Chapitre 25 : Cléofée
Il faisait si noir. Je n’arrivais même plus à définir les limites de mon propre corps.
— Aïeuuu ! couina Elinor près de moi.
Je venais de lui mettre mon doigt dans l’œil.
— Désolée, chuchotais-je par réflexe.
Peu importe où je tournais la tête, me cognant tour à tour contre Alpha et Lia, il n’y avait aucune source de lumière nulle part.
— Alpha ? résonna la voix forte de Zeïna pour couvrir notre brouhaha ambiant.
— J’essaie, mais il n’y a que des ombres, impossible de les repousser. Les lucioles n’ont pas pu entrer dans la pièce. Nous sommes dans le noir complet.
Devant ce constat, j’eus l’impression que mon cœur tressaillit. Je m’étais toujours caché derrière la merveilleuse capacité d’Alpha pour manipuler les ombres. Car si elle pouvait éloigner les ombres, cela voulait dire qu’il n’y avait pas besoin que quelqu’un fasse de la lumière... Ou du feu. Mais là, je savais que personne ne me louperait. Et pourtant, je refusais de le faire. Tout mon être était contre cette idée.
Je ne les voyais pas, mais je n’en avais pas besoin pour sentir tous les regards me chercher et faire peser sur moi leurs attentes dans le silence. Je savais ce que tout le monde attendait et je ne pouvais pas leur accorder satisfaction.
Puis, ce que je redoutais arriva :
— Cléofée... m’appela Zeïna.
Muette, je trouvais alors que la noirceur ambiante était étrangement rassurante. Cependant, cela n’empêcha pas Zeïna de clarifier ses intentions.
— Cléofée. Il va falloir le faire maintenant. Tu es la seule qui puisse nous sortir de là. Tu vas devoir nous faire de jolies petites flammèches.
— Non.
Ma déclaration fut catégorique. Je ne pouvais pas. C’était un serment que j’avais passé avec moi-même. C’était une question de principe. Mon feu était trop dangereux pour mon entourage... Sans parler du fait que je me retrouvais totalement nue. Certes, recouverte de flamme, mais totalement nue tout de même.
— Cléo... Il va bien falloir que tu finisses par mettre la main à la pâte dans cette aventure ! Tu conviendras que nous sommes dans une situation délicate où plus personne ne peut faire le travail à ta place. reprit Zeïna sur un ton pédagogue qui ne lui ressemblait pas.
Je me sentis déglutir. Ses arguments étaient bons. Son raisonnement était juste. Je n’avais juste pas la force mentale pour le faire.
— Je ne peux pas. déclarais-je d’une voix enrouée. Et si je vous brûlais par accident ? tentais-je.
Cependant, mon essai, et surtout mon refus, sembla faire craquer le sang-froid de la tête pensante de notre groupe. Je me sentis agrippée par le col de ma veste et secouée avec violence.
— Ça suffit maintenant ! Tu vas arrêter de t’apitoyer sur ton sort deux minutes. Nous avons toutes donné énormément de nous-mêmes et de nos pouvoirs. Nos familiers ont donné énormément de magie pour que tout le monde reste en vie ! Il n’y a que toi qui cherches encore à jouer les princesses et à rester sur le banc de touche ! Je refuse de mourir ici tout ça parce que mademoiselle Cléofée a refusé de s’enflammer un petit peu ! Maintenant, tu arrêtes de faire ta gamine et tu nous éclaires ce fichu tombeau !
Elle avait crié. Tant et si bien que les derniers sons résonnèrent encore un moment après qu’elle se soit tût et qu’elle m’ait relâché.
J’étais totalement abasourdie, déboussolée par ce qu’il venait de se passer. Notre aventure nous métamorphosait tous et visiblement, Zeïna ne faisait pas exception.
Encore une fois, les arguments de Zeïna étaient justes. C’était vexant et frustrant de se voir dire toutes ses vérités. Je sentais que je pleurais, blessée d’avoir été percée à jour aussi violemment sans pouvoir rétorquer quoi que ce fut. Elle avait raison, je m’étais assez cachée.
— Alors, promettez-moi de ne pas me regarder... demandais-je au bout d’un moment, une fois que j’eus réussi à calmer tous les sanglots qui auraient pu faire trembler mes cordes vocales.
Tout le monde s’exécuta, et je retirai à contrecœur tous mes vêtements, les confiants silencieusement à Elinor. Puis, je fis quelques pas à l’écart, vérifiant que personne ne se trouvait autour de moi. Une fois fait, je fermais les yeux pour me concentrais même si cela pouvait sembler inutile.
Cela faisait une éternité que je n’avais pas usé de mon pouvoir. La création et la manipulation du feu étaient des dons difficiles à maîtriser, terriblement dangereux. C’était pour cela que j’avais été l’une des plus jeunes à avoir un familier. J’avais une très mauvaise maîtrise de mon pouvoir et Seth permettait de brider mes excès, évitant pas mal d’incendies involontaires lorsqu’une trop vive émotion me submergeait. Avec le temps, j’avais réussi à former une barrière mentale derrière laquelle le feu de mon âme restait prisonnier.
En cet instant, je devais m’atteler à briser cette barrière.
Il m’en coûtait énormément. Après tout, j’avais passé tellement de temps à forger cette protection que j’avais du mal à me souvenir de ce que c’était de ressentir le feu courir sur ma peau, laisser mes cheveux devenir un brasier ardent... Laisser mes yeux devenir de magnifiques braises rougeoyantes, laisser tout mon être n’être qu’un combustible impérissable...
Lorsque j’ouvris les yeux, ce fut pour constater que j’étais devenue la torche humaine que l’on attendait de moi. Pas un centimètre carré de ma peau n’était pas enflammé. Mais cela me donnait l’impression d’être nue face aux continents gelés. Mes pieds semblaient s’enfoncer dans la glace alors que je faisais simplement fondre doucement le sol à cause de la chaleur. Je n’avais même plus besoin de me concentrer. Cet état m’était plus naturel que n’importe quel autre... À mon grand regret.
Après un coup d’œil rapide autour de nous, j’avisais que nous étions dans une immense salle circulaire. Contre les murs, la présence de brasero me rassura. Je me dépêchais d’aller les allumer, n’ayant qu’à plonger ma main dans les récipients encore remplis d’huile.
Entendre mes compagnons soupirer d’aise de pouvoir y voir clair ne me soulagea pas vraiment. Au contraire, j’étais renfrognée de savoir que Zeïna aurait pu allumer les braseros d’un simple éclair sans que j’aie à briser toutes les défenses que j’avais érigées pour me protéger. Cette dernière ne m’adressa d’ailleurs pas un seul regard de compassion ou de remerciement. Même si je savais que c’était pour le mieux, son comportement me vexait un peu plus.
Il y avait une quinzaine de braseros. Ces derniers faisaient le tour de la pièce imposante que nous occupions. Je terminais par deux feux qui encadraient une porte similaire à celle devant laquelle Zeïna avait essayé de réfléchir.
— Super, encore un autre puzzle. marmonnais-je pour moi-même en m’installant à l’écart de tout ce qui pouvait être combustible.
Je venais de m’installer en retrait, loin des autres, lorsqu’un brusque bruit de poulie et de rouage se mit à résonner dans la pièce. Je reçus comme une nouvelle pique qui n’était autre que le regard plein de reproches de Zeï qui me transperçait.
— Tu as fait quelques choses Cléo ?
— Nan ! À part avoir illuminé vos vies, j’ai rien fait ! aboyais-je de mauvaise grâce.
Zeïna ne sembla pas prendre ombrage de mon ton agressif, car elle passa rapidement à autre chose, c’est-à-dire : la porte et ses symboles.
Cependant, les bruits qui suivaient ceux de poulie ne m’inspiraient aucune confiance, au contraire, ils m’empêchaient de croire que nous étions tirés d’affaire. Et j’aurais peut-être dû mettre en garde le reste du groupe, car quelques minutes plus tard, je lâchais un cri d’effroi en sentant un liquide me brûler de froid.
Je compris aussitôt qu’il s’agissait d’eau qui me tombait dessus. Je ne cherchai pas à comprendre plus longtemps avant de grimper dans l’un des larges braseros. Il n’y avait que dans le feu que la température me semblait viable. J’en soupirais d’aise tandis que le reste de mes amies commençaient à piétiner dans une flaque géante d’eau sablonneuse.
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