Mise à nu
Trois heures que j’attends qu’il daigne dire un mot. Ce n’est pourtant pas compliqué, nous sommes incapables d’ouvrir cette porte et nous sommes condamnés à passer les prochaines heures ensemble, jusqu’à ce que quelqu’un vienne nous débloquer. Mais y a-t-il une seule personne qui vienne dans cette foutue forêt, mis à part nous ? Je savais que c’était une mauvaise idée, que je n’aurais jamais dû l’écouter. Je suis bloquée, il est bloqué également, et nous avons déjà tout essayé pour nous échapper.
« Je sais ! »
Mais qu’est-ce qu’il sait, cet abruti ? Trois heures que nous sommes enfermés dans cette pièce et il ne se réveille que maintenant ? Je vais le tuer s’il me trouve une solution maintenant.
« Comment ça, tu sais ? Tu vas me dire qu’après trois heures dans le silence, tu as enfin la solution miracle qui va faire qu’on ne va pas crever dans cette cabane qui refuse de s’ouvrir, que tu as trouvé la solution pour nous permettre de respirer un autre air que celui du bois moisi ? Tu vas me dire qu’après tout ce temps, tu as enfin branché les deux seuls neurones qu’il te reste pour nous permettre de trouver une solution ? Tu as enfin réfléchi ?
– Je me souviens, plutôt. Il y a une légende sur cet endroit, une histoire que me racontaient mes parents quand j’étais petit.
– Je la connais, et n’y pense même pas. »
Perdue dans la forêt, la Cabane dévoile tous les secrets. La culpabilité ronge l’être humain, qui ne peut s’en défaire que s’il avoue ses péchés. La Cabane aide les âmes rongées à se défaire de leur culpabilité.
Trop de répétitions dans cette légende et tant d’histoires qui la décrivent. Je les connais toutes et si nous sommes dans la Cabane, je suis la clé de notre sortie. Mais il ne s’agit que d’une légende, n’est-ce pas ? Je ne pourrais jamais lui avouer, de toute manière. Que penserait-il de moi ? Serait-il capable de comprendre ? Pourrait-il me laisser vivre comme avant, loin de tout jugement ? Impossible.
« Plus j’y pense et plus ça me paraît probable. Nous sommes un homme et une femme, perdus dans une cabane située au fin fond d’une forêt dense. La porte refuse de s’ouvrir. Le seul élément qui manque est le mensonge, la culpabilité.
– Non, je ne suis pas la solution, ne me regarde pas comme ça, Évan.
– Je te jure que si, Élisa, tu es la clé. Quels sont tes péchés ? »
La Cabane attend ta réponse, Élisa. Quels sont tes péchés ?
Cette voix. La personne coupable entendra la Cabane d’une voix douce et rassurante, capable de réchauffer le plus froid des cœurs, de réparer la plus détruite des personnes et de faire avouer le meilleur des menteurs. Pourquoi cette légende paraît si vraie ? Pourquoi tout confirme mes doutes, pourquoi suis-je certaine de devoir tout avouer ? Son regard est tranchant. Il sait.
« Je vois ton regard, Élisa. Tu l’as entendue, c’est ça ? Tu as entendu la Cabane ? »
Mais pourrais-je seulement lui avouer ?
« Tu refuses de dire un seul mot. Pourquoi, Élisa ?
– J’ai peur.
– Peur de ?
– Toi.
– De moi ?
– J’ai peur que tu me juges, que tu ne comprennes pas, que tu sois incapable de me voir comme avant. J’ai peur de ne pas être à la hauteur, de te décevoir, de ne pas être celle que tu penses. J’ai peur d’être une mauvaise amie, d’être la pire des idiotes, que tu me laisses tomber, que mon existence n’ait plus d’importance pour toi. J’ai peur que… »
Il place un doigt sur mes lèvres, me montrant que je dois me taire.
« Non, je ne vais pas te juger.
– Comment peux-tu en être sûr ?
– Je tiens trop à toi et peu importe ce qui te ronge, je serais à tes côtés. Tu pourrais me dire que tu as tué, violé, commis les pires horreurs, je ne pourrais pas te juger. Je te fais entièrement confiance et je crois en toi, je serai toujours de ton côté, même si tu as tort. Je serai là pour te rassurer et te réveiller si besoin, mais je ne serai jamais contre toi.
– Tu mens.
– Non !
– Si.
– J’ai toujours été sincère et je le resterai.
– Et comment je peux t’avouer ça ?
– Ferme les yeux. »
Je ne réfléchis même plus et j’écoute ce qu’il me dit. Mes paupières se ferment avec hésitation et je sens sa main passer dans mes cheveux, caresser mon visage. Je sens son souffle se rapprocher de mon visage, je sens sa douceur sur tout mon corps. Sa main caresse ma joue, descend dans mon cou, sur ma taille, mes hanches, et fais le chemin inverse. Il n’y a rien de pervers, rien de malsain en lui, il essaie simplement de me rassurer. Ses bras s’enroulent autour de mon corps et la panique monte en moi. Il me rassure, mais je dois lui avouer mes péchés. Personne ne le sait, personne ne l’a jamais vu. Je ne suis pas prête.
Est-il temps d’avouer ? La Cabane s’impatiente.
La légende est donc vraie. Quiconque hésitera sera déstabilisé par la Cabane, laissant penser que le temps est compté et qu’une trop longue hésitation résultera en un événement incertain mais probablement dangereux. La Cabane est très persuasive, mais elle n’est pas capable d’infliger de châtiment corporel. La Cabane ne peut non plus transgresser la règle. Un aveu est un aveu, le coupable est libéré après avoir avoué, peu importe le temps nécessaire.
« Tu me crois, maintenant ?
– Je te crois, mais j’ai toujours peur. Je suis en panique, je ne suis pas prête.
– Nous avons le temps.
– Je suis fatiguée de ces événements. Je ne peux pas le supporter, je veux uniquement sortir !
– On ne peut pas tant que tu n’avoues pas, Élisa.
– Je sais, Évan.
– Qu’y a-t-il ?
– J’ai honte.
– Honte de ?
– Ce que j’ai fait.
– Pourquoi ?
– Parce que ce n’est pas moi.
– C’était toi.
– Ce n’est plus moi.
– Es-tu sûre ?
– Ça n’a jamais été moi.
– Tu me mens ?
– Non, je commence à avouer.
– Comment ça ?
– Je n’ai jamais voulu.
– Voulu quoi ?
– Je ne contrôle rien.
– Contrôler quoi ?
– Je ne résiste pas.
– Bon sang, qu’as-tu fait ?
– J’ai tout détruit.
– Détruit ?
– Tout perdu.
– Perdu ?
– On ne m’aime plus.
– Je t’aime, moi.
– J’ai peur.
– Je suis là.
– J’ai honte.
– Je t’aime toujours.
– J’ai peur.
– Il ne faut pas.
– J’ai encore plus honte.
– Honte de quoi ?
– De t’infliger tout ça.
– Tu ne m’infliges rien.
– Si.
– Non, c’est la Cabane.
– Je n’y arriverai pas, je suis désolée.
– Alors on y arrivera ensemble. »
Cette dernière phrase est tellement rassurante que je fonds en larmes. Je tremble de peur, le froid s’empare de mon corps alors qu’il fait au moins quarante degrés à l’intérieur. Je sais que je suis en train de m’infliger le pire des châtiments, mais je suis incapable de lui avouer. Je ne peux pas lui expliquer. Tant d’années ont passé et rien n’a changé, je suis la même personne pitoyable. Je suis la même personne incapable de résister. Il me répètera que sa vision n’a pas changé, que je ne suis pas pitoyable, mais je ne pourrais pas le croire. Je lui fais confiance et je sais qu’il ne mentira pas. Mais s’il le dit, comment pourrais-je l’accepter ? Je suis convaincue que ce n’est pas possible et si ça l’était, je devrai accepter d’avoir tort.
« Élisa, tu me fais confiance ?
– Oui, mais je ne m’en sens pas capable.
– Je donnerai ma vie pour la tienne, tu penses vraiment qu’un secret pourrait détruire quoi que ce soit ?
– Évan…
– Regarde-moi, Élisa. »
J’obéis.
« Tu penses vraiment que je vais te trahir pour un secret ?
– Non, mais je me hais.
– Et moi je t’aime.
– Moi aussi, mais j’ai peur.
– Je sais que tu as peur. Je ne peux même pas imaginer ce que tu ressens à ce moment.
– Je peux ne rien dire ?
– Comment ça ? »
La panique s’empare de mon corps. Je ferme les yeux et respire profondément alors que mon cœur bat à vitesse maximale, détruisant mes côtes à chaque battement. Je vais lui avouer, je vais prendre mon courage à deux mains. Les larmes coulent en abondance sur mes joues et je vois qu’il est désemparé, qu’il ne comprend pas. Il ne sait pas ce que je m’apprête à faire et ne sait pas non plus pourquoi je suis dans un tel état. Mes mains tremblent, mon esprit me crie d’arrêter, mais je suis décidée. Je descends prudemment mes mains le long de mon pull en laine, en essayant de ne pas me blesser avec les tremblements. Je croise les mains, agrippe l’extrémité de mon vêtement et commence à le soulever, dévoilant ma peau nue. Je fais de même avec mon pantalon, toujours lentement et prudemment. Je me suis littéralement mise à nu devant lui.
« Comment…
– C’est ce que je m’efforce de ne pas t’avouer depuis le début.
– Mais pourquoi ?
– Tu me prendrais pour une folle.
– Dis-moi, s’il te plaît.
– Je me sens tellement bien.
– Je ne vais pas te prendre pour une folle, je comprends.
– Vraiment ?
– Je ne l’ai jamais fait, mais j’ai eu des expériences similaires.
– J’ai honte.
– Tu ne devrais pas.
– Je suis faible.
– Tu es forte.
– Je suis pitoyable.
– Incroyable.
– Repoussante.
– Attirante.
– Pourquoi tu nies ?
– Parce que tu sais que j’ai raison mais tu ne veux pas l’avouer.
– C’est faux !
– Élisa, tu es merveilleuse et le courage que ça demande pour te mettre à nu devant moi et me montrer tes secrets de cette manière est incroyable. Tu ne peux pas dire que tu n’es pas forte.
– Si, Évan. Je suis faible, je cède à chaque fois. »
On entend la porte grincer. La Cabane nous a libérés. Je fonds à nouveau en larmes et tombe dans ses bras, incapable de tenir sur mes jambes plus longtemps. Je suis exténuée et détruite. Promets-moi de ne pas me voir différemment, Évan.
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