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Maman, tout sourire, m’attendait dans la cuisine. Je devinai un cadeau caché sous sa robe de chambre et sentis les angles du carton lorsqu’elle me serra fort.

— Bon anniversaire, ma puce !

Elle posa une grosse bise sur ma joue, je lui rendis.

— Merci maman !

Nous restâmes quelques secondes ainsi. Une éternité. Je savais son manque de ses enfants, nos accolades se répétaient souvent. Un moment de réconfort. Pourtant, je ne pouvais compenser tous les départs par mon unique présence et, surtout, je voulais ouvrir ma surprise.

— Tu peux me lâcher s’il te plaît, je suffoque !

Nos corps se séparèrent, je remarquai ses yeux embués. Elle essuya d’un revers de main une larme puis me tendit un petit paquet emballé de papier multicolore. Je le déchirai sans attendre. La fine boite contenait un cahier à la couverture de cuir et un stylo plume. Je retins un cri de joie. Mes parents connaissaient cette envie d’écrire qui me dévorait, les tiroirs de mon bureau regorgeaient de feuilles noircies d’encre. Eux qui voulaient que je devienne docteur ou infirmière, se lamentaient parfois du sens que prenait ma vie.

« Écrire ne nourrit pas son homme », disaient-ils, « tu devrais te diriger vers la médecine au lieu de laisser ton imagination se perdre dans les étoiles. Avec ton intelligence, quel gâchis ! » « Vous oubliez mon mauvais caractère et mon indépendance ! », je rétorquais.

C’était une bataille continuelle entre nous. D’un côté le réalisme, de l’autre le rêve. Pourtant, depuis peu, les accrochages s’espaçaient et les reproches s’entouraient de ouate. Puis, j’avais trouvé des feuillets dans des tiroirs différents de ceux où je les rangeais. Cela arrivait encore. J’avais conclu que quelqu’un me lisait, et comme nous n’étions que trois dans la maison, c’était papa ou maman. Peut-être les deux ! Une enquête s’imposait. J’avais ressenti une drôle de sensation. Un mélange d’abord amer avec cette intrusion dans mon univers, puis sucré. D’autres yeux que les miens parcouraient mes lignes. Pour moi, une finalité ou plutôt un commencement, pourtant, les parents n’échapperaient pas au limier Caro. Le ou les coupables seraient démasqués. J’avais tenté une approche frontale en parlant de bazar sur mon bureau d’habitude bien rangé, pas de réactions. Le contournement par des discussions ciblées sur mes écrits n’avait pas donné plus de résultats. Ils avaient éludé mes questions ou répondaient à côté.

« Un courant d’air aura mélangé tes feuilles » ou « c’est le chien. »

Pauvre Plume ! Les adultes avaient parfois des comportements étranges, accuser une boule de poils ! Quoiqu’il en fût, avec ce cadeau, je sus que ma voie se levait d’un obstacle. Je sautai au cou de maman, la couvrant de baisers. L’instant suivant, je grimpai dans ma chambre afin de poser mon carnet et le stylo sur le bureau. Je leur promis que ce soir, je me dévouerai entièrement à eux.

La route pentue qui menait au collège me parut plate ce matin-là. J’avalais sans peine la côte, alors que d’habitude, mes jambes galéraient à tourner le pédalier de mon vélo. J’attribuai mon exceptionnelle forme à la future nuit qui me tendait les bras. Déjà, j’espérai les heures plus courtes qu’à l’accoutumée. Ce soir, mes chimères prendraient souffle parmi les lignes de mon nouveau cahier, entre elles et moi, aucun répit. Demain serait difficile ! Peut-être aurais-je besoin du vacarme de la brique pour m’extirper du lit, mais demain serait un jour différent.

Charlotte et Sylvie, mes amies, parquaient leur vélo à leur place habituelle, l’un à côté de l’autre, lorsque j’arrivai. Des rainures au sol, prévues pour engager une roue, nous étaient réservées. Nous y laissions nos bécanes, rangées comme des vaches dans une étable. C’est Charlotte, fille d’éleveurs, qui avait imaginé le parallèle entre les guidons et les cornes des bovidés. Un matin de notre année de quatrième, elle avait positionné ses mains de chaque côté de son front, pointé ses index vers le ciel puis meuglé. Fort. Tous les élèves autour de nous s’étaient retournés, nous étions parties dans un fou rire général. Plus tard, elle nous avait dégotté des boites à meuh, nous ne manquions jamais de les activer une fois les cadenas bouclés. Ces trois places se trouvaient contre le quatrième pilier gauche de l’abri à bicyclettes le plus proche des bâtiments de cours. Un endroit stratégique ! Seule cette ante de béton échappait à la vue qu’avaient les surveillants depuis leur guitoune. Une histoire d’angle et de perspective. Quelqu’un aurait pu se cacher là toute une journée sans que quiconque s’en aperçoive. Personne ne s’aventurait à nous déloger de nos emplacements. Nous étions des troisièmes et nous pouvions être de véritables terreurs verbales. Surtout Sylvie ! Elle maniait l’injure d’une main de maître, pourtant, son père n’était pas charretier. C’était ainsi, nous foutions la frousse ! D’ailleurs, ne nous surnommait-on pas le gang des trois couleurs ! Une brune, une blonde et une rousse.

Toutes deux, la bouche en cœur, me souhaitèrent mon anniversaire. Charlotte, la blonde, m’offrit trois colliers de bonbons qu’elle avait piqués à son petit frère. J’adorais ces cochonneries chamarrées, les Roudoudous et les Pipas aussi. Sylvie, la rouquine, me donna une cassette audio. Aucun artiste n’apparaissait sur l’étiquette.

— Qui c’est ? je demandai.

— Un chanteur, pardi !

— Très drôle ! J’ai pas de magnétophone pour l’écouter.

— Ben t’auras qu’à t’en acheter un !

Elle appuya sa phrase d’un clin d’œil et d’un grand sourire. Cette affaire puait l’embrouille, j’étais loin de me figurer laquelle. Bras dessus bras dessous, nous approchâmes du préau. À mi-chemin, Sylvie s’exclama :

— Les filles, j’ai appris un nouveau gros mot ! Je l’ai lu dans une bande dessinée de mon père. Nyctalope ! Ça déchire, hein ? Un amalgame de nique et salope !

Nous nous regardâmes avec Charlotte, puis explosâmes de rire.

— C’est pas une insulte ! Ça veut dire que tu vois la nuit, dis-je.

— T’es sûre ? Mince !

Les heures de cours passèrent à la vitesse d’un escargot éreinté. Le temps m’aurait paru plus court si mes copines avaient partagé la même classe que moi, mais elles étaient en C, chez les matheux. Moi en F pour littéraire. J’étais absente. Mon attention se focalisait vers l’extérieur, à la poursuite des ombres des peupliers d’Italie que le vent agitait. J’y distinguai des fantômes pourfendeurs de réalité juchés sur des montures fantastiques, des vaisseaux de bois ballottés par des flots tumultueux, des hordes d’insectes qui, mandibules acérées, dévoraient le plâtre de mon ennui. J’adorai pourtant ces deux heures consécutives de français, mais mon esprit s’égarait ailleurs, entre les quatre murs de ma petite chambre. Combien de minutes encore à triturer un crayon qui ne demandait rien, à feindre mon assiduité ? Aucune, la cloche de la récré bourdonna. Je sortis en trombe sous les yeux éberlués de madame Bayer, la prof.

Charlotte et Sylvie m’attendaient en compagnie de Kylian, le plus beau garçon du collège. Elles se pavanaient devant lui, mais le grand brun en piquait pour mon corps de déesse, surtout mes seins. Il me tournait autour depuis peu, et biglait sur mon thorax dès que je m’approchais. Passe ma poitrine, elle était ce qu’elle était, mais le reste ne valait pas la peine qu’on s’attarde. D’égérie, je ne possédais rien. Petite et fluette, voilà mon évidence. Quant au palpable, je le dissimulais tant bien que mal, mais Kylian l’avait remarqué. Ma présence interrompit la conversation, le mec me balança un sourire d’une blancheur à attraper les mouches, je baissai les yeux. Aucun doute, je finirai accrochée à ses bras, mais je m’obligeai à penser que c’était lui qui s’emberlificotait dans mon filet déchiré. Son tableau de chasse s’ornait déjà de multiples conquêtes, il inaugurerait le mien.

— Salut Caroline !

— Salut !

Son regard trouva mes bosses sous mon tee-shirt.

— Bon anniversaire !

Arrête de baver et claque-moi la bise, benêt ! Il s’approcha, nos joues se rencontrèrent, trois fois.

— Merci Kylian !

— Ça te dit que je te raccompagne après les cours ?

Mes deux courges d’amies gloussèrent. C’est vrai qu’il y allait franco, sûr de lui le bonhomme. Trop. Les renseignements que j’avais glanés à son sujet indiquaient qu’il pratiquait un sport, l’aviron. Crocs blancs aimait ramer ; il allait être servi.

— Pas ce soir, j’ai rencard avec un prince et ses chevaliers !

Ma chambre ressemblait à un champ de bataille. Ouragan de retour d’école. Mon cartable, jeté au sol, vomissait son contenu, mon blouson, trop lourd, avait embarqué le porte-manteau, mes chaussures traînaient sur le lit. La boite à meuh gisait contre la commode. Le bazar selon sainte Caro ! Plume, alerté de ma présence, passa une truffe circonspecte. Il vint me léchouiller puis rebroussa chemin avant de disparaître dans l’escalier. D’habitude, il s’allongeait à mes pieds sur la moquette, pas aujourd’hui. Ce chien détestait le foutoir. Tant pis pour lui. Papa et maman, absents pour encore une heure, mon royaume m’appartenait. Je rangerai plus tard, là, je dévorai des carrés de chocolat en contemplant mon carnet.

Un fil marron, cousu, délimitait les pourtours, un lacet retenait les pages prisonnières. Mes doigts suivirent le lien, s’arrêtèrent au nœud puis caressèrent le cuir lisse. Peau contre peau, un je ne sais quoi de sensuel se dégagea du contact. Le filin glissa, j’ouvris pour la première fois mon cahier. La couverture arrière se gavait de reproductions de dessins faits main. Une baleine, une rose des vents, un coffre rempli de pièces, un trois-mâts, un canon, un sextant, une île au trésor, des monstres fabuleux. Les croquis invitaient au voyage ! Ce petit monde de la mer voguait dans mon carnet. Que me raconterait-il si je l’écoutais ? Des histoires de pirates, de forbans, de chasse à la fortune, de bleu, d’écume, d’océan ? Rien de tout cela, ou peut-être un amalgame de ses secrets. Je tendis l’oreille, perçus un murmure.

« Mêle-nous à ta vie ! »

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