Chapitre 49 : Tu veux ma dickpic ?

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Gwendoline se sent tellement impuissante.

Comme toutes les addictions, la boulimie est un piège qui se referme doucement sur la jeune femme. Les conséquences de ses compulsions alimentaires sont devenues tout aussi difficiles à supporter que ce qu’elles essayaient en vain de masquer. La boulimie est une arme qu’elle a utilisée pour se protéger et se défendre de ce qui la faisait souffrir. Mais, à présent, l’arme se retourne contre elle.

La patiente se sent reconnaissante envers cette maladie qui lui a permis de survivre et d’affronter le quotidien lors de périodes très douloureuses, après la mort accidentelle de son frère et le suicide de son père, lorsqu’elle avait quinze ans. Mais aujourd’hui, Gwendoline paie trop cher cette paix temporaire. Ses crises, suivies de vomissements, engendrent tout un panel de désagréments et d’inconforts. Plus Gwendoline se sent mal, plus elle a envie de manger, et plus elle se met à manger, plus elle se sent mal. Chaque crise la plonge dans un cercle vicieux dont il est difficile de s’extraire, lui rappelant l’inefficacité de cette solution arbitraire.

— Erwann a bien réagi, reprend Véronique, en voyant sa patiente pleurer. Il continue de s’intéresser à vous en connaissant la vérité sur votre métier. Il a fait la part des choses entre vous et votre activité. Il y a des gens qui savent faire la part des choses, vous pouvez le constater par vous-même. Même si nous ne sommes pas nombreux, nous sommes là. Vous n’êtes pas votre travail, Gwendoline. Vous n’êtes pas une pute.

La patiente regarde le plafond en clignant des yeux pour empêcher d’autres larmes d’arriver. Cela fait si longtemps qu’elle ne s’est pas sentie aussi soutenue. Elle essuie ses yeux humides du revers de sa manche, barbouillant ses joues de son mascara noir. Revenant à la séance, elle fait un parallèle avec son dernier compagnon :

— Konrad aussi avait bien réagi en apprenant mon activité. Mais son comportement avait été très différent de celui d’Erwann.

— En quoi avait-il été différent ? demande Véronique.

La thérapeute change de position dans le fauteuil gris dans lequel elle prend toujours place. Elle attend que sa patiente trouve ses mots, une expression neutre sur le visage.

— J’ai vu Erwann à deux reprises. Cela a toujours eu lieu en soirée et à aucun moment, il n’a essayé de m’emmener chez lui ou de s’inviter chez moi. Il n’y a fait ni allusion, ni blague de mauvais goût. Je sens que ce n’est pas son genre, qu’il ne place pas notre relation à ce niveau-là. Il y a une cohérence entre ce qu’il dit et ce qu’il fait. A l’inverse, avec Konrad, dès les premiers échanges, le sexe était omniprésent, alors qu’il me soutenait ne pas être intéressé par un plan cul. Comme j’ai couché avec lui dès le premier soir, je peux difficilement le lui reprocher mais durant les trois mois qui ont suivi, cela n’a fait qu’empirer.

La jeune femme éclate d’un rire cynique, avant de s’expliquer :

— Voyez-vous, je recevais des selfbites à longueur de temps.

— Des ? Interroge la psy qui semble complètement perdue en entendant ce mot.

— Des selfbites. Ou dickpic en anglais. En gros, des photos de son sexe. Quand il était au travail, il se masturbait trois fois par jour en moyenne, et j’avais le droit à tout le processus, à tous ses commentaires en direct sur Messenger. Il m’a même fait une vidéo de lui en train de se branler dans les toilettes de son boulot, à neuf heures et demi, un lundi matin, alors qu’on venait de passer tout le weekend à s’envoyer en l’air. Qu’est-ce qu’il me fatiguait avec sa libido débordante. J’adore le sexe, moi aussi, mais il y a un temps pour chaque chose. Avec lui, je n’avais pas de répit, il n’avait que ça à la bouche. J’ai envie que mon homme me désire mais là c’était trop. Comment vouliez-vous que je le prenne au sérieux quand il me disait ensuite qu’il ne s’intéressait pas à moi que pour mon cul ? Il ressemblait à un ado qui venait de se faire dépuceler.

— Et Erwann, il ressemble à quoi ?

— A un homme, un vrai, explique Gwendoline avec une joie non contenue dans la voix. Erwann est plus mature que Konrad, ce qui est logique car ils ont presque dix ans d’écart. D’un côté, on a l’ado boutonneux qui ne sait pas s’y prendre et essaie de faire fonctionner quelque chose qu’il ne maîtrise pas. De l’autre, on a l’homme d’expérience qui n’a rien à prouver, qui ne fanfaronne pas et avance étape par étape, sans se précipiter.

— Le deuxième a l’air plus fiable, il me semble, intervient la spécialiste, profitant d’un moment de pause dans le discours de sa patiente.

— Il l’est probablement. Plus fiable, plus sécurisant et plus responsable. Son attitude est sans équivoque, alors qu'avec Konrad, dès les premières minutes, je me suis demandée pour quelles raisons je l’intéressais vraiment.

— Vous avez obtenu votre réponse ? questionne-t-elle avec un sourire malicieux.

— Oui, c’était pour mon cul. Mes doutes n’étaient pas sans fondement. Je le sentais et j’avais raison. La seule chose que je regrette, c’est de ne pas être partie avant.

— Vous étiez encore dans vos vieux schémas, où vous pensiez que personne ne s’intéresserait à vous, en dehors de vos attraits physiques, car vous ne valiez rien. Vous vous rappelez ?

— Oh oui, très bien, répond la patiente en levant les yeux au ciel.

Son visage la trahit et montre l’expression de celle qui se souvient de quelque chose de gênant.

— Voyez les choses pour ce qu’elles sont, Gwen, pas pour ce qu’elles pourraient être en y projetant les filtres de votre passé. Constatez par vous-même qu’un homme doux et attentionné s’intéresse à votre entière personne, pour ce que vous êtes, pas pour ce que vous pouvez lui apporter. Erwann aime votre compagnie et n’essaie pas d’en tirer profit, parce qu’il vous respecte. Vous êtes plus qu’un corps à ses yeux, vous êtes une femme dans son ensemble, avec une personnalité qui lui plaît.

Véronique la regarde droit dans les yeux, avec bienveillance et compassion, consciente de la nouvelle vision que Gwendoline perçoit d’elle dans cette relation naissante. L’évolution de sa façon de se voir est une satisfaction pour la thérapeute qui s’est donnée pour mission d’aider les gens à devenir plus doux envers eux-mêmes.

— Oui, confirme la jeune femme soulagée, un sourire plus franc s’étirant de part et d’autre de son visage. Il me traite comme une princesse, vous savez. C’est la première fois que cela m’arrive.

— Respirez quelques instants avec ça Gwendoline, voulez-vous. Profitez-en. Je me souviens de ce que vous désiriez, il y a quelques temps. Vous vouliez qu’on vous traite comme une princesse, répète la praticienne à dessein. Vous me l’avez dit, ici, au moment de votre rupture avec Jérémy. Vous aviez envie que l’on vous fasse rêver. Vous souhaitiez vivre quelque chose d’extraordinaire. C’est en train d’arriver. C’est la récompense pour tous vos efforts. Vous méritez ce nouvel homme mature et respectueux dans votre vie. Un homme qui prendra soin de vous et vous apportera du positif.

Lorsque Gwendoline quitte le cabinet, ce jour-là, sa démarche est plus légère qu’à son arrivée. La vie est douce pour elle en ce moment. Quelle différence avec ce qu’elle a connu dans le passé. Elle savoure ses belles avancées.

Elle marche d’un pas lent et fluide en admirant la ville autour d’elle, profitant des couleurs éclatantes du ciel et des arbres en floraison.

Elle aussi, elle renaît. Elle aussi se pare d’éclat et de beauté. Elle goûte aux saveurs du bonheur et de la paix sans crainte de les voir diminuer. Au contraire, plus elle se focalise dessus, plus leur présence en elle augmente. Son attention est comme une loupe qui grossit ce sur quoi elle se concentre.

Les passants qui la croisent lui rendent aimablement son large sourire sans penser qu’il ne leur est pas destiné. Un mendiant fait la quête. Elle s’arrête et lui donne tout le contenu de sa monnaie. Elle se souvient de la femme à côté de son café habituel, à la veille de Noël et de la grande solitude qui l’étreignait alors. Quel contraste saisissant. Comme pour les saisons, la vie est en perpétuel changement. Gwendoline sourit au mendiant, qui la remercie chaleureusement, et continue son chemin, pleine d’une confiance renouvelée.

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