Chapitre 9
« Maintenant, il me faut la volonté de tenir debout. Et te voir n’arrange rien. » J.Henley
La sonnerie brutale de mon réveil m’annonçant les six heures et demi me sort brusquement de mon sommeil, et je sens déjà qu’une migraine risque de se pointer dans le courant de la journée. Rabattant ma couette, je m’étire avec paresse nullement pressée de me préparer et surtout, d’aller au lycée. C’est déjà agaçant de devoir se lever pour assister aux cours mais c’est encore plus pénible avec ce qui m’attend… Je n’ai que peu dormi, mon esprit ressassant encore et encore cette histoire. Hier était ma seule journée à moi mais malheureusement, rien ne s’est déroulé comme je le souhaitais. La douleur est bien là, présente comme un trou béant à l’intérieur de ma poitrine. Allez du nerf ! Dans un profond soupir, je me lève bien malgré moi et ouvre doucement la porte de ma chambre avant de me diriger dans la salle de bain. Je revêts lentement mon uniforme, boutonnant ma chemise d’un geste lent tout en fixant ma jupe légèrement froissée.
J’ai l’horreur des uniformes scolaires depuis le collège, surtout du fait que la jupe est trop courte… qui est totalement inutile et trop gênante à mon goût. C’est simplement utile pour les voyeurs et les pervers, ils peuvent clairement se rincer l’œil à loisir de cette manière ! Je ne parle même pas de mon prof de mathématiques, celui-là… c’est un sacré phénomène. Un rapide coup d’œil à mon reflet suffit à me renvoyer l’image de mon teint terne et des cernes creusant le dessous de mes yeux mais peu importe, personne n’y fera attention de toute façon. J’éteins la lumière en sortant de la pièce et descends rapidement les marches pour rejoindre la cuisine en silence. Mon poing se serre sur la première pomme dans la corbeille et je rejoins le hall, avant d’enfiler ma veste et mes chaussures. Heureusement que je ne croise pas ma mère le matin, je sais qu’elle déteste que je parte sans manger mais rien n’y fait, je n’arrive pas à avaler quoique ce soit. Puis j’attrape mon sac de cours et ouvre la porte, avant de la fermer en prenant soin de ne pas la claquer trop fort.
Par chance – ou non – le trajet jusqu’au lycée n’est pas long, à peine à une dizaine de minutes à pied. J’ai toujours détesté arriver en avance et ce n’est pas aujourd’hui que cela va changer. Un coup d’œil à ma montre me montre qu’il me reste encore une demi-heure avant la sonnerie, alors autant faire un détour pour passer le temps. Je commence à marcher les yeux rivés vers le sol, songeant à ma future journée. L’éviter le plus possible est l’unique chose que je puisse faire pour ne pas y penser, ou moins en tout cas. Au bout de quelques minutes je traverse rapidement la route et je sens mon cœur se serrer faiblement dans ma poitrine, mon regard cillant quelque peu. J’adorais cet endroit, oui je l’adorais tellement…
Aujourd’hui, je ne peux que le détester.
Serrant la poignée de mon sac, je m’avance lentement et me rapproche de la rambarde avant de poser mon regard dans le vide. Ce lieu est généralement fréquenté lorsqu’il fait beau et c’est bien pour cela que j’y passais le plus clair de mon temps libre à y venir avec lui. Même s’il y avait du monde, à mes yeux il n’y avait que lui. C’est assez fou, à peine deux semaines et cet endroit me paraît être la pire place où je souhaite être ! Une légère brise fouette mon visage et balaye mes cheveux, tandis que je sens mes yeux s’embuer doucement. Etant petite, je venais souvent ici avec mes parents. Combien de fois sommes-nous venus ici lui et moi, des dizaines, des centaines de fois ? Peu importe d’en connaître le nombre exact, ça n’a plus d’importance aujourd’hui.
Le bref éclat du cadran de ma montre me fait légèrement baisser les yeux vers sa direction et j’en fronce subitement les sourcils, ne m’étant visiblement pas rendue compte de l’heure qui tournait. Mes cours commencent dans dix minutes, alors inutile de préciser que je vais devoir user de toute l’énergie dont je dispose pour courir aussi vite qu’il m’est possible de le faire ! Je me mets subitement à courir, calant au passage mon sac sous mon bras. Si j’arrive à arriver avant la sonnerie ça tiendra purement du miracle ! Mon souffle est court, mes jambes me font souffrir n’étant absolument pas habituées à un tel rythme d’endurance mais je continue de courir, priant mentalement pour ne pas tomber en plus sur le chemin, maladroite comme je suis.
Apercevant enfin les grilles du lycée j’accélère la cadence de mes pas, traversant la route sans prendre la peine de regarder avant. Le klaxon d’une berline noire se fait entendre parmi la cohue de la circulation mais je n’y fais pas attention, seule la sonnerie stridente du lycée m’importe pour le moment. Parvenant à me frayer un chemin parmi les élèves, je me rue vers les casiers pour enfiler mes chaussures de classe avant de rejoindre les escaliers menant à ma salle ; je les monte à toute hâte, n’en pouvant presque plus. Mon épaule cogne même violemment contre celle de quelqu’un mais je n’ai pas de temps pour des excuses en bonnes et dues formes. Quelques mètres me séparent de ma salle lorsque le prof de mathématiques débarque dans le couloir au même moment , m’octroyant un regard réprobateur valant bien plus que des paroles. Peinant pour reprendre ma respiration, je me redresse un peu pour m’incliner en guise d’excuse non sans me forcer.
- Alors Henley , en retard ? rétorque sa voix sèche. La sonnerie est déjà passée.
— Veuillez m’excuser, j’ai eu un contretemps, réussi-je à répondre en grinçant de la mâchoire, avant de me redresser d’un geste lent.
— Je n’apprécie pas tellement votre ton Henley . Un contretemps hein ?
— Et vous alors, vous n’êtes pas en retard peut-être ? murmurai-je d’un regard mauvais, avant que ses yeux ne cillent de fureur.
— Tolérez votre comportement si vous ne voulez pas être collée !
— Oui oui…
— Parfait ! Si ça vous fait plaisir d’être collée à peine la semaine commencée, c’est votre problème ! On règlera ça plus tard, maintenant filez en cours ! »
Je serre les poings avant de me décaler de sa personne, sentant la colère bouillonner nettement en moi. Lui et moi sommes parfaitement incompatibles, je crois bien que je n’arriverai jamais à me faire à l’idée de devoir le supporter jusqu’à la fin du lycée.
- Ah Mckinney , en retard vous aussi ! Le réveil a été difficile peut-être ?
— Désolé, j’ai eu un contretemps.
— Peu m’importe, dépêchez-vous d’aller en classe ! »
Ne pas me figer, continuer à marcher. C’est comme si mon cerveau venait de subir un électrochoc à l’entente de son nom, et surtout de sa voix. Forçant mentalement mes membres à avancer, je lutte pour ne pas me retourner et entre dans ma salle pour me diriger vers ma place. Mon cœur est sous le choc, même si je n’ai pas croisé son regard, entendre le timbre de sa voix m’a suffi. Dégoûtée également. Je sors mes affaires au moment même où le prof de japonais arrive et je me lève en même temps que les autres pour le salut matinal, avant que le prof ne nous dise de nous rasseoir. Il commence lentement à faire son cours et je tourne machinalement les pages de mon livre, écoutant sa voix d’une oreille distraite et nullement passionnée par ce qu’il dit ; ce n’est pas totalement inintéressant mais je ne suis plus d’humeur à faire l’effort de suivre. Même me forcer me semble être impossible, non, pas tant que mon esprit ne sera pas égaré comme il l’est actuellement.
Déjà depuis le collège, je n’ai jamais vraiment été passionnée par les études. J’ai toujours appris machinalement les leçons, par cœur ou non selon mes envies. Aujourd’hui, devoir assister aux cours m’est d’autant plus pénible que je n’ai guère le choix. Et ça ne serait pas autant une corvée si Lauren n’était pas une camarade de classe, encore plus si je n’avais pas à supporter ses perpétuelles brimades et cette manière dérangeante de toujours se foutre de ma personne. Inutile de se leurrer, elle doit certainement rire de moi tous les jours, elle et sa bande d’écervelées. Toujours à arborer un sourire triomphant, elle a de quoi puisqu’elle a eu ce qu’elle voulait à savoir lui. Leurs ricanements intempestifs sont encore plus insupportables, exécrables presque. Dire que nous débutons à peine la semaine me mine légèrement le moral, d’autant plus que nous avons sport en commun cet après-midi. Et me heurter à sa vue sans que lui ne me voie me semble insurmontable. Disparaître, j’aimerais simplement pouvoir disparaître. M’effacer sans que personne ne le remarque – et aucun ne le remarquerait de toute manière.
Oui, ça paraît tellement simple.
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