Chapitre 10

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Le cours passe calmement jusqu’à ce que la sonnerie salvatrice retentisse, réveillant les plus fainéants et me tirant quelque peu de mon ennui. La plupart des élèves sortent de la salle pour se dégourdir les jambes et j’hésite longuement, avant de me décider à rester sur ma chaise. Je n’ai pas envie de sortir, pour quoi faire et avec qui de toute manière ? Avant, je le rejoignais devant sa salle ou l’inverse, nos classes étant – pour ma plus grande joie – voisines. Autant dire que je n’ai vraiment, mais alors du tout, l’envie de sortir. Sortant mon baladeur de mon sac, je mets rapidement mes écouteurs et scrute la cour à travers la fenêtre, mes yeux se posant dans le vide. La solitude, c’est vraiment la pire des souffrances ; malgré moi les larmes perlent à mes cils et je n’ai pas le temps de m’en rendre compte qu’elles coulent déjà sur mes joues. Merde, je m’étais promis de ne pas pleurer au lycée pour ne pas lui laisser le loisir de me voir flancher. Me relevant brusquement, je sors de la salle en courant pour me diriger vers les toilettes et cachant mon visage de ma main, j’attends patiemment que la pièce soit vide pour fermer la porte et me regarder dans le miroir.

Ces larmes. Belle preuve de ma faiblesse, mais surtout de ma peine. C’est plus fort que moi, j’ai si mal que j’ai besoin de les faire couler, espérant furtivement qu’elles m’aideront à effacer la douleur qui me ronge de l’intérieur par la même occasion. Aimer sans recevoir en retour, c’est sans nul doute le cadeau le plus empoisonné qui soit. Je m’en souviendrai à l’avenir si ma route vient à croiser celle de quelqu’un. Appuyant sur le robinet, je laisse l’eau fraîche couler entre mes doigts et me rafraîchis brièvement le visage, frottant notamment mes yeux à m’en piquer. Un coup d’œil à la glace me suffit à constater avec horreur qu’ils sont toujours aussi rouges et légèrement gonflés, et je lâche un soupir, haussant les épaules avant de sortir un mouchoir de ma poche pour m’essuyer les mains. Et puis à quoi bon me cacher, ça m’est égal dans le fond si les gens se rendent compte de ma souffrance. Ils verront ainsi ce que je subis. À quel point il m’a fait du mal en me rejetant ainsi.

Ouvrant la porte, je commence lentement à marcher vers ma salle, les yeux rivés au sol et l’esprit en proie à ce souvenir maudit.

  • Tu es là !

En un instant mes pas se stoppent, ayant reconnu sans peine la voix de Lauren et signifiant autre chose par la même occasion. Bon sang, il est juste devant moi. Je serre à la fois les poings et la mâchoire et reprends ma marche d’un pas plus rapide, la tête encore plus baissée si bien que mon buste se heurte avec violence contre quelqu’un, nous faisant tous les deux tomber sous le choc.

  • Aïe ! grimaçai-je en massant le haut de mon front, paupières closes.

— Hum, désolé, répond mon interlocuteur dans un souffle en se relevant. »

Mon sang se glace à l’entente de cette voix si grave. Non, ça ne peut pas être lui… impossible. Osant à peine rouvrir les paupières, je lève doucement ma tête avant de constater avec soulagement que non. Un faible sourire baigne son visage tandis qu’il tend sa main dans ma direction.

  • Tout va bien, tu ne t’es pas fait mal j’espère

— Euh, non. Merci, soufflai-je en attrapant sa paume – agréablement chaleureuse en passant. »

Il me relève sans difficulté et je pars aussitôt m’être inclinée rapidement, ne le laissant pas le temps de me parler si c’était ce qu’il espérait. Inutile que je reste une seconde de plus dans ce couloir, j’éprouve déjà assez de honte comme cela. Mon regard vagabonde légèrement dans leur direction, Lauren me scrutant de son air dédaigneux alors que lui ne semble pas s’être aperçu de ma simple présence. Logique de toute manière, d’autant plus pénible aussi. Je retourne dans la salle et me dirige d’un pas mollasson vers ma table, songeant au cours qui doit se tenir – celui de maths. Le raclement de gorge du prof retentit subitement dans le silence et je lève vaguement un œil dans sa direction, croisant d’emblée son regard passablement furieux et détestable derrière ses lunettes sombres. Regard que je le lui rends bien, évidemment, et inutile de préciser que je suis pilé dans sa ligne de mire. Bonne pour aller au tableau quoi.

  • Prenez vos exercices pour aujourd’hui, lance-t-il à voix haute en balayant l’assemblée de son regard mauvais. Oh, Henley ! Au tableau et en vitesse ! »

Et la politesse dans tout ça ? Je n’espérais pas non plus des courbettes, mais un simple « s’il vous plaît » m’aurait suffi.

  • Je n’ai pas fait mes exercices monsieur, rétorquai-je en fixant mon cahier ouvert.

— Tiens donc ? Un contretemps pour les faire peut-être ? réplique t-il d’un ton faussement sarcastique.

Réprimant un rictus, j’ose lever enfin mes yeux vers lui et réalise qu’en effet, le sarcasme n’est pas une de ses prédictions. Dommage.

  • Au tableau Henley.

Je serre la mâchoire pour empêcher mon soupir d’agacement de franchir mes lèvres et me lève, fermant mon cahier et par la même occasion la page contenant ces stupides exercices. Oui, je n’aurais sans doute pas dû broncher et y aller directement, mais ça aurait été lui donner la satisfaction de pouvoir m’humilier davantage. Agacée, je monte l’estrade et m’empare de la craie blanche pour commencer à résoudre les équations totalement simplistes à mon sens, sous son œil noir. Si je n’ai pas répondu davantage, je n’en pense pas moins et l’air assassin que j’arbore renforce ce sentiment. J’ai plus l’impression qu’il me déshabille du regard, et paranoïaque ou non, c’est une sensation très désagréable. Me hâtant de terminer mes calculs, je repose enfin la craie et rejoins ma place sans demander mon reste, entendant au passage plusieurs ricanements émanant de l’autre côté de la classe. À nouveau je fais la sourde oreille, si ces filles ont un problème elles n’ont qu’à venir directement m’en parler en face ; je pourrais enfin régler mes comptes avec toutes ces garces, et surtout avec Lauren . Et quel beau rêve !

À mon grand soulagement le cours passe plus vite qu’à l’ordinaire et lorsque le bruit de la sonnerie parvient à mes tympans, je peux enfin soupirer d’aise. Allez, plus que quelques heures de calvaire et je pourrais rentrer chez moi. Fourrant mes affaires dans mon sac, je recule ma chaise et m’apprête à me lever, songeant vaguement à ce que je vais acheter à la cafétéria.

  • Une minute Henley ! J’ai à vous parler.

Incapable de m’empêcher de lever les yeux au ciel, j’inspire longuement avant de me lever en serrant l'anse de mon sac. C’est clair, ce type ne me lâchera pas tant qu’il n’aura pas eu la satisfaction de me faire la misère jusqu’au bout ! A peine ai-je fait quelques pas que je vois Lauren me jeter un regard narquois, avant de sortir avec sa bande de bécasses. Elle doit sans doute exulter à l’idée de me narguer cette connasse. Laissant son cas de côté, je m’approche d’un pas lent vers le bureau et me redresse quelque peu, tandis qu’il ne bouge pas d’un pouce. Ce dédain me fait légèrement froncer les sourcils, ayant horreur des gens qui me font poireauter pour rien. Au bout de presque deux minutes, il pose enfin son crayon et relève sa tête pour me lancer une brève œillade. Allez, j’ai faim bordel !

  • Vous ne vous demandez pas pourquoi je vous ai demandé de rester ? commence-t-il d’une voix réprobatrice.

— Non, murmurai-je à voix basse, priant mentalement qu’il me libère au plus vite.

— Vraiment ? C’est pourtant simple, je n’ai pas apprécié votre comportement de ce matin Henley . Vous semblez oublier que je suis votre enseignant et que vous me devez le respect.

— Je ne vous ai rien dit de déplacé, répondis-je en fronçant davantage les sourcils. J’étais en retard et je me suis excusée normalement.

— Peut-être, mais vous êtes partie alors que je n’en avais pas fini avec vous. J’appelle cela un manque total de respect.

— Et vous, vous trouvez ça normal d’envoyer les filles au tableau pour les reluquer ? »

Mon cerveau analyse subitement la phrase que je viens de rétorquer, qui a franchi mes lèvres sans que je ne songe à la ravaler. Un profond désarroi se lit sur son visage, sans parler de l’expression de colère qui semble le gagner à une vitesse folle. Merde, qu’est-ce qui m’est passé par la tête de lui balancer ça ?

  • Que… Mais pour qui vous prenez-vous ?! s’écrie t-il soudainement, se relevant d’un mouvement brusque et me faisant reculer sur le coup.

Vu la manière dont il vient de hurler cette phrase, c’est quasiment évident que toutes les personnes présentes dans le couloir ont du l’entendre ! Et si ses yeux fulminent, les miens lancent des éclairs.

  • Sortez d’ici ! Et je ne veux plus vous revoir dans mon cours !

Quoi ? Il plaisante j’espère ! Et les examens de fin de trimestre qui approchent j’en fais quoi ?

  • Mais, les examens… commençai-je.

— Je m’en moque, je ne veux plus de vous dans ma classe c’est compris ?! vocifère t-il.

Ce type… Non mais, quelle enflure franchement. Là c’est définitif, j’ai la haine pour la journée.

  • Très, répliquai-je sur le même ton en faisant demi-tour.

— Et ne prenez pas ce ton-là avec moi, ou je vous fais expulser de ce lycée sur le champ ! »

Largement énervée, je sors de la salle d’un pas rapide ignorant les regards ahuris qui sont braqués sur moi. Qu’il me vire tiens ! Ça m’ôtera une épine du pied comme ça ! Heureusement que c’est l’heure du déjeuner, je sais qu’il ne mange jamais dans sa salle. S’il avait été là, qu’aurait-il bien pensé ? Aurait-il pris ma défense ? Un rictus déforme mes lèvres à cette pensée, non, faut pas rêver ma pauvre.

C’est terminé tout ça.

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