Chapitre 16 : Alpha
Je n'arrivais pas à en croire mes yeux. Ce qu'il venait de se passer dépassait de loin mes cauchemars. Comment en était-on arrivé là ?! Zeïna et Cléofée venaient de disparaître sous nos yeux, aspirées par des sables mouvants. Et tout cela pour quoi ? Pour sauver mon familier !
Je serrais Tessa contre moi aussi fort que mon cœur était comprimé. J'avais envie de hurler. J'avais envie de plonger pour attraper leur main, réussir à les remonter et qu'on oublie cette mésaventure. Mais rien de tout cela n'était possible. Et je m'agitais autour des contours mortels de cette flaque de boue qui me semblait pourtant peu profonde.
Mes yeux écarquillés ne cessaient de fixer l'endroit où mes deux précieuses amies avaient disparu. C'était l'horreur.
Une pression qui commence à se faire douloureuse sur mon bras me sort un peu de ma transe, je baisse les yeux sur le petit Ocelot que je tiens dans mes bras, Tessa vient de me mordiller le bras.
— Tu m'écrases peut être un peu trop. me murmura-t-elle craignant sans doute que je ne m'effondre en sanglot.
Sans rien dire, je renifle les larmes qui menaçaient de couler avant de relâcher mon familier en faisant attention que l'éloigner au mieux du piège naturel et cruel.
Ce geste me permit de me tourner vers les deux dernières amies qu'il me restait. Liabell avait les poings et les muscles de la mâchoire serrés. Le regard froid rivé sur l'espace mortel, analysant sûrement ce qu'il venait de ce passer tout en se retenant d'essayer quelque chose de stupide.
Finalement, elle s'éloigna de plusieurs pas et agita avec grâce et lenteur ses mains devant elle en gestes complexes... Mais rien ne se passa à la grande surprise de Lia.
— Impossible de faire fonctionner mes portails. Cet endroit est trop étrange. annonça-t-elle, ses épaules s'affaissant sous la désillusion que nous étions en train de vivre.
En voyant l'espoir quitter le visage de celle qui était venue nous rejoindre pour nous protéger de nous-mêmes. La panique commençait de plus en plus à m'ensevelir. À quel point avais-je surestimé mes capacités ? À quel point avais-je faire l'erreur d'emmener mes amies avec moi dans cette quête aussi mortelle qu'insignifiante et égoïste ? Et tout cela dans quel but ? Plaire à un mentor indifférant quoi que nous fassions ? Un mentor qui n'en était pas un et qui ne voulait pas endosser ce rôle, un homme qui fuyait ses responsabilités en effectuant un autre travail que celui qu'on lui avait remis.
Je me mettais à me détester. À me détester moi, à me dégouter autant qu'Alec commençait à m'insupporter. S'il avait été présent. S'il s'était occupé de nous, qu'il m'avait accordé un tant soit peu d'importance... Nous n'en serions jamais arrivés là. Nous n'aurions jamais perdu deux de nos précieuses amies à jamais.
— Elinor, Elinor, il faut respirer. Tu te fais du mal. entendis-je demander Elio.
Alors je tournai mon visage vers la concernée pour la voir avec le visage complètement blanc, les lèvres entrouvertes, comme si elle cherchait à parler, à émettre des hypothèses. Mais rien ne franchissait le bord de sa bouche, tout comme rien de sortait de ses yeux complètement écarquillé et fixé sur l'endroit où avait disparu les deux jeunes femmes si précieuses pour nous.
Le gardien de la rouquine la secoua avec douceur tandis que son regard délavé laissait transparaitre toute l'inquiétude du monde. Mon cœur se serrait d'avantage de voir une autre amie perdue dans cette tragédie et bien que son corps soit là, je voyais bien que l'âme d'Elinor venait d'être sérieusement dévastée par le spectacle qu'il s'était passé devant nous à peine quelques minutes plus tôt.
— J'ai vu quelque chose ! balança Liabell sans prévenir tandis qu'elle s'approchait précipitamment du rebord dangereux.
Sans que j'en aie conscience, je me ruais à mon tour vers le bord. Mes jambes et le reste de on corps ayant bougé avant que mon cerveau ne se rende compte que mon acte était dangereux. Une fois le nez à quelques centimètres de la boue claire, mon corps allongé sur l'humus de la forêt et mes yeux grands ouverts pour capté le moindre signe de vie des disparus, je me sens tiré vers l'arrière avec force. Si fort que cela m'en coupe la respiration. Je vois aussi sec l'espèce des sables mouvants s'éloigner
— Tu veux les rejoindre ?! C'est ça ? me morigéna le gardien en hurlant dans mes oreilles.
Je n'arrive pas à lui répondre de façon cinglante, histoire de lui faire comprendre que son geste était inutile. Mais rien ne sort de mes lèvres. Ces dernières paroles restent pincées tandis qu'Elio me relâche de son étreinte.
— Continuons d'explorer et de suivre le plan. Peut-être que tout n'est pas perdu, qui sait. Cet endroit regorge de magie qu'on ne connaît pas. Peut-être que nous pouvons encore sauver Cléo et Zeï.
Je ne voulais pas quitter des yeux cet endroit. C'était comme abandonner mes deux amies qui s'étaient sacrifiées. Et pourtant, une petite partie... une toute petite partie de moi voulait croire que Liabell avait raison. Qu'il fallait continuer notre quête. Que la mort de nos amies ne serait pas vaine.
Mes pas étaient lourds. À contrecœur j'avais quitté des yeux les sables mouvants pour ne pas perdre le reste du groupe. Une fois de plus, je suivais Elinor qui nous frayait un chemin au travers de la forêt dense. Tessa frôlait mes jambes au fur et à chaque mètre parcouru. Comme pour se rassurer qu'elle ne risquait pas de tomber à nouveau. Elle était d'ailleurs le seul point positif de cette situation désastreuse. Tessa était avec moi, bien en vie. J'avais toujours la gorge nouée et la respiration difficile, mais au moins mon familier était à mes côtés et m'épaulait comme elle le pouvait dans cette épreuve.
Les minutes défilaient. Je ne savais pas combien de temps s'était passé depuis la disparition de nos deux camarades et à y réfléchir, cela me semblait déjà trop long. Je voulais rentrer... me camoufler sous un drap épais et n'en sortir qu'après l'apocalypse. Car au final, je ne pourrais pas me montrer de nouveau à l'école après avoir causé la perte de deux de mes meilleures amies.
Personne ne parlait, tout le monde semblait abattu tout en restant concentré sur notre avancé. Les commentaires désagréables de Cléo me manquaient déjà, tout comme les phrases cinglantes de Zeï pour la remettre à sa place. Ma vie commençait déjà à se ternir à cause de l'absence de ces filles qui avaient été de véritables petits soleils dans ma vie.
J'avais le regard dans le vide, mes yeux passaient parfois su la chevelure rousse d'Elinor, quand soudain, un désagréable frisson me parcourut la colonne, me glaçant l'échine, me mettait aussitôt aux aguets, mon pouvoir se laissant glisser le long de mains, captant l'ombre de chaque arbre de chaque brin d'herbe. L'information fut brève et étouffée par l'immensité et la densité de l'environnement autour de nous, mais je pus capter qu'un danger fonçait droit sur nous. Droit sur Elinor qui se trouvait toujours en tête de procession, et qui ne semblait pas avoir flairé le danger.
Ma gorge étant sèche, je n'eus pas l'occasion de faire porter ma voix pour prévenir tout le monde. Seuls mon bras et ma main eurent le temps d'agripper le col d'Elinor pour l'attirer vers moi, nous faisant basculer en arrière suite à la force que je venais d'exercer.
Une fraction de seconde plus tard alors que je sentais la rouquine prête à me hurler dessus, une flèche vint se planter profondément dans l'arbre qu'Elinor était sur le point de dépasser.
Tout le monde se figea, les yeux écarquillés devant l'arme meurtrière. Enfin surtout moi et Elinor. Comment un trait avait bien pu se retrouver ici ?! Je nous pensais véritablement seuls dans cette forêt étrange.
Derrière nous, j'entendis Liabell créer un portail dimensionnel pour observer plus loin, faire de son mieux pour en apprendre plus sur nos ennemis, essayer de nous défendre et de nous venger. Je e quelques secondes avant de tourner douloureusement la tête pour constater que j'avais raison. Lia recherchait bien quelque chose au travers des nombreux portails qu'elle ouvrait à la va-vite, sans pour autant prendre le temps de les traverser.
— Je n'ai vu personne, pas une trace d'âme qui vive. Le terrain est sûrement piégé. annonça la doyenne de notre groupe.
Pendant ce temps, je m'étais relevé avec quelques hésitations, mes sens en alertent, prête à replonger sur le tapis d'humus. Finalement, il n'eut pas d'autre salve, mais cela ne me disait rien qui vaille et mes nerfs restaient toujours vifs tandis que nous reprenions notre expédition. Cette fois-ci, j'étais en tête, Elinor trop sonnée par les évènements se faisait soutenir par un Elio bien conciliant.
Ce fut sûrement une bonne chose que je me retrouve à l’avant de notre groupe, car je pus percevoir plus ou moins le danger vers lequel nous foncions pour oublier nos compagnons disparus.
Grâce à mes réflexes et rien d’autre, je pus arrêter la flèche qui avait filé en direction d’Elinor. Créant un barrage physique avec mon ombre par la seule force de ma volonté. Le projectile s’était planté en travers de ma silhouette d’ombre. Avec difficulté, je déglutis, comme pour essayer de me rassurer, la flèche ne s’était pas vraiment plongée en travers de mon cou.
La seconde d’après, l’arme tombait au sol et mon ombre était redevenue intangible.
— À couvert ! avait ordonné Lia aussitôt, plaquant Elinor et Elio au sol en même temps qu’elle plongeait.
Je m’exécutais juste après le temps que mon esprit comprenne correctement l’ordre. Après tout, j’étais encore perturbée par cette flèche perdue.
Les secondes s’écoulèrent, peut-être même des minutes, et tout le monde restaient immobiles, les sens en alertent.
— Et qu’est-ce qu’on fait maintenant ? questionnais-je tendue.
On me répondit seulement par un « chhh » agressif et je me renfrognais aussitôt. Mais lorsque je levai le regard vers Lia, elle me faisait des gestes flous. Les sourcils froncés, j’essayais de décoder ces gestes. Elle me montrait ses yeux puis les alentours... Elle allait regarder ce qu’il y avait autour de nous ?
Je compris que j’avais eu juste lorsqu’elle se mit à créer de nouveaux portails.
— Nous sommes seuls... affirma-t-elle avec surprise en supprimant son passage dimensionnel.
— Comment ça « nous sommes seuls » ? grogna Elio qui semblait chercher à étouffer sa protégée.
— Il n’y a personne autour de nous. Personne pour tirer cette foutue flèche ! Réfléchissez un peu !
Les autres se relevaient, mais moi, je préférais rester par terre. Même si je m’étais assise sur le chemin, je refusais de laisser dépasser ma tête pour récolter une flèche en pleine tempe.
— Je pense que ce sont des pièges. Peut-être des détecteurs de présence magique. souligna Lia qui me tendait la main.
Je pris à contrecœur cette dernière et, doucement, me redressait. Après m’être époussetée inutilement, je laissais fuser ma petite théorie.
— Si on rencontre des pièges de ce type, cela veut dire qu’on s’approche du but ? À quoi bon mettre des pièges dans la forêt si ce n’est pour protéger quelque chose ?
— Zeï serait fière de toi ! déclara solennellement Lia en me tapotant l’épaule. Visiblement, j’avais mis le doigt sur une vérité implacable.
Un petit sentiment de fierté réchauffa mon estomac que la peur avait gelé.
— C’est quand même super flippant. réussit à articuler Elinor qui se cramponnait à Liabell comme à une bouée de sauvetage.
La pauvre, je la comprenais. La mort venait de la frôler. Avoir peur pour sa vie était sûrement un signe de bonne santé mentale.
Forte de ma déduction, je repris la tête de notre marche. J’y allais peut-être plus lentement pour plus de vigilance.
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