¢нαριтяє ɪɪ : Un nuage de lait - partie 1
Je cours après ma cible. Je me délecte de chacun de mes pas. Ma course est légère, fluide. Je rattrape en un rien de temps la jeune fille essoufflée qui renifle, jetant des coups d'œil inquiet aux vitrines des magasins dans l'espoir que ses larmes ne se voit pas trop sur son visage. Peine perdue : ses cheveux sont collants d'eau salée, son mascara a coulé sur ses joues, ses yeux sont gonflés, bouffis, rougis. Et la morve colle toujours sur son pull vert et sur son nez devenu vermillon. J'esquisse un rictus moqueur. Les larmes sont mon domaine. Je vois la beauté qu'elles révèlent. Comme les horreurs. Et ces larmes-ci sont des larmes insignifiantes provoquées par une peine de cœur stupide. Elles seront vite séchées. Puis recommenceront à couler. Encore et toujours.
Mieux vaut aider cette jeune fille à sortir de ce cycle infernal rapidement. Plus vite elle comprendra vite qu'elle n'est pas faite pour l'Amour, plus vite elle économisera son maquillage et s'épargnera les migraines qu'entraînent les larmes.
Et je pourrais plus rapidement mettre fin à cette mission ridicule.
Elle entre dans un café en plaçant ses mèches devant ses yeux. La devanture est rouge, accueillante. "Café Holmes" est écrite en lettre blanche sur la façade vitrée. A travers celle-ci on voit quelques personnes déjà installées sur les sièges couleur cerise. Les conversations muettes vont de bon train.
Un endroit rassurant et sucré pour une amer peine de cœur, je songe.
Je rentre en passant à travers la porte vitrée aux couleurs vives.
Je déteste passer à travers les murs. Mais tant que je ne pourrais pas prendre consistance physique, je n'ai pas le choix. J'en viens presque à désirer qu'elle me remarque, cette fille stupide qui s'assoit sur une table au fond pour cacher ses larmes aux yeux du monde, commandant timidement un café avec un nuage de lait.
- Votre histoire doit être terrible pour que vous parliez aussi gravement du destin.
- Pas tant que ça, je répond avec un haussement d'épaule. La vie n'est jamais totalement tragique ni totalement heureuse. C'est justement pour ça que l'on ne lui pas donné le nom de Souffrance ou de Joie. "
Je regarde, le bar, un peu perdu dans mes pensées. Les ventilateurs au plafond tournent toujours. Une fine odeur de tabac froid flotte dans l'air. Pourtant l'établissement porte un petit panneau non fumeur sur son entrée. Du moins, je crois en avoir vu une. Je me tourne vers l'entrée. A travers la vitre, je vois le petit panneau rond, une cigarette barrée se devinant en transparence.
- Il y a vraiment quelque chose d'étrange ici, je marmonne.
- Tous les bars ont une particularité, une ambiance particulière, fait le patron en claquant ses mains sur ses cuisses, rieur.
Je regarde ses mains calleuses sur ces cuisses. Les compare aux miennes, fines et délicates par rapport à ces mains énorme, endurcies par le travail. Je remarque que je tiens toujours le dessous de verre. La tasse de café me rappelle cet endroit où m'avait entraîné Ophélie la première fois.
- C'est vrai, avais-je dit. Le café où allait Ophélie aussi était particulier. Tout rouge. Elle adorait cet endroit,c'était son refuge quand elle n'était pas bien. Elle commandait toujours la même boisson. Un café. Avec un nuage de lait.
Je me retiens d'ajouter que quelque part, demander ce petit nuage blanc au milieu de son café montrait peut-être qu'Ophélie connaissait quelque part au fond d'elle cette connexion qu'elle avait avec le ciel. Je regarde vers le comptoir ; parler de boisson m'a rappelé le verre que m'avait servi le barman. Mais le verre avait disparu.
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