le reste dans un nouveau sac de sport qui me tend les bras avant de quitter la boutique. Me voilà équipé pour le trajet.

Il est étrange de passer au milieu des voitures, le temps inchangeant, sans mouvement de vent. Et ce silence. Ce silence qui pourrait être comparable à celui de l'espace, où personne ne vous entend crier...Je pousse moi-même un grand cri en dépassant les voitures à l'arrêt, comme pour me démontrer ma propre existence.

Je déambule dans un monde qui ne bouge plus. Serais-je privilégié? Est-ce que je ne suis que le spectateur de cet environnement que je ne connais que trop, pour passer devant tous les jours? Je fais partie de ceux qui pensent que rien n'arrive par hasard. Il y a donc forcément une leçon à tirer de ce moment. D'ailleurs, ça veut dire quoi un moment?

Si c'est éphémère, ça va passer, le monde va se remettre en marche. Mais le concept d'éphémère dans un temps qui ne se déroule pas, je ne sais pas très bien à quoi ça renvoie. Bon, je vais me donner la migraine si je continue à réfléchir comme ça. En plus, je ne suis pas certain que cela serve à grand chose.

Après dix bonnes minutes passées à slalomer entre les voitures et observer les passants sur les trottoirs, j'arrive devant le restaurant familial. Pas de miracles, ici aussi, tout est figé.

Je pousse la porte, laisse mes sacs sur une table et file directement dans l'arrière cuisine. Machinalement, je tourne le bouton du gaz. C'est pas vrai! Il fonctionne! Pourquoi est-ce que je peux avoir une action sur les choses si tout est figé? En me passant la main dans les cheveux, je me rends compte que plus le temps passe, moins je comprends ce qui m'arrive. Parce qu'il est évident que je suis en train de vivre quelque chose qui m'est destiné, où moi seul agis.

Je cherche des yeux mes parents. Mon père a dû aller au marché pour concocter la carte du déjeuner. Ma mère est là, les yeux fixés sur son portable. Tiens, et si je jetais un coup d'oeil? Je sais, c'est impoli mais après tout, personne n'en saura rien. A moins que...A moins que tout ceci ne soit qu'une farce et que le monde me regarde! Un remake de "Truman Show" que je n'aurai pas vu venir...Dans ce cas, ils sont rudement forts parce que c'est très réaliste! Bon, qu'est-ce que je fais? Allez, je regarde. Si ça se trouve, c'est mon père qui lui dit où il en est. Et puis, peut-être que ça la fera tiquer que je regarde dans son téléphone...Alors, tout se remettra en mouvement et l'on rira tous ensemble. Si seulement...

Je soupire bruyamment et avance mon bras vers son téléphone. Aucune réaction. Même pas un clignement d'oeil, rien! Pour en être certain, je passe ma main plusieurs fois devant ses yeux et même réaction. C'est désespérant. Je m'empare donc du téléphone.

Evidemment, il est verrouillé. Mais j'ai vu ma mère faire tellement de fois le geste du "Z" que je le déverrouille sans perdre un instant.

Dans les messages, rien de particulier...Des échanges avec moi, mon père, ses copines, ma grand-mère...Et si j'allais voir dans ses appels? Sur Facebook? Dans les photos?

Je m'arrête quelques secondes. Est-ce que j'aimerai que l'on fouille ainsi dans mon téléphone? Pour chercher quoi au fait? La cause de ce chaos n'est certainement pas enfoui dans le portable de ma mère! Je deviens complètement absurde.

Est-que je peux téléphoner? Mais bien sûr, c'est par ça que j'aurai du commencer! J'ai tellement l'habitude d'avoir mon téléphone avec moi pour faire tout autre chose que j'en oublie parfois qu'il s'agit avant tout d'un objet pour téléphoner. Sans grande conviction, je tape le 112. Evidemment, le réseau est coupé. Instinctivement, je me mets à photographier autour de moi. Comme ça, si tout reprend, si enfin le monde se remet en marche, tout le monde sera obligé de me croire. Les grands scientifiques devront répondre de pourquoi je suis resté bloqué seul dans une faille temporelle. Est-ce que je suis condamné à errer parmi mes semblables sans autre disctraction que de les observer?

Je décide d'ouvrir mon sac à dos et de déposer le chat, là, dans la cuisine. Si ma mère se réveille et le trouve dans ses pattes, je suis bon pour me faire crier dessus. Peu importe. Je suis désespéré, et ne comprends rien. D'ailleurs, peut-elle se réveiller? Et s'ils étaient tous là, dehors, en état de mort cérébrale? Si un gaz paralysant bloquait tout le monde et que pour une raison biologiquement inconnue, j'étais le seul à échapper à ce phénomène? Mais, attendez...

Si quelqu'un m'observe, je devrais lui parler. Non, je ne veux pas devenir une bête de foire que l'on examine comme un rat de laboratoire et que l'on exhibe pour vanter les mérites d'un scientique trop orgueilleux.

"- hé ho, y'a quelqu'un?" J'ai beau le hurler plusieurs fois dans toutes les directions, personne ne me répond. Même pas d'écho pour ma voix. C'est comme si...j'étais pris dans un écran sauf que manifestement, je ne suis pas le spectateur. Qui peut s'amuser ainsi? Qui a le pouvoir d'enfermer quelqu'un dans une faille spatio-temporelle?

Je prends un papier et m'asseoit dans la salle du restaurant. Il faut que j'écrive tous les faits, comme un détective. Que je réflechisse à ce qui m'arrive. Que je détecte ce qui ne va pas.

Ok. Donc j'étais dans le bus. J'emmenais le chat chez le vétérinaire, dans sa caisse de transport. Le bus est passé à l'heure. Je me suis installé au milieu, pour ne gêner personne car le chat miaulait beaucoup et il valait mieux que je laisse sa caisse directement par terre. Il n'y avait pas grand monde à cette heure-ci (en pleine semaine, au milieu de la matinée) : une vielle dame et une femme avec son enfant. Alors que je pouvais m'attendre à des récriminations de leur part, elles ont trouvé Cookie (mon chat) "trop mignon". Elles le louaient tellement qu'elles couvraient presque ses miaulements. Je me souviens avoir pensé que j'aurai mieux fait de prendre la voiture.

Je me souviens avoir pensé qu'elles m'ennuyaient. Je me souviens surtout avoir pensé que je serai mieux seul avec mon chat. Perdu dans mes pensées, j'ai fini par m'endormir. Et si c'était là que tout avait basculé? Si un mauvais génie m'avait entendu et m'avait laissé seul, dans un monde bloqué, SANS MON CHAT EN PLUS! Ecoute, le génie! Si la prochaine fois, tu veux m'aider, écoute ce que je te dis jusqu'au bout!

Là, je me rends compte que je parle à voix haute. Génial! En plus de ne rien comprendre, je commence à devenir fou. Et puis après tout, pourquoi pas. ça me permettrait de mieux tenir le coup. Et mon chat, bordel. Vous auriez au moins pu me laisser mon chat! Machinalement, je me relève, avec une envie de tout casser et je sors de là. Quitte à être seul, autant pour profiter.

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