Chapitre 03 : Liabell
J'aurais dû encore m’entraîner aujourd'hui, mais j'avais trop la tête dans mes pensées pour arriver à un quelconque résultat. Aussi, je profitais de mon temps de repos pour apporter à Zeïna ses petits beignets fourrés au chocolat favori. Je savais qu'avec ça, elle m'accepterait facilement à ses côtés, et ce, peu importe ce qu'elle faisait. L'avoir avec de la nourriture était mon petit truc à moi, et je soupçonnais qu'elle n'avait encore rien vu de mon simple stratagème, aussi intelligente qu'elle soit.
Zeïna était comme un chat sauvage : impossible à approcher sans appât. Il m'avait suffi de trouver le bon hameçon.
Mes ballerines crissaient par moment sur le carrelage, me laissant grimacer sous le bruit strident. Le couloir du rez-de-chaussée était fait d'un carrelage magique qui s'illuminait lorsque la nuit tombait et que l'on marchait dessus. Sans me soucier davantage du mobilier, je grimpais quatre à quatre toute la volée de marches qui menait à la grande bibliothèque que l'Académie possédait. C'était également le sanctuaire de Zeïna. J'entrais dans la pièce géante sans hésiter un instant.
La bibliothèque s'élevait sur quatre étages. Au mur, des étagères se superposaient et parfois, une fenêtre avait était installée. Cela donnait tout un damier entremêlé de livres et de sources de lumière naturelle. On accédait aux livres par des étagères amovibles. Seul un balcon qui se trouvait au second étage et qui recouvrait un tiers de la pièce était fait pour les recherches. C'était là-bas que je comptais trouver mon amie. Mes pas étaient légers, j'étais impatiente de voir Zeï et de lui raconter ma matinée. Cependant, je fus stoppée dans ma course par le nouveau bibliothécaire. Il était là depuis quelques semaines et d'après ce qu'en avait dit Zeï, ce ne serait pas un rigolo. Je la croyais volontiers en voyant ses sourcils froncés et ses lèvres pincées.
— Je ne vois pas pourquoi vous êtes ici... Avant de lire un livre, savoir lire un écriteau me semble primordial ! m'asséna-t-il avant toute formule de politesse.
— Mais je cherche une am...
— Et vous amener de la nourriture... même les pictogrammes vous sont inaccessibles ?! Il faudrait peut-être s’inquiéter pour votre santé oculaire... Maintenant fichez le camp, j'ai d'autres chats à fouetter.
Je n'avais rien ajouté de plus que je me retrouvais à la case départ : devant la porte. Mais je ne me laisserais pas faire aussi facilement. Je me sentais insultée. D'un claquement de doigts suivi d'un large mouvement circulaire, je créais un portail dimensionnel à l'aide de mon pouvoir. Je passai simplement la tête au travers et ma tête ressortit en plein milieu du balcon d'étude. J'appelais mon amie... Personne ne prit la peine de me répondre, j'en conclus alors qu'il n'y avait personne. Je ressortis aussitôt de mon portail et l’effaça de la même façon que je l'avais créé. Il y avait du bon à avoir le pouvoir de manipuler les espaces et les dimensions... Je me félicitais intérieurement d'avoir progressé autant ses derniers mois.
Maintenant que j'étais fixée sur le lieu de résidence de Zeï, je dus marcher en sens inverse et monter bien trop d'étages à mon goût. Même si j'avais une très bonne endurance, cela ne signifiait pas que toutes les difficultés du quotidien me mettaient en joie. J'avais le dos en sueur lorsque j’atteignis le seuil de la chambre de mon amie. Je toquais et bien qu'aucune réponse ne me fût adressée, j’ouvris sans difficulté la porte. Si elle n'était pas fermée, cela signifiait que Zeï était là.
La pièce était dénuée de lumière, ce qui m'intrigua. Sans bruit, de peur de la déranger dans son sommeil, je déposai mon plateau de gâteau avant de me diriger vers la fenêtre. Je n'y voyais pas grand-chose et deviner si la silhouette dans le lit était bien celle de mon amie ou celle de son familier était chose impossible. J'avais attrapé d'une main ferme le ruban du volet roulant et m’apprêtait à le soulever quand la voix de Zeï m'arrêta.
— NON ! Ne touche à rien… m'indiqua-t-elle.
Mais je n'étais pas du genre à écouter les caprices de Zeï. Enfin, ses recommandations plutôt. Surtout lorsque cela m'empêchait de voir mes pieds. J'ouvrais alors le rideau, laissant passer la lumière sur quelques centimètres.
— Traîtresse... siffla la jeune femme qui s’était recroquevillée sous ses couvertures.
Je m'approchai inquiète de la voir encore au lit.
— Tu es malade Zeï ? Tu veux que j'aille te chercher des médocs ou bien quelque chose ? demandais-je simplement en essayant de taire mon inquiétude.
Je sursautai lorsqu'elle balança ses couettes au bout du lit et qu'elle sauta sur ses pieds avant de me faire face. Elle avait ses yeux verts olive rougis par des pleurs, cela m'interpella aussitôt. Cependant, je fus rassurée de voir qu'elle était habillée correctement, ce qui supprimait de mon esprit l'inquiétude que Zeïna aurait pu être à l'agonie.
— Qu'est-ce qu'il se...
— CE TYPE !!!! MAIS J'AURAIS SA PEAU ! Crois-moi Liabell... J'ai lu beaucoup de chose sur la façon de torturer un homme dans son genre ! Et si j'avais pu le ligoter ! Il m'aurait supplié toute la matinée de me voir m'installer définitivement dans sa bibliothèque !
Outre le fait qu'être coupée à chaque fois que je commençais une phrase m'énervait, je comprenais un peu plus la situation. Je n'ajoutai rien, préférant observer Zeï tourner en rond tout en expliquant point par point ce qui lui était arrivé.
— J'étais tranquillement assise, à relire un vieux document, quand monsieur « grand-protecteur-des-livres-anciens-et-assassin-de-la-connaissance » a décrété que j’abîmais le livre et me l'a confisqué. Bien entendu, j'ai protesté ! Mais il n'a rien voulu savoir. Il est têtu, irrespectueux, terriblement pédant et...
— Sexy ?
— Trop sûr de lui à jouer les petits patrons !
— Intello ?
— Prétentieux !
— Tout à fait ton genre ?
— Bientôt victime d'une terrible migraine ! Et ce n'est qu'un début ! termina la jeune femme aux cheveux châtains retenus par un chignon serré.
Elle s'était rapprochée de son bureau, la curiosité m'avait poussé à en faire de même. Elle souleva le torchon posé à côté de mes gâteaux.
— Un autel de torture à distance ? proposais-je un peu perdu.
— C'est le principe ! souligna la fière bourreau. HAN !!! Des Gâteaux !!! Je meurs de faim ! finit-elle avant de se jeter sur la nourriture sucrée que j'avais apportée.
Je soupirais. Ainsi donc, Zeï n'était pas dans la bibliothèque pour les mêmes raisons que moi... La voir autant en pétard n'était pas courant, généralement, elle était plutôt réservée et silencieuse. Ce bibliothécaire avait réveillé le démon qui sommeillait en elle et allait en payer le prix.
— Hum... Mais dis-moi Zeï.... Ce genre de pratique n'est-elle pas interdite dans l'Académie ?
— Bien sûre que si ! Mais je ne compte pas me faire prendre, donc on va dire que c'est comme si nous n'avions rien fait...
— Nous ? m'étranglais-je en ouvrant grand les yeux.
— Tu es devenue ma complice au moment où tu as ouvert ce volet... Je t'avais prévenu pourtant. m'expliqua l'étudiante.
— Évidemment, j'aurais dû m'en douter... Du coup, en tant que complice, tu me permettras de te dire de faire attention à tes affaires, ton absence ce matin a été remarquée, on avait cours avec Méline finalement, elle va sûrement faire un rapport à ton père...
— Moui... je vois... et la raison pour laquelle c'est Méline qui se soit occupé de notre formation à la place d'Alec ?
— Il faudra demander à Alpha, c'est celle qui est la plus au courant. expliquais-je en m'asseyant sur son lit. D'ailleurs, il faut que je te sorte dehors, histoire de te faire prendre l'air, ordre d'Alpha ! ajoutais-je en m'allongeant et en approchant ma main d'Alator, le familier lynx de mon amie.
Comme à son habitude, il montra les crocs avant de me tourner le dos. J'étais toujours aussi mal à l'aise face au comportement si peu amical du félin. Il ne supportait que Zeïna et les autres pouvaient aller se faire cuire un œuf.
Zeï soupira à mon annonce tandis qu'elle jetait un coup d’œil à l'extérieur.
— Bon... Je vais peut-être sortir pour... commença-t-elle.
— Parfait, tu vas pouvoir m'aider à m’entraîner !
— Je t’ai déjà dit que ton sport de brute ne m'intéressait pas ! répliqua-t-elle aussitôt.
— Pas pour le Foulard-Rouge... Juste pour ne pas que je me rouille question pouvoir. Tu sais que j'ai besoin de beaucoup d’entraînement...
— Oui... Je le sais... et c'est parce que je le sais que tu ne vas pas me faire le discours que tu me fais à chaque fois. J'ai dit que j’acceptai de sortir, ne me fais pas changer d'avis, veux-tu. reprit Zeï tandis qu'elle s'attachait une cape autour de ses épaules.
— Et dire qu'il ne m'a rien laissé emprunter... Terroriste ! fulmina-t-elle de nouveau.
Mais je ne lui laissai pas le temps de lancer un nouveau sortilège sur la poupée qu'elle avait créée. Lui ayant pris le bras, je la sortais de force de son antre, fermait la porte après qu'Alator eut filé puis relâchait mon amie pour lui laisser la chance de garder sa dignité à laquelle elle tenait plus qu'à sa vie.
J'étais contente, j'avais obtenu ce que je voulais, ma journée ne s'annonçait pas si mal après tout. En plus, j'étais accompagnée de Zeï qui était l'une des plus intéressantes compagnes à observer une fois lâchée en pleine nature. Je n'allais pas m'ennuyer, c'était assuré.
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