Chapitre 07 : Elinor
Son profil était parfait, les joues légèrement creuses et un léger chaume de barbe blond foncé les recouvraient. Quelques mèches blondes et châtains tombaient sur son front dirigé vers le livre qu'il était en train de lire. Le col de sa chemise blanche était relevé et ses cheveux disparaissaient ainsi cachés par le tissu. Je ne me lassais jamais de l'observer. Je pouvais le faire en toute impunité grâce au trou formé par l'absence de livre sur l'étagère qui nous séparait. Ha, que j'aurais aimé que cette étagère n’existe pas, que nos tables soient l'une contre l'autre, que nos coudes se frôlent à chaque fois que l'un de nous aurait tourné les pages de son manuel... Je ne sais même pas si j’aurais eu le courage de me concentrer sur une quelconque lecture.
Je m'entendis lâcher un profond soupire de désespoir devant cet homme si adorable et tout autant inaccessible. Cela faisait quelques années que mon cœur ne battait plus que pour lui. J'avais bien tenté de lui faire part de mes sentiments lorsqu'il était célibataire, mais quelque chose m'en avait toujours empêché et cette chose n'était autre que la « petite amie » affreuse et acariâtre de mon bel Apollon.
Astrid. Toutes les nuits je rêvais que Sean se rendait compte de l'énorme erreur qu'il avait faite en mêlant sa vie à celle de cette fille démoniaque. Au fond de moi j’étais persuadée qu'elle avait ensorcelé ce garçon trop gentil pour son bien et profitait dès lors sans vergogne de lui. Pauvre Sean, si seulement j'avais le courage de le secouer ou de lui offrir un baiser d'amour sincère pour briser le charme.
Je me réveillais en sursaut, ma tête venait de cogner douloureusement sur la table après être tombée de ma main. Je m’étais assoupi en plein milieu de la bibliothèque et entendais déjà le rire étouffé d'Astrid qui semblait m'avoir surprise.
Je ne pus rien faire à part me lever précipitamment, rouge de honte et de colère, mêlées à une trop puissante envie de faire faire un tour de cent soixante degrés à la tête de cette pauvre fille dont l’existence aurait dû m'être totalement inconnue.
Mon livre sous le bras, je me dirigeais d'un pas furieux en direction du bureau d'accueil où le registre des emprunts était ouvert. Je notais rageusement mon nom, le titre de l'ouvrage avant de signer en dépassant du livre sous le coup de la colère.
Puis, je sentis une main chaude se poser sur mon épaule dénudée à cause de mon t-shirt qui avait un peu glissé. Ma tête se tourna, mon livre prêt à frapper la personne qui osait arrêter mon élan pour aller me cacher et mourir de honte sous un escalier de l'école.
Mon regard émeraude croisa sans détour celui bleu nuit de l'homme qui avait volé mon cœur. Ce cœur loupa d’ailleurs un battement... ou plusieurs, de toute manière, je n'étais plus assez concentrée pour savoir si j’étais encore en vie ou toujours dans un rêve.
— Je t'ai fait peur ? me demanda-t-il en m’offrant un sourire espiègle.
Mes joues me brûlaient d'une agréable chaleur et devant ce sourire, mon mal-être s'envola aussitôt, m'obligeant à sourire à mon tour.
Ne cherchant plus à me défendre, je desserrai ma prise sur mon livre de botanique et le plaça simplement sous mon bras tandis que de ma main libre je replaçais une mèche de mes cheveux derrière mon oreille.
— Non, juste un petit peu surprise, c'est tout... C'est rare que tu viennes me parler... Alors je ne m'y attendais pas... expliquais-je en essayant de ne pas tomber dans les pommes devant toute cette distance supprimée entre nous. De plus, au coin de l’œil, je voyais Astrid furibonde qui serrait les poings et la mâchoire. Moi, je jubilais complètement et faisait de mon mieux pour que rien ne transparaisse.
— Il faudrait qu'on se parle un peu plus souvent, comme ça, tu ne seras plus surprise. Mais je voulais juste te signaler que tu avais fait tomber ça. m'annonça le bel homme en plaçant une marguerite dont les pétales blancs et roses s'agitaient à ma simple présence.
Les yeux grands ouverts, j'observais Sean en alternance avec la petite plante. Il m'offrait une fleur ? Une de mes fleurs ? C'était vraiment pour moi ? Je n'étais alors plus capable de parler.
— Ha moins que... Tu t'en fiches... J'aurais peut-être dû la laisser par terre au lieu de t'embêter avec ça.
Littéralement, mes cordes vocales semblaient avoir disparu, tout comme mon cœur semblait avoir doublé de volume. Je me sentais oppressée par tant de bonheur, complètement submergée. Je ne pus faire autre chose que de secouer la tête de gauche à droite avant de prendre délicatement la plante et la replacer dans les plis de ma tresse... Tout cela avant de lui offrir un simple regard empli de gratitude puis de filer hors de la bibliothèque, me faisant incendier par le bibliothécaire pour ma course sur trois ou quatre mètres.
Un sourie béat planté sur mes lèvres et le regard dans le vide, j’errais pendant plusieurs minutes dans les couloirs interminables de l'école avant de passer devant la salle à manger de notre promotion et d'esquiver par réflexe un objet qui semblait avoir été préalablement jeté, accompagné d'éclats de voix aiguës et de mots extrêmement agressifs. Cléofée et Magnus s'étaient sûrement croisés dans cette pièce. Pourtant tout le monde faisait attention à ce que ces deux-là ne se croisent pas à l'heure du dîner. Mais peu m'importait, cela ne suffisait pas à faire disparaître toute la joie que je contenais alors. Je ne cherchai même pas à retenir ma meilleure amie, je savais que dans ces moments-là, elle aurait été capable de me blesser. Néanmoins, elle n'utilisait toujours pas ses pouvoirs ce qui attestait qu'elle arrivait toujours à contenir son irritation pour son ex. elle m'impressionnerait toujours. D'autant qu'elle pouvait haïr ce type, elle ne perdait jamais pied et réussissait à tenir ses idéaux.
— Le fruit commence à mûrir... Je répète, le fruit commence à mûrir… me chuchota Zeïna au creux de l'oreille.
Je ne l'avais pas vue présente et je ne l'avais pas non plus vu arriver. Elle semblait aussi satisfaite que moi de sa journée et cela me faisait vraiment plaisir. Au moins, je n'étais pas la seule à sourire devant la scène de ménage que nous offrait Cléofée.
Cependant, je dus me concentrer pour décoder le message de mon amie. Un fruit ? De quel fruit parlait-elle ?
Elle était sur le point de m'expliquer quand mon expression de surprise l'en empêcha. Oui je venais de comprendre ce à quoi elle faisait référence. J'étais contente pour elle quoiqu'un peu honteuse de ma participation à son sortilège interdit.
— Un fruit ? Vous faites de la culture dans ta chambre, Zeïna ? balança sans gants Elio qui venait d’apparaître.
Sa bonne humeur et sa curiosité étaient sans bornes, aussi, je croisais les doigts pour qu'il ne me demande aucun compte sur ma bonne humeur. Après tout, il avait le chic de me faire retomber de mon petit nuage lorsque l'on abordait le sujet de Sean.
— Oui, c'est l'idée. Tout cela pour faire tomber de haut les pauvres pommes ! ironisa Zeï avant de s'en aller... à croire qu'elle ne m'avait trouvé que pour m'annoncer sa réussite.
Je soupirais devant sa fuite avant de reporter de nouveau mon attention devant le duo comique et dangereux.
— Des pauvres pommes ? C'est dommage de mettre autant d’énergie pour de « pauvres » fruits. Enfin, je suppose que c'est un début. conclut seul mon gardien qui semblait apte à faire la conversation seul.
Au bout de quelques minutes, je finis par quitter la salle à manger, à mon tour lassée des éclats de voix et des insultes peu élégantes proférées par mon amie aux cheveux rouge. Je profitais de mon temps libre pour aller prendre une douche, mes idées toujours rivées sur le couple de Sean et Astrid...
— … Après si tu veux mon avis, c'est une perte de temps d'essayer de créer des arbres fruitiers en intérieur. Enfin, je suppose que tu le sais déjà. continua le spectre tandis que j'entrais dans la cabine de douche et qu'il restait à l'extérieur.
Je ne trouvais pas cela dérangeant, Elio avait toujours été proche de moi et tout en étant trop proche de moi, il avait toujours su respecter mon intimité.
— Elio, Zeïna ne parlait pas vraiment de plantation... c'était une sorte de code, tu sais ?
— De code ? Mais un code pour quoi ? Elinor... tu me caches des choses. Je dois tout savoir ! Je suis ton gardien, je suis sensé être pire que ton journal intime ! me menaça-t-il gentiment.
Je fronçai les sourcils tandis que mon visage prenait l'eau.
— Secret de fille... et ne me dis pas que tu resteras muet comme une tombe parce que tu es mort ! Je suis certaine que tu serais capable de vendre la mèche à Cléo.
— Vous êtes terriblement injuste, maîtresse, jamais je n'oserais trahir votre confiance de la sorte et... essaya-t-il se de rattraper tant bien que mal.
— Jamais… comme quand tu lui as dit que j'avais abîmé son bracelet préféré ? le piégeais-je trop facilement à mon goût.
— Y'a prescription là. Elle aurait fini par faire une syncope si personne ne lui avait dit la vérité.
Je ne répondis pas, il avait raison et je ris en me souvenant parfaitement de la scène. Néanmoins, ce n'était pas une raison suffisante pour que je lui confie ce secret. Je restais donc muette pour le reste de ma douche, essayant de me convaincre que la magie ne devait pas m'aider à conquérir le cœur de Sean... tout en étant extrêmement tentée de le faire tout de même.
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