Chapitre 23 : Liabell
Je me sentais bizarre. J’aurais voulu ressentir beaucoup plus de joie lorsque Zeï et Cléo étaient revenues parmi nous, mais trop inquiètes pour mon propre sort, je n’avais pas pu les étreindre comme je l’aurais voulu.
Restant silencieuse, je marchais près d’Alpha qui se perdrait en suppositions avec Zeïna. J’étais mal à l’aise, et ce malaise ne cessait d’augmenter depuis que j’étais revenue à moi après avoir failli mourir empoisonnée.
Heureusement, je ne me jugeais pas bavarde en temps normal, aussi mon mutisme ne surprit pas le reste de notre groupe. J’avais ça en moins à expliquer.
Le plus gênant dans tout cela ce n’était pas mon manque d’enthousiasme. C’était plus dérangeant que cela. Dès que mes paupières se fermaient pour quelques secondes, je revoyais quelques scènes de ce que mon esprit avait vécu dans les sortes de limbes. C’était lumineux, les images en noir et blanc, mais je voyais très clairement les deux personnages s’adresser l’un à l’autre. Je n’entendais pas ce qu’il disait. De toute manière, c’était inutile puisque je connaissais déjà la nature de leur échange.
Ces flashes, en plus d’être désagréables, me perturbaient. Était-ce parce que j’avais failli mourir que j’avais ce genre de vision ? Ou bien était-ce ma mémoire qui essayait de me faire passer un message ?
Oh, j’aurais sûrement dû en parler à mes amies, mais nous avions toutes d’autres chats à fouetter, et ne sachant pas ce que ces jeunes femmes si précieuses auraient pu faire pour me sortir de là, je préférais ne pas les inquiéter avec quelque chose qui n’était peut-être rien.
Alors, je continuais à marcher, tantôt tentée de fermer longuement les yeux, tantôt effrayée de simplement laisser mes cils cligner. Mes amies continuaient toujours de papoter en marchant devant moi. Cléofée à mes côtés était tout aussi muette que je pouvais l’être. Cependant, contrairement à moi, Cléo avait toujours quelque chose à dire. Aussi, la voir dans cet état n’était pas bon signe. L’absence de son familier la perturbait énormément et personne ne pourrait lui rendre son entrain habituel avant qu’elle n’ait retrouvé Seth.
Chacune d’entre nous vérifiait toujours la présence des écritures phosphorescentes du coin de l’œil. Je n’avais pas encore pris le temps de m’attarder dessus, mais un symbole attira mon attention plus que les autres. Sans pouvoir m’arrêter, je sentis mon pas ralentir avant de s’immobiliser devant la rune que j’arrivais maintenant à discerner tout en regardant bien en face les inscriptions.
Le symbole qui se trouvait devant moi, un A stylisé sous une toile d’araignée, je l’avais déjà vu. Il apparaissait de temps à autre dans mes visions. Lorsque j’apercevais ce symbole, il se trouvait sur la boîte que tenait MacGordon dans ses mains.
— C’est ça... m’entendis-je murmurer comme si ce n’était qu’une voix dans ma tête.
Comme hypnotisé par ses écritures, mon esprit restait accroché aux inscriptions pendant que je sentais mon corps s’éloigner. Mes muscles se contractaient et s’étiraient, mon rythme cardiaque s’était intensifié. Je connaissais trop cette sensation pour ignorer de quoi il s’agissait. J’étais en train de courir. J’étais en train de courir sans pour autant pouvoir contrôler mes mouvements.
Après quelques clignements d’yeux. Je me rendis compte que j’étais plongé dans la pénombre, les lucioles ne me suivaient plus. Les appels de mes amies résonnaient derrière moi et pourtant, je ne pouvais m’arrêter de courir. Mes tripes semblaient s’être emmêlées, c’était le même sentiment d’excitation que lorsque je courrais pendant un match des foulards rouges.
Mon bras était tendu droit devant moi, comme si j’étais sur le point d’attraper quelque chose. J’ignorais de quoi il s’agissait, mais je savais qu’une fois que j’arrêterais de courir, ce serait parce que mon subconscient aurait trouvé l’objet de sa convoitise.
Lorsque mon corps finit par s’immobiliser, quelque chose en moi soupirait de satisfaction. C’était un cul-de-sac, cependant, les gonds de la porte, ainsi que de nombreux autres symboles y étaient inscrits et se voyaient malgré les ténèbres qui m’entouraient. J’avais beau avoir une très bonne endurance acquise par la pratique d’un sport intense, j’avais tout de même le souffle coupé par ma course.
La main posée sur la porte, elle ne bougea pas, m’indiquant qu’elle était verrouillée. Au moins, je pus reprendre mon souffle en attendant l’arrivée du reste de la petite troupe. Ma tête tournait, aussi, je fis un signe de temps mort à mes compagnons pour leur faire comprendre que je n’étais pas en état de répondre à leurs interrogations.
Elinor et Alpha s’occupaient de moi, prenant ma température et m’offrant de l’eau. J’acceptais avec reconnaissance leur aide. Ma course avait été plus effrénée que je ne l’avais imaginé, mes jambes me donnaient l’impression d’avoir été sciées.
Malgré l’évanouissement qui me guettait, j’observais Zeïna qui avait les yeux rivés sur la porte. Les lucioles étaient arrivées avec la petite foule et éclairaient maintenant beaucoup mieux la gigantesque porte de bronze qui nous dominait.
— J’ai l’impression qu’il s’agit d’une porte qui demande un code. Peut-être un puzzle à rétablir avec les symboles... Déclara la savante du groupe dont le regard s’était illuminé à l’idée d’un défi intellectuel. Je ne pourrais pas le résoudre tout de suite. Vous pouvez en profiter pour vous reposer. termina-t-elle en s’asseyant à même le sol, face à la double porte imposante.
Personne ne se fit prier pour profiter de la pause. Bientôt, les sacs de couchage furent dépliés et je fus la première à m’y glisser. J’étais épuisée. Mes forces m’avaient quitté et pourtant mes yeux restaient grand ouverts sur le petit campement monté en quelques tours de main.
Zeïna s’était murée dans le silence et grignotait une tranche de viande séchée, les yeux braqués sur son casse-tête. Alpha se chamaillait avec Elinor pour une nouvelle ration de nourriture. Cléo et Elio se tournaient le dos, la jeune femme mordant avec rage sans son morceau de viande.
Je commençais à peine à m’assoupir. J’étais, lentement, mais sûrement, attirée dans le royaume des rêves. J’avais pensé que ma conscience allait pouvoir se reposer enfin après toutes ses péripéties. Mais c’était sans compter le caractère enflammé de Cléofée.
Elle venait de se redresser de son assise. Les yeux écarquillés, semblant plus vivant que jamais. Puis elle se rua sur la porte massive.
— Seth ! Seth ! hurla-t-elle au travers de la porte. Visiblement, elle venait de ressentir la trace de son familier, et ce dernier se trouvait derrière la porte verrouillée.
Dès lors, Cléo chercha à récupérer par tous les moyens une réponse de la créature. En vain, évidemment, mais elle essaya quand même. Seul un électrochoc de la part de Zeïna l’encouragea à se tenir tranquille pendant quelques instants seulement...
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