Chapitre 54 : Dans la peau de Ragnar

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Manon-Tiphaine est en train d’étaler de la mayonnaise sur les tomates cerise et la salade croquante, sous le regard horrifié de son père, qui suggère, presqu’au supplice :

— Tu ne préfères pas mettre de la sauce au vinaigre balsamique plutôt que d’étaler cette bombe de graisses saturées sur tes légumes ?

— Carrément pas ! C’est meilleur comme ça, Pa’, dit-elle en engouffrant dans sa bouche le mélange peu ragoûtant. Il y a du ketchup ?

— Ne me dis pas que tu vas rajouter du ketchup industriel bourré de sucres sur ces sublimes lasagnes à la sauce tomate fraîchement préparée ?

— Mais nan, Pa’, rassure-toi, c’est pour tremper mes cornichons à la russe dedans, c’est trop bon comme ça, tu sais.

Son père la regarde avec un air hébété. Puis, voyant qu'elle prend plaisir à déguster sa mixture peu ragoûtante, il lève les mains au ciel en signe de résignation et sourit.

— Qu’est-ce qu’il ne faut pas entendre, Manon. Tes expériences culinaires sont plus que discutables. Au fait, tu les as croisés où, Quentin et sa nouvelle nana ?

— Sur le port du Fret, à moto. Elle a un pétard, je ne te dis que ça. Si elle chute, c’est pas grave, elle a tout ce qu’il faut côté airbag fessier.

— Oui, ben c’est son style, à celui-là. Il n’aime pas spécialement les filles raffinées. Il a toujours eu un faible pour les …les …

Repensant à une réplique du roi Arthur dans la série Kaamelott, Erwann ajoute :

— Je ne trouve pas de termes élégants, là.

Manon-Tiphaine reconnaît aussitôt l’allusion à leur série préférée et se met à rire. Elle suggère :

— Je pense que le terme exact c’est actrice porno.

Erwann éclate de rire à son tour. Les commentaires pleins de fraîcheur de sa fille sont toujours un régal pour lui. Il adore entendre sa vision des choses, toujours plus authentique que celle des adultes.

— Non, peut-être pas quand même, mais il les préfère...

— ... bien carénées ? intervient l'adolescente. Avec des airbags à l’avant et à l’arrière ?

Tout en parlant, Manon-Tiphaine mime les formes féminines pour expliciter ses propos.

— Ouais, on va dire ça... c’est le problème avec les amateurs de belles mécaniques, ils confondent les femmes et les machines.

— Cela dit, elle avait un joli visage et avait l'air gentil. Il va peut-être réussir à la garder cette fois...

— J'en doute fort vu son attitude envers la gent féminine. Il n'a pas le moindre respect pour les femmes. Et plus les années passent, moins il s'arrange. Je supporte de moins en moins sa façon de leur parler et de se comporter envers elles.

— C'est vrai qu'il n'a pas l'air très sérieux. Il en change très souvent... Il ne veut pas se caser ?

— Non. C'est peut-être mieux ainsi cela dit, car ce n'est pas un modèle de fidélité. Ni de responsabilité, d'ailleurs, ajoute-t-il, en repensant à ce jour où Quentin s'était vanté de ne jamais utiliser de préservatifs. J'espère vraiment que tu n'auras pas à faire à ce genre de gros lourds dans...

Erwann se tait avant de finir sa phrase. Il a toujours des doutes au sujet de l'orientation sexuelle de sa fille et ne veut pas commettre d'impair.

—... dans ton entourage, termine-t-il, mal à l'aise.

— Et toi, c’est quoi ton style ? demande l’adolescente, sans faire attention aux propos de son père. Maman quand elle était jeune ?

— Ta mère était très belle quand je l’ai rencontrée, c’est vrai, valide-t-il en se souvenant d’Alice à vingt ans.

— Mais elle a trop grossi, non ?

L’ex-femme d’Erwann n’a plus du tout la même silhouette que lorsqu’il avait commencé à la fréquenter. Elle avait pris du poids au moment de sa grossesse, mais aussi durant les années qui avaient suivi. En repensant aux raisons de cet embonpoint, le cœur du photographe se serre. Ce qu’ils avaient traversé en tant que parents, à cette époque, avait été tellement dur qu’il pouvait comprendre qu’Alice se soit réfugiée dans la nourriture.

— Ce n’est pas le poids d’une personne qui détermine son attrait, tu le sais ma puce. Et ta maman est toujours pleine de charme. Tu lui ressembles beaucoup et tu as hérité de sa beauté.

— Mais elle était plus jolie quand elle était plus mince quand même. Je l’ai vue sur les photos de votre mariage et c’était une vraie déesse. Elle ressemblait à un mannequin.

Erwann sait bien que sa fille a raison. Il se souvient que la beauté d’Alice l’avait subjuguée dès leur première rencontre. Avec son mètre quatre-vingt et sa chevelure dorée, qu’elle portait lâchée sur ses épaules graciles, son ex-femme était sublime. Ancienne danseuse classique, sa taille était si fine qu'il pouvait presque l'encercler avec ses deux mains.

Manon-Tiphaine avait hérité de la blondeur de ses cheveux et de ses beaux yeux bleus, mais pas de sa passion pour la danse, qu’enfant, elle avait toujours refusé de pratiquer.

— C’est dommage qu’elle ne fasse pas plus attention à elle aujourd’hui. Elle se néglige, comme si cela lui était complètement égal. En même temps, Loïc, ça n’a pas l’air de le déranger.

— S’ils sont heureux comme ça, c’est le principal, non ?

— Ouais, mais maintenant, c’est à ton tour, Pa', dit-elle en râclant son assiette bruyamment.

— De quoi donc ?

— D’être heureux avec quelqu’un. Je prie pour ça tu sais. Je demande au grand barbu là-haut de penser un peu à toi. Tu mérites de retrouver le bonheur. Elle est comment celle que tu as rencontrée ? Elle ressemble à quoi ?

A la pensée de Gwendoline, Erwann retrouve son visage enjoué, trahissant à nouveau son bonheur secret :

— Papa ! tu souris encore avec cet air niais.

— Ah mais ça suffit ! plaisante-t-il en mettant ses mains sur son visage, incapable de montrer un faciès impassible dès que la jeune femme vient hanter ses pensées.

— Mais dis-moi c’est qui !

— Je n’ai rien à dire pour le moment.

— C’est ton dernier mot, Jean-Pierre ?

— C’est mon dernier mot.

— M’en fiche, j’irai tirer les vers du nez de Quentin quand je le reverrai avec sa poule de luxe. Ou à Richard si je le croise dans les parages.

— J’apprécie vraiment l’intérêt que tu portes à ma vie amoureuse ma chérie, dit-il d’une voix adoucie, mais laisse-moi gérer ça de mon côté, tu veux bien ?

Manon-Tiphaine lève les mains en signe de reddition.

— Okay, okay, mais j’espère que dès que tu seras sûr de toi, tu m’en parleras. J’ai hâte qu’il t’arrive de belles choses. Tu es la personne la plus gentille que je connaisse, Pa'… Et puis, crotte, tu t’es pas fait ce look de beau gosse à tomber pour rester célibataire quand même ? Maintenant que tu ressembles à Ragnar Lothbrok, il faut que tu aies ta Lagertha !

— T’as raison, ma chérie. Passer autant d’heures à souffrir le martyr et ne pas être avec la bonne personne pour en profiter, voilà qui serait vraiment une tragédie !

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