Chapitre 17 : Retenez-moi, je vais l’étrangler !

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Nantes, le 4 janvier 2022

— Vous ne connaissez pas la dernière ?

— Non, mais j’ai hâte de vous entendre, Gwendoline, répond Véronique malicieusement.

La thérapeute est vêtue d’un pantalon de cuir très tendance et d’une blouse au tombé parfait. L’ensemble est très seyant et bien que d’une humeur massacrante, Gwendoline apprécie le bon goût vestimentaire de sa spécialiste. Elle continue sur sa lancée :

— Konrad est le dernier des connards. Mais genre vraiment. Un très très gros connard.

La jeune femme, très remontée, soupire comme si elle voulait évacuer le trop plein de contrariété qu’elle avait accumulé en elle depuis des jours.

— Que s’est-il passé pour que vous soyez dans un pareil état dès le début de l’année ? interroge Véronique, quelque peu amusée.

— Tout a commencé quand cet abruti a commenté une de mes photos sur Instagram.

— C’était méchant ?

— Non, pas du tout, au contraire. Il m’a complimenté. En privé, via Messenger, il m’a écrit, un soir, en me confiant que me voir nue sur la photo, lui rappelait de bons souvenirs.

Les bons souvenirs auxquels Konrad faisait référence portaient tous, bien évidemment, sur leurs ébats sexuels, puisque le jeune homme ne pouvait s’empêcher de la mettre à quatre pattes à chacune de leur partie de jambes en l’air. Il avait décrété que sa chute de rein le rendait complètement fou, au point qu’il devait systématiquement finir dans cette position pour profiter de ce spectacle. Au début, Gwendoline avait trouvé ça amusant, mais rapidement, elle s’était sentie de plus en plus utilisée comme un objet sexuel visant à assouvir les fantasmes de son partenaire, tandis que son plaisir à elle paraissait secondaire.

— Malgré l’heure tardive, j’étais encore réveillée, reprend-elle en chassant ce souvenir de son esprit. Je ne lui ai pas répondu d’emblée car je voyais bien où il voulait en venir. Vous voyez ce que je veux dire.

Véronique hoche la tête d’un air entendu. Difficile de ne pas voir où sa patiente veut en venir effectivement. Cette dernière continue de dérouler le fil de son histoire, veillant à prendre un léger ton mélodramatique qui semble parfaitement adapté à la situation :

— Konrad me relance toujours pour que l’on se revoit. Un jour, il m’avait même demandé si j’accepterais de le recevoir en tant que client et combien cela lui coûterait. Je lui avais dit que c’était mort et il n’avait pas insisté. Mais ce n’est pas la question, je m’égare, pardon. Revenons à nos moutons. Comme j’ai fait la sourde oreille à son message, il est parti dans un monologue où il me racontait sa vie sexuelle. Parce que voyez-vous, Monsieur a un plan cul, voilà comment il m’a présenté les choses.

La patiente réfléchit un instant et lève la main pour se corriger :

— Ah non, pardon, voici ses mots exacts : Monsieur baise une étudiante.

Véronique ouvre des yeux tout ronds, probablement aussi surprise que Gwendoline l’a été lorsqu’elle a reçu l’information pour la première fois.

— Rappelons-nous que ce mec n’a pas arrêté de me bassiner avec son respect des femmes… blablabla… Non mais laissez-moi rire. Et ce n’est pas le pire, croyez-moi. Accrochez-vous, vous n’allez pas être déçue.

— Ah oui ? Je m'accroche, je m'accroche, dit la thérapeute en souriant et en attrapant les accoudoirs de son fauteuil.

— Je ne sais pas s’il était bourré mais à mon avis, vu l’heure avancée, il ne devait pas être très frais. S’en est suivi une description à vous faire dresser les cheveux sur la tête. Konrad m’expliquait que son étudiante était pas mal, mais sans plus, en précisant qu’elle n’était pas aussi bien gaulée que moi. La jeune femme appréciera sûrement tout le respect que ce débile a pour elle… J’étais tellement écœurée de lire cela que j’ai mis mon portable en mode avion car mon palpitant commençait sérieusement à s’emballer et j’étais en train de perdre tous les bienfaits de ma méditation. Le lendemain, une surprise m’attendait au réveil… Attention Véronique, heureusement que vous êtes assise. Vous n’allez pas en croire vos oreilles !

Gwendoline respire un grand coup et, pour amplifier l’effet théâtral de son annonce, elle attend quelques secondes avant de lâcher sa bombe, en parlant très distinctement et lentement :

— Dans le message, il avait ensuite ajouté : par contre, elle n’est pas aussi cochonne que toi. COCHONNE. Oui, oui, Véronique, vous avez bien entendu !

La thérapeute prend un air navré, comme si elle se mettait à la place de sa patiente. Pleine d’empathie, son visage montre sa désapprobation envers les propos de Konrad.

— Non, mais sérieusement, vous pouvez croire ça ?? Ça m’a sciée en deux ! Cochonne, moi ? Mais il est tombé sur la tête ce pauv’garçon ! Mais quel imbécile ! Mais quel putain de connard de merde !

— Effectivement, je comprends votre colère, Gwen. C’est vraiment rabaissant de parler de vous ainsi.

— Imaginez un peu l’effet que cela m’a fait en lisant cela au petit déjeuner ! j’en ai recraché mon café ! Lui, à qui j’avais donné ma confiance, à qui j’avais présenté ma fille ! Un mec à qui j’avais ouvert mon cœur, pour lequel j’avais commencé à nourrir des sentiments, voilà ce qu’il a retenu de notre histoire ? Que j’étais une cochonne ? Mais quel gougnafier !

— Lui avez-vous dit que cela vous choquait, suite à la lecture de son message ? demande la praticienne qui prend des notes dans son grand cahier.

— Bien sûr ! Je lui ai dit que j’étais outrée qu’il parle de moi ainsi et que ce n’était pas digne de quelqu’un qui prônait le respect des femmes. Alors, il s’est excusé et s’est corrigé et a dit : elle n’est pas aussi ouverte d’esprit que toi, si tu préfères. Ben tiens ! Évidemment que je préfère, débilos. Mais c’était trop tard. Comme si cela changeait quelque chose désormais. Ouverte d’esprit, mon cul !

Gwendoline se lève d’un bond et commence à arpenter la pièce de long en large. S’excusant auprès de sa spécialiste, elle explique qu’elle a besoin d’évacuer sa rage.

— Oui, il y a de quoi être en rage face à ses propos, confirme la thérapeute. A votre avis, qu’est-ce qu’il entend par « cochonne » ? Et pourquoi cela résonne-t-il si fort en vous ?

Assise dans son fauteuil, elle attend patiemment la réponse tout en suivant du regard le va-et-vient énervé de la jeune femme.

— Cet abruti a dit ça parce que je suis une femme libérée au lit. J’assume ma sexualité, je n’ai pas honte de rechercher à prendre du plaisir, avec un homme ou seule. J’encourage d’ailleurs la masturbation. J’aime le sexe, c’est vrai, mais au même titre que j’aime la bonne bouffe, les bons livres ou dormir ! Il n’y a rien d’exceptionnel là-dedans. Le sexe fait partie de la vie et contribue à notre épanouissement. Ce n’est pas réservé qu’aux hommes ! J’en ai tellement marre d’entendre ce discours d’arriéré ! Quand est ce que les femmes pourront revendiquer le droit de vivre une sexualité saine et pleinement satisfaisante sans passer pour des salopes, des grosses putes ou des cochonnes ?

— Les choses vont en ce sens actuellement mais les changements sont lents, il est vrai. Dans tous les domaines. Une étude a montré que désormais les hommes participaient à hauteur d’une minute de plus par jour aux tâches ménagères.

— C’est une blague ? Une minute ? Ça va, ils ne risquent pas le claquage… ironise la jeune femme en levant les yeux au ciel.

— C’est ridicule comme avancée mais on peut espérer que les choses s’améliorent pour plus de parité.

— Vous voulez que je vous dise, Véronique. Tout ça, c’est de notre faute, en vérité. C’est la faute des femmes. Vous savez pourquoi ? Parce qu’elles laissent faire ce genre de choses. Si les femmes refusaient de faire le ménage au lieu de le faire seule à la place de leur mec, on n’en serait pas là aujourd’hui. Et c’est pareil pour tout ! Prenons l’exemple de la sexualité. Combien de femmes acceptent qu’un rapport sexuel soit terminé dès lors que l’homme a joui ?

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