Pseudo : Eau - Titre : Texte caché
— Tu me vois. Moi ? dis-je sans conviction.
— Oui, comme toutes les âmes qui nous entourent. Seulement vous, je vous entends, elles, je ne l’entends pas. Je me suis dit que vous deviez être particulier et qu’avec de la chance vous pourriez m’aider. Je vous ai vu, la dernière fois effleurer les rideaux. Vous les avez touchés.
— Tu ne me parais pas inquiète.
— Je suis habituée.
— Sorcière ?
— Je ne crois pas. Du moins, je ne ressens pas mon don comme un pouvoir. Alors, pourrais-tu m’aider ?
— À quoi faire ?
Incrédule, je me laissais allé à cette discussion irréaliste. Cette gamine me voyait et elle voulait quelque chose de moi, de mes aptitudes.
À l’évidence, dix ans c’était écoulée sans que je ne le remarque. Bloqué dans l’enceinte de cette fichue académie de danse, j’avais cédé à l’ennui et ne prêtais plus attention aux heures qui s’effeuillaient. Rares étaient devenu les moments où je me perdais dans la contemplation des ruelles. Les visages inconnus m’indifféraient, tout comme les actes punissables. Le jour et la nuit devenaient insipides comme mon existence. Je n’avais plus mon mot à dire coincer entre deux mondes. J’imaginais qu’un jour prochain j’acquerrais la capacité de discuter avec une âme ou deux résignées. J’attendais l’être solitaire et frustré qui m’entendrait.
Seulement, il n’y avait personne. Mes mots ne parvenaient même pas aux ballerines les plus désespérées. Alors, j’errais sans but dans les couloirs. Souvent, je me rendais dans les combles et observais les miroirs brisés ou vieillissants qui s’y agglutinaient, pareils à des vies éteintes que l’on plonge dans un noir poussiéreux.
Encore aujourd’hui, je marchais dans les combles avec le souvenir de Séverin à l’esprit. Tout avait foutu le camp avec lui. Mes plus grands projets étaient tombés dans l’oubli de mes soirées sans sommeil. Le haïr plus encore qu’à l’époque ne me menait à rien. Ieugres avait profité de ma folie. Fichue montre. Fichue vie. Je le sentais encore prendre mon corps et s’éloigner avec lui. Qu’advenait-il de ce double démoniaque ? Oh! Ieugres ! Que faisait-il de ma fortune ? Avait-il ouvert la porte de la chambre de ma mère ? Un jour, il m’avait assuré qu’il l’ouvrirait… Simplement pour m’agacer. Ieugres devait tenir ses promesses. Les morts se comptaient sans doute par centaine. Quand je lisais les journaux, que le concierge laissait sur son établi, je me demandais si les crimes à l’encontre des nobles et des puissants était signé de mon double ?
Tous aussi sordide les uns que les autres, j’avais la terrible sensation que Ieugres demeurait derrière cette pluie de sang. On parlait de sénateurs, de ministres racontant des absurdités sur un monde ténébreux. Des rêves tortueux les habités. Quelques jours suffisaient pour les voir s’agiter comme des pantins désarticulés. La folie s’occupait de leur cas, mais je crois que Ieugres jouait avec eux et leur sommeil. Si je me souvenais bien mon monstre intérieur cherchait à corrompre les âmes pour faire de mon monde un univers sombre.
Allongé sur les planches des combles, je soupirais encore, le regard fixé sur les poutres qui composaient le plafond. Quand viendrait ma fin ?
Je sentis une larme fantomatique couler sur mon visage dénué de matière. La porte s’ouvrit, une et une jeune ballerine entra. Elle ne devait pas avoir plus de quinze ans. Ses cheveux bruns, lâchés, lui dégringolaient jusqu’aux genoux. Elle trouva place une chaise grinçante en face du plus grand des miroirs et se regarda. Enfin, ce que je cru alors que je me détournais d’elle et de ses problèmes. Son teint était livide. Elle aurait subits quelques remarques de ses camarades que cela ne m’aurait pas surpris.
— Est-ce que les fantômes réalisent des souhaits ? me lança-t-elle sur un ton dur et suppliant à la fois.
Je n’osais croire qu’elle me voyait et pourtant… Je me tournais vers elle et son corps maigrelet. À la regarder de plus près, elle n’avait ni beauté, ni laideur. Elle était insipide, comme mon existence. Ses yeux couleur bleu ivoire et a peau grisâtre n’arrangeait rien.
— Je te vois souvent qui déambule sans but.
— Tu me vois. Moi ? dis-je sans conviction.
— Oui, comme toutes les âmes qui nous entourent. Seulement vous, je vous entends, elles, je ne l’entends pas. Je me suis dit que vous deviez être particulier et qu’avec de la chance, vous pourriez m’aider. Je vous ai vu, la dernière fois effleurer les rideaux. Vous les avez touchés.
— Tu ne me parais pas inquiète.
— Je suis habituée.
— Sorcière ?
— Je ne crois pas. Du moins, je ne ressens pas mon don comme un pouvoir. Alors, pourrais-tu m’aider ?
— À quoi faire ?
Incrédule, je me laissais aller à cette discussion irréaliste. Cette gamine me voyait et elle voulait quelque chose de moi, de mes aptitudes.
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