Installés dans la berline familiale, Lowen, sa femme Sora et leurs deux fils prennent la direction de la capitale, où tous ont rendez-vous, comme chaque semestre, depuis des années.
Un simple regard du conducteur sur l’ordinateur de bord suffit pour programmer le GPS et afficher l’itinéraire. L’arrivée s’effectuera quatre heures et trente-sept minutes plus tard, après un parcours de cinq cents vingt-deux kilomètres. Il ne reste plus qu'à se laisser guider par le système de positionnement par satellite.

Connectée sur sa Xbox Thirty Seven, Sora affronte vaillamment les envahisseurs d’une exoplanète. Les enfants, concentrés sur leur assistant virtuel intelligent version quinzième génération, ne broncheront pas durant tout le trajet. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles ils ont été conçus – les assistants, pas les enfants –, pour dompter et canaliser les esprits de leurs utilisateurs, au point d’anéantir définitivement la moindre de leur volonté d’initiative et créative. Fini les chansons, les devinettes, les jeux, ou les histoires que l’on se racontait jadis afin d’agrémenter les longs voyages en voiture à énergie fossile. La voix robotisée du navigateur les a supplantés depuis des décennies.

Ils viennent de passer la barrière de péage sans s’y arrêter – magie de l’identification informatique à distance, généralisée à tous les usagers des trois cents soixante-quinze autoroutes françaises. À présent, ils longent l’ancien aéroport d’Orly, rebaptisé Global Lines, au-dessus duquel plane une trentaine d’engins aux formes et envergures différentes, puis suivent les panneaux lumineux vers l’Axe 2042 – feue Porte d’Italie.
Les jambes et les bras croisés, Lowen fixe un écran intégré au pare-brise. Depuis bien longtemps déjà, les automobiles ne sont plus équipées de volant, ni d’aucun autre accessoire de commande.
De hauts murs en béton gris anthracite bordent les voies de circulation rapide, empêchant d’apercevoir les cités environnantes. Un étrange et pesant silence flotte, aussi bien dans l’habitacle qu’à l’extérieur, donnant l’impression d’une absence totale de vie.

Le GPS vient d’annoncer la prochaine sortie à sept cents mètres, les passagers éteignent leurs écrans respectifs et rajustent leur masque FFP9 Haute Filtration 9 couches. Trois minutes plus tard, la voiture stationne devant un gigantesque portail en métal noir où l’on peut lire en grosses lettres dorées le mot PARIS.
Le vantail s’ouvre aussitôt. Deux soldats armés vêtus d’une combinaison blindée et d’un casque intégral sortent de leur poste de surveillance, puis rejoignent les arrivants sans les saluer. L’un d’eux scanne les plaques d’identification du véhicule, tandis que le second procède à une reconnaissance faciale de chaque membre du groupe. Les deux hommes enjoignent la famille d’emprunter le tunnel situé à la droite de la forteresse, lequel les mènera à la salle B28 où une équipe les attend pour leur entretien biannuel.
Docilement, les enfants et leurs parents se plient aux injonctions. Placides, sans un mot, ils suivent le chemin indiqué.
Les voilà maintenant devant la salle B28, attendant que la porte s’ouvre, le regard rivé sur une pancarte qui stipule : Matricule VA-1115-JR (Famille Hashe) - Reprogrammation des cerveaux à 11 h 30.