Chapitre 17 : Elinor
Innocente. J’avais été trop innocente. À quoi avais-je pensé en suivant mes amies dans cette aventure à la limite du suicide ? Nous n’étions pas préparées à affronter tous les pièges que nous tendait la nature. Nous n’étions préparées à rien d’autre que faire des petits tours d’illusions pour éblouir la population dénuée du Don. Tellement peu préparée que j’avais tout simplement et rapidement failli en mourir.
Il n’aurait fallu que d’une flèche, un seul trait bien placé, peu importait où sur mon visage. Si Alpha avait réagi une seconde trop tard, si elle n’avait pas ressenti le danger nous foncer dessus, cette flèche aurait tout bonnement traversé ma gorge et non celle de l’ombre de mon amie.
La mort m’avait frôlé si fort que je sentais encore son baiser sur ma peau. C’était comme plonger dans une eau glacée et être ramené à la surface aussi sec. Un aller-retour de froid et de chaud. Dire que je ne me sentais pas bien était un euphémisme bien doux pour ce que je ressentais véritablement.
J’étais littéralement tétanisée devant ma mort imminente. Maintenant, j’avais seulement envie de rentrer chez moi. Cette comédie avait assez duré.
Mes pas étaient mis sur le mode automatique et je marchais les yeux écarquillés autour de moi, guettant le moindre signe d’une nouvelle flèche désireuse de percer ma chair.
Au bout d’un certain moment, je détournai mon regard pour le poser sur mon gardien. Il était à côté de moi et pourtant, je le sentais si distant. Je savais qu’il m’en voulait de l’avoir laissé derrière, mais est-ce que je méritais vraiment ce mutisme insupportable ?
Il dut sentir peser mes yeux sur lui, car nos regards se croisèrent au bout de quelques secondes. Si j’avais cru y voir de la surprise, cette dernière s’était rapidement muée en un froncement de sourcils sévère. Que me reprochait-il à la fin ? Ce n’était pas moi qui m’étais mise sur la trajectoire de cette flèche après tout. Me sentant plus agressée que réconfortée par Elio, je me détournais, faisant mine d’avoir été alerté par un bruit à son opposé.
Avec Elio qui me boudait, je me sentais maintenant seule au monde.
Je sentais que je perdais foi en notre première quête et je m’en agaçais moi-même ! Pourquoi ne pouvais-je pas avoir la même volonté qu’Alpha ?! Elle semblait toujours aller de l’avant et n’avoir peur de rien. Certes, ce n’était pas elle qui avait failli recevoir la flèche, mais c’était son ombre qui l’avait reçu à sa place... Est-ce que cela n’aurait pas dû l’atteindre, elle aussi ? Mais non, elle était là, nez au vent, à continuer de marcher.
Inspirée par mon amie, je pris le temps de respirer. Si tout le monde mettait la même ardeur à la tâche pour trouver ce fichu trésor, il fallait que je fasse également ma part de travail. De plus, nous étions dans la forêt. C’était mon élément. Cette flèche, j’aurais pu l’arrêter moi-même...
— Je... Je vais nous créer un tunnel de végétation. Cela pourra retenir peut-être quelques autres pièges de nous tomber dessus ? proposais-je à mi-voix, pas encore certaine de vouloir être entendue.
Liabell et Alpha acquiescèrent et attendirent que j’use de ma magie. Puisant dans ma force intérieure, j’ordonnais à la flore de se lier, de se tisser, de se plier à ma volonté.
Une dizaine de minutes plus tard, un long tunnel commençait à se créer devant nous. J’étais épuisée, mais le sort devait rester actif pour que la végétation autour de nous continue de nous protéger d’éventuels nouveaux dangers.
Au moins, mes amies semblaient être un peu soulagées d’avoir à ne plus être totalement sur leurs gardes. Je ne voyais pas les regards inquiets que mon gardien me lançait. Je ne les voyais pas, mais les sentait tout de même m’atteindre. Il se fichait de moi ? Pourquoi continuer d’être agacé par mon comportement lorsqu’il me faisait face pour au final s’inquiéter dès que je faisais quelque chose d’utile ?!
J’ignorais combien de temps nous avions marché. Mais ce qui était certain, c’était que ma magie nous avait évité de nombreuses agressions, j’avais senti la nature souffrir d’impact et être arrachée à plusieurs endroits.
Mon tunnel nous plongeait dans une pénombre naturelle, éloignée légèrement par les pouvoirs d’Alpha. Quelques lucioles prisonnières avec nous commençaient à rayonner en réponse à la baisse de luminosité.
Ignorant ma fatigue, je continuais d’ordonner à notre environnement de nous créer une protection. Je me concentrais si fort que je n’eus pas conscience de la transe dans laquelle je m’étais plongée. Mes jambes avançaient encore toutes seules. Heureusement que j’avais un bon équilibre et une bonne perception de l’espace qui m’entourait ou bien nous aurions sûrement dévié de notre trajectoire.
Éloignée de la réalité, je continuais de murmurer à la terre de faire pousser mes amies les plantes et d’ordonner à ses dernières de s’enlacer étroitement entre elles. Et ce, jusqu’à ce qu’une étrange sensation d’inquiétude me glace le sang et me fasse revenir à moi aussi sec.
Je me sentis vaciller avant de tomber à genoux sur le sol. Mon corps était en sueur, j’avais chaud et mon souffle était si cours qu’il était douloureux de respirer. Ma gorge était atrocement sèche. Combien de temps avais-je usé de ma magie ? J’étais à court de puissance.
Heureusement, j’étais assez proche de Lia et d’Alpha pour que ces dernières comprennent ma situation. Elio ne dit rien, mais se tenait tout de même à mes côtés tandis que je reprenais mes esprits. Pendant ce temps, les deux autres filles montaient le camp.
Le soir était tombé si vite. Ma transe avait dû me déconnecter véritablement et me faire perdre la notion du temps. Il n’était alors pas étonnant que je me sente autant vidée de mes forces. D’un commun accord, je pus être exemptée des tâches domestiques. Elio m’avait forcé à enfiler un pull chaud en me voyant grelotter. J’aurais aimé un peu plus de douceur lorsqu’il me l’enfila, mais je commençais à comprendre qu’il faudrait du temps à mon gardien pour me pardonner mon incartade.
Soit, j’étais maintenant trop fatiguée pour me soucier de cela.
Alpha revint avec quelques baies à se mettre sous la dent. N’ayant plus de magie pour sonder les plantes, je n’avais aucun moyen de savoir si elles étaient comestibles. Elles avaient tout de la cerise noire. Elles étaient bien charnues et avaient une odeur sucrée.
Mais d’abord, la viande séchée permit à mon ventre d’arrêter de grogner. C’était un véritable soulagement que de sentir le trajet du petit morceau glisser jusqu’à mon estomac. C’était comme me mettre une batterie de pile neuve. Enfin, ce n’était pas suffisant pour que je puisse à nouveau utiliser ma magie, mais au moins, je ne menaçais plus de m’écrouler la tête la première dans le feu.
L’heure du dessert arriva. Lia et moi piochâmes ensemble dans le petit panier. J’allais gober me cerise, comme était sur le point de faire Liabell. Mais une petite voix dans ma tête me murmura de la lâcher immédiatement. C’était le genre de murmure que l’on écoutait. Surtout, depuis ma mort imminente, j’étais prête à prendre en compte la moindre mise en garde.
Comme piquée par une abeille, je me redressai du tronc où je m’étais assise pour ma pause, tout en lâchant le petit fruit, le laissant se consumer en une flammèche d’un rouge vif.
— Ne mangez pas ces fruits ! ordonnais-je sans pouvoir masquer ma panique.
— Pourquoi ? questionna Alpha qui venait d’attraper sa portion.
— Je crois que c’est du poison !
Pour tristement illustrer mes propos, Liabell venait de tomber à la renverse après un hoquet de stupeur.
Tout le reste se passa très vite. De la mousse commença à sortir des lèvres de mon amie, elle se cambrait à s’en briser le dos, ses propres mains autour de son cou. Comme si elle cherchait à se donner plus d’air... Ou bien à s’étrangler, cela avait l’air de la même chose à mes yeux.
Alpha poussa un cri affolé et fut aussitôt au-dessus de Lia pour lui faire vomir le fruit qu’elle venait d’ingérer. Elle réussit à le faire sortir, mais le corps de Lia était toujours crispé et prit de tremblements. Les yeux révulsés, elle était méconnaissable, et ce, jusqu’à ce que soudainement, elle s’immobilisa.
Avec Alpha, nous nous regardâmes. Je ne respirais plus sous la peur d’avoir assisté aux derniers instants d’une amie très chère. Peut-être qu’Alpha pensait à la même chose tandis que son regard se perdait dans le mien.
Sans les avoir sentis monter, mes larmes roulèrent sur mes joues, en silence. Alpha semblait être mon miroir. Elle fut la première à laisser échapper un sanglot.
Elio finit par aller au-devant de la scène macabre. Si seulement j’avais été plus rapide pour alerter Lia... Si seulement je n’avais pas été aussi épuisée, j’aurais pu dire précisément ce qu’était cette funeste cerise.
— Vous l’enterrez quand même bien vite. Elle a toujours un pouls. Elle n’est pas morte. déclara Elio, sa main autour de la gorge de notre amie.
Comme pour s’assurer qu’Elio ne disait aucun mensonge, Alpha plaça sa main contre l’intérieur du poignet du corps étendu sur l’humus.
— Oui, elle est vivante, je le sens. Son cœur bat ! s’exclama Alpha que le sourire faisait d’avantage briller les yeux dans la pénombre.
Sa joie n’était pas feinte. En effet, notre petit feu de fortune semblait éclairer toute la forêt. Alpha était si heureuse que les ombres ne cherchaient plus à nous engloutir.
— Il faudrait peut-être la placer dans la tente. Il faut qu’elle soit au calme et au chaud. Je vais la veiller, je n’ai pas besoin de dormir contrairement à vous. reprit Elio.
En cet instant, je n’avais pas vraiment fait attention avec quel détachement Elio réagissait à la mort de l’une de ses amies. Mais ce n’était pas l’important. En effet, avec Alpha, nous dûment porter le corps musclé de Lia, et ce, jusqu’à la glisser dans une couverture. Sa respiration était faible, mais son souffle m’arrivait contre l’épaule, signe de la vie qui l’habitait encore. Sur cette certitude, je m’effondrais de sommeil en quelques secondes.
Annotations