Chapitre 19 : Poisson d’avril ?

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Nantes, le premier avril 2022

Tout en appliquant son mascara, Gwendoline repense à sa dernière discussion avec le photographe breton qu’elle doit enfin rencontrer aujourd’hui.

Erwann.

Voilà plusieurs semaines qu’ils sont en contact et c’est ce soir qu’a lieu leur première séance photo. Bien que très motivés pour travailler ensemble, ils ont eu beaucoup de mal à caler une date qui leur convenait à tous les deux, car ils sont soumis à nombres d’obligations familiales et professionnelles chacun de leur côté.

Tandis qu’elle étale son rouge à lèvres mat au pinceau, Emma, sa fille, entre dans la salle de bain en chantant, ou plutôt en massacrant le dernier tube à la mode.

— Je peux en mettre steuplaît ? supplie-t-elle sa mère en attrapant le magnifique objet qu’elle crève d’envie d’essayer.

— Pour aller à l’école ? Quelle délicieuse idée, ma puce. Ton prof va être ravi.

— Tu peux au moins m’en donner un.

— Même pas en rêve, rétorque la mère en lui prenant des mains le rouge à lèvres que sa fille n’a, en théorie, plus le droit de toucher.

Gwendoline avait eu la désagréable surprise de découvrir, un de ces derniers matins, son précieux produit cosmétique abîmé et la coupable se tenait présentement à côté d’elle.

— T’en as deux et ils sont tellement beaux, renchérit la gamine admirative, en caressant la coque brillante et pleine de strass de l’étui qui protège l’élégant produit de maquillage.

— Ma chérie, tu n’as que dix ans ! s’exclame la maman, un tantinet exaspérée d’avoir cette conversation chaque jour que Dieu fait. Aucune enfant de ton âge ne possède de rouge à lèvres rouge vif et encore moins un de ces superbes Guerlain, qui valent les yeux de la tête. Et puis de quoi j’aurais l’air si je laisse ma petite fille de dix ans parader dans la rue avec la bouche peinturlurée. Je me ferais encore remonter les bretelles par Papa.

— Tu m’en donneras un quand je serai plus grande, alors ?

— Je t’achèterai toute la collection si tu veux, promet la maman avec sincérité en recoiffant les cheveux auburn de sa fille. Mais quand tu auras l’âge.

Bientôt, Gwendoline offrira à sa fille tout ce qu’elle désire, encore plus qu’elle ne le fait aujourd’hui. Bientôt, leur vie va changer et devenir encore plus abondante qu’elle ne l’est actuellement. C’est ce qu’elle souhaite, en tout cas, et ce pourquoi elle doit encore travailler.

— C’est vrai ? insiste la petite, pour entendre encore une fois les douces paroles qui transforment ses rêves en réalité.

— Bien sûr. Tu auras tout ce que tu voudras, ma beauté. Je fais tout pour. C’est mon objectif et je me lève chaque matin pour le réaliser.

— T’es la meilleure des mamans, tu le sais hein ?

— Bien sûr que je le sais, répond la mère en lui faisant un clin d’œil avant de retourner à sa préparation. Et toi, tu es la meilleure des petites filles, mon amour. Mais pour le moment, il est bientôt l’heure de partir à l’école et j’aimerais que l’on s’active toutes les deux pour éviter d’être en retard, comme cela nous arrive à peu près un jour sur deux.

Emma retourne dans sa chambre comme une fusée pour terminer de s’habiller. Comme d’habitude, elle a abandonné ses vêtements de la veille sur le sol de la salle de bain, au lieu de les placer dans le panier à linge sale, ce qui ne manque pas de contrarier légèrement Gwendoline, qui l’invective à travers les murs :

— Emma, t’exagères quand même ! Je ne suis pas ta bonne !

Malgré ses soupirs de lassitude, elle ramasse ce qui traîne et termine de se maquiller. La mère célibataire a sa fille en garde principale et jongle au quotidien entre son travail de masseuse érotique, son activité de modèle photo et l’éducation de sa princesse, dont elle fait une priorité. Ses semaines ne sont donc pas de tout repos.

Depuis le jour de sa publication sur le groupe Facebook, les deux week-ends où Gwendoline est libre chaque mois ont été pris d’assaut par les nombreux photographes qui l’ont sollicitée. Voulant vraiment percer en tant que modèle, Gwendoline s’était montrée très disponible afin de répondre à un maximum de demandes. Son carnet d’adresse avait rapidement gonflé et son book papier s’était rempli si vite qu’elle avait dû en constituer un second dans la foulée.

Ce début d’année avait tenu toutes ses promesses.

Elle en avait d’ailleurs complètement oublié Konrad.

Lorsque, courant Février, elle avait enfin pris connaissance du message envoyé par Erwann, tombé malencontreusement dans ses spams, il était déjà trop tard pour caler un shooting en début d’année. Son agenda affichait alors complet et il ne lui restait plus aucun jour de libre pour le premier trimestre.

Elle s’était bien sûr excusée auprès d’Erwann, expliquant la raison de son silence. Il n’avait pas eu l’air de s’en formaliser et lui avait proposé aussitôt de fixer une date pour avril, pour un shooting en plein air, au coucher du soleil.

À midi, alors qu’elle vient de terminer son troisième client de la matinée, Gwendoline reçoit un message de son photographe, qui l’informe qu’il a tout préparé pour leur séance du soir et qu’il est en route vers Nantes.

À midi et demi, une bulle de sa messagerie instantanée s’ouvre sur l’écran de son téléphone. Son ex, Konrad, la prévient qu’il est de passage sur Nantes et que si elle veut le voir, elle peut le contacter. Tandis qu’elle envoie une réponse aimable et polie au premier, le second se fait vertement rabrouer : « Plutôt crever. » Les propositions à peine voilées et les demandes de son ex pour la revoir ne cachent rien de son idée fixe : recoucher avec elle.

Même si elle est toujours célibataire, Gwendoline a d’autres attentes, plus en accord avec la nouvelle personne qu’elle est. Désormais, elle sait très bien où aller et le lit de Konrad est bien le dernier endroit où elle veut se retrouver.

Ces derniers mois de célibat ont porté leurs fruits car elle a pu se concentrer sur ce qui était important pour elle. Sa fille, qui a toujours été sa priorité, et son bien-être. Elle a multiplié les séances photo et continué les séances chez sa thérapeute. Elle a pris soin d’elle et de ses pensées.

Grâce à cela, Gwendoline sent que quelque chose a changé en elle. L’amour qu’elle se porte a pris son envol, comme libéré d’un carcan trop étroit.

Cette nouvelle perception d’elle-même, plus douce et clémente, lui offre la certitude qu’elle n’embrassera plus jamais de crapaud comme Konrad. Elle ne sait pas comment cela se produira mais laisse l’Univers créer les conditions parfaites de sa nouvelle histoire.

Comme elle se plait souvent à le répéter : la vie a plus d’imagination qu’elle.

Il est maintenant dix-huit heures lorsque Gwendoline termine de se préparer pour sa séance photo. A cette heure-ci, son ex-mari est déjà allé chercher leur fille à la sortie de l’école. C’est son week-end en solo et elle compte bien en profiter.

La modèle sourit dans le miroir en appliquant une dernière touche de blush « terre de bronze ». Puis, d’un geste fluide, elle s’enveloppe d’un léger voile de son parfum favori, dont elle adore l’odeur sucrée, envoûtante et gourmande.

Ainsi parée, elle se sent prête, puissante, invincible.

Le reflet que la jeune femme observe dans la glace lui plaît. Tant physiquement que moralement. Elle est fière d’elle et de son parcours rempli d’obstacles, de voies sans issue et de chemins de traverse. Elle savoure la perfection de son itinéraire alambiqué, car elle comprend à présent combien toutes ces embûches l’ont façonnée et rendue plus forte.

Elle a su rebondir après les échecs qu’elle a essuyés.

Ce qui ne tue pas nous rend plus fort. Un vieil adage dont elle mesure parfaitement la portée et la beauté. Son cœur est gonflé de gratitude en regardant en arrière. Tout ce qu'elle a vécu l’a construite et a fait d’elle la femme déterminée qu’elle est aujourd’hui.

Enthousiaste, elle relie le mantra qu’elle a écrit sur un post-it, collé sur son miroir : « J’attire à moi un homme qui cherche ce que j’ai à offrir et qui est prêt à me donner ce que je mérite de recevoir. »

Elle a confiance en sa bonne étoile.

Elle croit aux miracles.

Rien n’est impossible à celui qui s’accroche fermement à ses rêves et qui avance avec foi sur le chemin de son destin.

Impossible, c’est « un possible », se répète-elle pour elle-même.

Elle suit son plan.

Pleine de reconnaissance pour sa vie et les enseignements de son passé, elle s’empare de son sac et ouvre la porte d’entrée pour aller conquérir le monde.

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