Lorsque Philippe revint avec les verres de whisky, ils commencèrent par échanger quelques mots sur la 2cv que Harold tenait de son grand-père et à laquelle il tenait beaucoup. C’était une Charleston de 1990 et Harold venait d’en achever la restauration.

Mais rapidement, Philippe arriva au sujet autour duquel il avait prévu de faire tourner la soirée.

• Je te propose un jeu.
• Carrément, j’aime jouer, que proposes tu ?
• Un jeu un peu particulier … , le jeu de la vérité.
• Qui consiste en quoi ?
• C’est très simple, nous déterminons six sujets, choisis en commun et chacun pose une question à l’autre en rapport avec ces sujets.
  Les questions sont rédigées sur des papiers de couleurs différentes, par exemple vert pour moi et bleu pour toi.
  Tu réponds aux questions que je t’ai posées et inversement, je réponds aux tiennes. Nous tirons alternativement les questions dans nos piles respectives, sans ordre particulier.
  Il faut s’engager à y répondre de façon sincère. Mais, une fois et une seule, dans le jeu, il est possible de retourner la question vers celui qui l’a écrite et alors c’est à lui de répondre.
  Chacun ne tire que cinq questions et la dernière est détruite sans avoir été lue.
  Si une question n'est pas assez explicite, il est possible de la faire préciser, mais uniquement avant de commencer à répondre.
  Dernière règle, il faut se contenter des réponses données et on ne peut pas demander de précisions, compléments ou explications. Cela te dit ?
• Oui, ça m’a l’air cool, on peut essayer.
• Alors allons y. As-tu des sujets en tête ?

Harold réfléchit quelques instants.

• J’en ai effectivement, mais j’aimerais que tu proposes les premiers, cela me permettra de voir si les miens sont ok.
• D’accord. Le premier pourrait être relatif au vécu de chacun de nous. Des expériences marquantes de notre vie, par exemple.
• Ok, ça me va. J’aurai de la matière.
• En second, nous pourrions nous projeter dans quelques années. Que serons nous dans dix ou vingt ans, comment le monde aura évolué ? A la différence du premier il s’agit ici d’imaginer et non pas de relater un épisode vécu. C’est un peu plus difficile.
• Ah oui, ça c’est sûr. Je ne sais pas ce que je ferai dans un mois, alors dans dix ou vingt ans, je ne te dis pas. Mais pourquoi pas ?
• Et voilà deux sujets, à toi maintenant.
• Je ne sais pas si c’est correct, mais j’aimerais que tu m’en dises plus sur ton parcours et comment tu es arrivé à avoir tout cela. Tu sembles avoir réussi, si cela veut dire quelque chose. Je voudrais savoir comment tu as fait. Mais je ne sais pas à quel thème rattacher cela. Peut-être carrière ? mais pour ma part elle vient de commencer donc ça ne marche pas.
• Ce n’est pas parce que je suis architecte, mais on pourrait peut-être utiliser le terme construction. Comment s'est-on construit dans la vie, dans le boulot, dans l'amitié, ...
• Oui c’est tout à fait cela. Voilà donc mon premier sujet. Il en reste encore trois à trouver.
• Un autre sujet pourrait être relatif à nos sentiments ou à notre vécu intime. Ce n’est pas forcément facile mais probablement intéressant.
• Oui pourquoi pas ? Mais la règle du jeu obligeant à des réponses honnêtes, cela pourrait être gênant si la question était trop personnelle.
• Je te rappelle qu’il est prévu de pouvoir retourner une question. Donc celui qui pose une question un peu trop crue prend le risque de devoir y répondre lui-même.
• Alors ok, cool. Encore deux sujets
• ...
• ...

Les sujets suivants n'arrivèrent pas à les satisfaire. Soit ils étaient trop généraux, soit sans intérêt réel pour eux deux. Furent ainsi écartés le sport, la politique ou la religion. Le thème des voyages aurait pu leur convenir, mais ils estimèrent qu'il pouvait être trop lisse pour avoir un intérêt ce soir.

C'est Harold qui proposa la solution :

• Puisque nous n'arrivons pas à trouver les sujets qui nous manquent, je propose que nous ne nous imposions pas de thème. Laissons les questions libres, on verra bien.
• Et pourquoi pas. C'est une bonne idée.
• J'y rajouterai peut-être une condition : un même sujet ne pourra faire l'objet de plus de deux questions. Cela te va ?
• Super. Il n'y a plus qu'à passer aux questions.

Harold choisit de rédiger ses questions sur des post-it verts et Philippe porta donc les siens sur des supports bleus. Bien qu’ils aient déjà pu imaginer les questions en réfléchissant aux sujets, ils mirent un certain temps à les rédiger, en particulier Harold à qui il restait deux post-it vierges alors que Philippe les avait tous remplis.

L’impatience de l'architecte commençait à se faire sentir.

• Ça va, tu vas y arriver ? Tu ne devais pas penser que ce serait si difficile quand tu as accepté ce jeu..
• C'est bon, ça y est ! lui répondit le jardinier en pliant son dernier post-it pour le noyer dans la pile qu’il avait déjà constituée.

Le jeu pouvait commencer.