Chapitre 2
Je faisais partie des participants les moins fortunés, obligés de s'approvisionner aux distributeurs. L'estomac noué, consciente que je n'avais rien avalé depuis le matin, j'hésitais, prête à monter au dortoir le ventre vide. Les gens faisaient la file devant moi, se retournaient pour me sourire. Certains repartaient avec un triste sandwich de pain blanc industriel, d'autres avec un sac de craquelins. Une jeune femme s'avança vers moi.
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- N'hésite pas. Tu dois manger quelque chose, les prochaines journées seront intenses.
- Je ne sais plus si j'ai faim.
- Tu n'es pas tombée dans les pommes pour rien. Tiens, il me reste un Mars. Je m'appelle Stella.
- Mariloup.
Elle rit.
- Tout le monde te connaît ici. Tu montes avec moi ?
Stella partageait mon dortoir. Elle me prit la main et me conduisit.
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La vaste résidence d'été se partageait en deux ailes, l'une pour les bien nantis, climatisée, et l'autre pour les pauvres. Dans notre dortoir s'entassaient des gens de toutes nationalités. Des couples se serraient dans des lits si étroits qu'on pouvait voir leurs chairs émerger de chaque côté des matelas.
- Il faut souffrir pour accéder à la conscience de soi, rigola Stella.
- Je crois que je vais vomir. Le Mars ne passe pas.
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Des gens patientaient devant les sanitaires. Je fis demi-tour, dévalai l'escalier, et sortis à l'air libre. Ma chemise me collait au corps. Une atmosphère lourde pesait sur les arbres et les buissons, leur feuillage à peine effleuré par la brise. Je fus surprise de ne voir personne sur la vaste pelouse plongée dans une pénombre percée d'un rayon de lune. J'avançai. L'idée de retourner à la promiscuité du dortoir me révulsait.
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Ma nausée s'apaisait. L'air du soir me libérait un peu de ma fatigue. Je m'engageai au milieu des buissons, marchai en quête d'un banc où je pourrais me reposer et reprendre mes sens. L'animation de la journée, les cris, les applaudissements sonores, l'écho de la salle qui répercutait les voix, les chairs suantes, tout ça m'avait tuée. J'étais prête à me rouler en boule et à dormir à la belle étoile, comme une clocharde.
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Au milieu des buissons, à quelques dizaines de mètres, brillait ce qui semblait être une nappe d'eau. À mon arrivée, je n'avais pas eu le temps de considérer l'étendue du domaine de Dave, l'une de ses nombreuses possessions. Lui-même, disait-on, habitait un pavillon retiré, aux murs blancs, à la simplicité orientale. Il s'imposait une discipline de samouraï.
Je hâtai le pas, toute à mon désir d'eau fraîche.
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Devant moi, la lune dessinait un lac d'une blancheur laiteuse. Des grenouilles coassaient leur amour. Une cigale chantait l'été. Un léger clapotis, suivi d'un brusque mouvement de l'eau me firent sursauter. Un homme massif se hissa sur la jetée de bois, projeta des gerbes d'argent sur les lattes. Sa peau lustrée par la baignade révélait une musculature puissante. L'astre du soir découpait sa silhouette de manière quasi fantomatique. Dave.
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Je le regardai s'éloigner, son corps nu se perdit au milieu des cerisiers. Je fus tentée de le suivre, mais me retins. S'il m'avait aperçue le guettant dans son intimité, qui sait de quelle manière il m'aurait accueillie. J'attendis un moment, puis me dévêtis. En empilant mes vêtements trempés de sueur, je me félicitai d'avoir dans mon bagage des robes légères.
J'avançai doucement dans l'eau, goûtai de tous les pores de ma peau sa fraîcheur.
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Je basculai sur le dos et sombrai dans mes pensées, nue sous la lune. L'épreuve du séminaire s'avérait pire que tout ce que j'avais appréhendé. La journée avait été dure. Et pourtant, j'avais été choisie. Mais pourquoi tout ce bruit ? N'aurait-on pas pu se recueillir au bord du lac, au milieu des chants de la nature ? Pourquoi cette promiscuité ? Quel était le lien entre l'homme qui savourait la solitude du lac et le motivateur hurlant ?
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Je fus surprise, à mon retour au dortoir, de ne trouver aucun lit de libre. Je ressortis, cherchai en vain un membre du personnel, revins, perplexe. Une voix m'appela : Stella. Je la rejoignis, elle me fit de la place à ses côtés, me chuchota un faible bonne nuit, et se rendormit. Je restai là, pensant que je ferais part de cette erreur de logistique le lendemain. Je me souvins que je n'avais pas appelé mon mari.
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