¢нαριтяє ɪɪ : Un nuage de lait - partie 3
- Vous recommencez.
- Pardon ? je demande en sursautant sur le siège à côté du comptoir.
Le barman est revenu se positionner sur son propre siège, il me scrute.
- Vous avez le même regard que tout à l'heure. Quand vous n'avez pas remarqué que j'avais débarrassé votre verre.
- Ah... Pardon, je réfléchissais.
- J'avais bien vu, avait souri le barman. A propos d'Ophélie ?
- Oui.
- Que s'est-il passé quand vous l'avez rencontrée ?
- Elle m'a fait courir. La première fois que je l'ai vue, elle s'enfuyait de chez elle. Elle avait besoin de parler d'une peine de cœur. Elle s'est rendue dans un café avec une amie. Elles ont parlé. Ça lui a fait du bien.
- Les amis - les bons amis j'entends - , ce sont toujours nos meilleurs alliés face aux blessures du cœur.
- Oui, avais-je répondu. Mais celle-ci... Celle-ci aurait peut-être s'abstenir d'être une bonne amie.
- Il te faut une thérapie.
Ophélie relève la tête vers Amélie. On est encore au Café Holmes. Encore pour les mêmes bêtises. Cela fait un mois que je la suis partout comme un fantôme. Parfois j'interviens. Je modifie quelque petites choses pour lui éviter que ses relations n'aboutissent. Je tue le sentiment dans l'œuf. On sait fait ça. Je sais faire ça. Je modifie le flux sanguin du cerveau, remodèle les émotions et les pensées des gens. En douceur. Sinon leur crâne explose. Mais Ophélie est coriace. Elle n'en démord pas. Elle veut un petit ami.
- Si tu veux me faire voir un psy ou je ne sais quoi, tu peux te mettre le doigt dans l'œil.
- Mais non, avait fait Amélie en secouant sa main devant son visage comme si elle chassait cette idée. On va mettre en place une théorie.
- Une théorie.
- Oui, une théorie. La théorie...
Amélie cherche quelque chose des yeux, sans doute afin de compléter son nom farfelu.
- La théorie du nuage de lait.
- La théorie du nuage de lait ? avait demandé le barman.
- C'est une méthode "infaillible"pour draguer. Enfin, d'après l'amie d'Ophélie.
- Mais pourquoi "du nuage de lait"?
- Parce que la première chose qu'à vu son amie lorsqu'elle a inventé cette théorie, c'était une tasse de café brûlant. Avec un nuage de lait. Et puis aussi... Parce qu'Ophélie avait une passion peu commune pour le ciel et ses nuages.
- Comment ça ?
Je prend un instant. Je cherche mes mots. Je regarde à travers la porte vitrée du bar le bleu qui se découpe à l'horizon. Je songe à ce que ressent Ophélie en le regardant, ce ruban bleuté. Ce qu'elle m'a fait ressentir ce jour là, lorsqu'elle l'avait regardé alors que nous étions connecté,unis par les liens sacrés qui unissent un humain et un ange.
- Ophélie n'était jamais plus belle que lorsqu'elle contemplait le ciel, avais-je expliqué. Mais elle avait honte de ce côté rêveur. Elle voulait être comme ces héroïnes de roman, forte, la tête sur les épaules, pragmatique,mais elle était tout l'inverse. En essayant de se changer pour plaire, elle repoussait encore plus. Amélie - son amie - le savait. Et elle a essayé de lui faire comprendre à sa manière.
- Ce n'est pas très compliqué Ophélie, concentre toi.
Amélie regarde ma protégé d'un air sévère. Ennuyé, je la regarde expliquer sa "théorie" en observant le ciel qui se teinte d'orange à l'horizon.
- Tu invites un garçon à boire un café.
- Pourquoi ce serait à moi de l'inviter et pas à lui ?
- Parce qu'on embête les conventions. Bref, tu l'invite à boire un café. Comme d'habitude, tu commandes un café - logique -et tu demandes avec ce café un nuage de lait.
Ophélie regarde son ami d'un dubitatif qui lui donne un certain charme. Ses joues brillent, les larmes ont séchées depuis longtemps.
- Ce nuage à deux rôles, avait poursuivi Amélie en levant son index et son majeur. Un : affirmer ton côté féminin. Tu prends un nuage de lait, ça fait bien demoiselle anglaise, raffinée et tout ça.
- Je croyais que tu ne voulais pas rentrer dans les conventions, l'avait raillée Ophélie.
Son amie avait chassé de sa main le reproche narquois de son amie avec un sourire.
- Deuzio : ce nuage de lait va te permettre de débloquer ton charme secret.
- Ben tient, avait soupiré Ophélie.
- Arrête de râler, je te promets que ça va marcher. Lorsque tu seras face à ta tasse, avec ton nuage de lait, il faut que tu fasses exactement la même chose que lorsque tu regardes le ciel et ses nuages.
Ophélie avait réfléchi un instant.
- Tu veux dire que je dois rêver comme une idiote devant ma tasse de café alors qu'il y a un splendide garçon devant moi ? avait elle dit d'un ton outré.
- Précisément, avait fait Amélie en abattant d'un coup sec son index sur la table.
- Mais enfin pourquoi ? J'ai l'air d'une imbécile quand je rêvasse.
- Ophélie, laisse moi te dire une bonne chose : la plus belle fille que j'ai jamais vu de ma vie, c'est toi quand tu te perds dans tes pensées. Et tu ne te l'autorises que lorsque tu es face au ciel.
- Normal, qui a envie de se retrouver avec quelqu'un de rêveur ? C'est ennuyeux, et je n'ai pas envie d'être ennuyeuse, avait bougonné Ophélie. Le ciel... ouvre quelque chose en moi que je ne contrôle pas. Il me rend pensive, quand je le regarde, j'ai l'impression que tout est possible. Et quand je redescend mon regard... Cette illusion se brise, et ça me fait mal. Personne n'a envie de quelqu'un qui pleure parce qu'il a regardé le ciel et s'est rendu compte de combien les nuages sont hauts et inaccessibles.
- Alors ne redescends jamais la tête, garde la levée vers le ciel. C'est ainsi que tu montres au monde toute ta beauté. Tu as...Un charme, une aura particulière quand tu regardes le ciel. Je suis sûre que ça charmera n'importe qui. Il faut simplement que tu sois toi même. Et tu n'es jamais autant toi même que lorsque tu regardes le ciel.
Amélie s'affale contre le dossier de sa chaise après cette dernière tirade. Je commence avoir du mal à tenir en place. Je suis étonné de la perspicacité de la jeune fille. Il est évident qu'Ophélie a un lien particulier avec le ciel auquel elle doit sa naissance. Regarder le ciel doit lui procurer un étrange sentiment d'apaisement et de lucidité. Du moins c'est ce que dise les cours théoriques de l'Académie céleste. Je me demande si j'aurais l'occasion de le ressentir aux côtés d'Ophélie. Je suis intrigué.
- Mais comme je sais que tu n'auras jamais le courage de demander à un garçon de venir avec juste pour contempler le ciel, je trouve un autre moyen de te mettre en transe.
- En transe, carrément, avait rit Ophélie nerveusement, sans doute dans l'espoir de détourner un instant la conversation.
- Tiens, tu vois le garçon là bas ? avait demandé Amélie en se rapprochant à nouveau de sa meilleure amie.
- Qui ça ? Le serveur avec les cheveux bruns ?
- Oui, il s'appelle Marc, on va tester notre théorie sur lui.
"- Et alors ? Ça a marché ? Demande avec curiosité le barman.
Je le regarde. Je sens sur mes pupilles un filtre d'eau salé. Je détourne le regard vers le ciel à travers la vitre. Il m'apaise.Ses couleurs me rappelle les sentiments qu'avait Ophélie en le regardant, ces sentiments qu'elle m'avait fait partager. Une gaieté mélancolique qui rend lucide sur toute la beauté et les immondices du monde. Un sentiment confus, clair, agréable et inconfortable. Indiffinissable. Qui rendait Ophélie irrésistible. Qui moi, me rendait honnête.
- Malheureusement, oui. »
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