Chapitre 61 : Obsession

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Même si le mois d’avril est bien entamé, Erwann lance un bon feu dans la cheminée du salon, tandis que Gwendoline se débarrasse de ses bottes et de son ciré pour le suspendre dans le vestibule. Son jean est en partie trempé, tout comme ses cheveux, qu’elle avait pourtant glissés sous la capuche de son coupe-vent.

Erwann lui montre ensuite sa chambre, lui apporte sa valise et son sac et la laisse se changer et enfiler des vêtements plus chauds et confortables. L’heure n’est plus à la tenue chic et élégante mais au cocooning. La jeune femme se glisse dans un large bas de yoga noir, qu’elle assortit à un sweat à capuche gris foncé et à de grosses chaussettes molletonnées.

Erwann file dans une autre pièce, où il échange sa tenue casual pour un ensemble plus décontracté, beaucoup moins seyant.

Pourtant, quand Gwendoline le rejoint, elle le trouve toujours aussi beau. Son survêtement lui dessine de jolies fesses bombées et laisse deviner d’autres attributs des plus prometteurs, qui n’échappent pas à son regard inquisiteur. Elle l’observe se mouvoir et apprécie sa carrure, sa haute taille, jusqu’à sa pomme d’Adam qui se devine sous sa barbe longue.

Trois choses ont l’habitude d'enflammer son imaginaire concernant la gent masculine : regarder un homme se raser, un homme au volant d’une voiture et une pomme d’Adam apparente. Depuis qu’elle a jeté son dévolu sur les hispters barbus, elle est privée de la première option mais les deux autres sont encore valables et lui font toujours autant d’effet.

Même si elle n’en menait pas large dans la voiture, elle n’avait pas arrêté de regarder furtivement comment Erwann gérait la situation, avec le flegme qu’elle lui connaissait désormais. Son assurance l’avait tout de suite apaisée. Et excitée. Gwendoline est le genre de femme qui tombe amoureuse d’un homme dans les moments les plus inappropriés, comme un enterrement ou une baston, par exemple. Elle ne peut pas résister à cette virilité qui n’appartient qu’aux mâles, à leur force physique et à cette émanation de testostérone qui se dégage de leurs corps puissants. Elle les aime très grands, avec des épaules larges, une voix rauque et un corps à l’état brut, sauvage. Comme Erwann. Et plus son regard se perd sur la musculature développée de son hôte, plus elle imagine ce qui se cache sous ses vêtements et plus elle sent monter en elle une envie animale de le faire sien.

Erwann la tire de sa rêverie licencieuse en lui proposant une boisson épicée pour se réchauffer. Tous les deux prennent place sur le canapé avec une tasse de chai latté qu’Erwann a préparée. Sur la grande table basse en bois brut, il a également déposé un assortiment de fruits secs et de chocolats, pour le goûter.

— Tu as vraiment l’habitude de manger ça, en temps normal ? Des fruits secs ? demande-t-elle en levant un sourcil arqué.

— Non, répond-il, honnête, avec un sourire et un clin d’œil. Mais je sais que tu manges sain et équilibré alors… j’ai fait un effort. Je ne voulais pas commettre d’impair. Mais j’avoue que d’ordinaire, je ne mange pas que des graines.

Gwendoline part d’un grand éclat de rire :

— Le maître d’armes, Kaamelott !

— Ne me dis pas que tu aimes ?

— Je suis fan.

— Alors, on est deux. Trois avec Manon.

— Quatre avec Emma, ajoute-t-elle, le visage lumineux, comme à chaque fois qu’elle prononce le nom de sa fille. Je l’ai emmenée à l’avant-première du film au Pathé Atlantis, le vingt juillet, la veille de l’instauration du pass sanitaire.

— Au Pathé ? Tu plaisantes ? A quelle heure était votre séance ?

— On a été à celle de vingt heures. Emma n’aurait pas tenu plus tard. Pourquoi ?

— C’est dingue. C’était la nôtre aussi avec Manon. Elle est venue à Nantes pour l’anniversaire d’une copine d’enfance qui se déroulait le lendemain. Elle m’avait rejoint là-bas avec Richard, qui adore la série également.

— Je n’avais jamais vu la salle aussi remplie, quatre-cent-cinquante places et pas une de libre. C’était une belle soirée, un beau souvenir.

— C’est vrai. L’ambiance était incroyable.

— Mais pas autant que de se rendre compte que l’on était au même endroit, au même moment… renchérit la jeune femme, en sirotant son chai latté.

— Sacré hasard, confirme le photographe, en la regardant droit dans les yeux.

Alors qu’une belle flambée illumine le coin salon de ses couleurs orangées et réchauffe l’atmosphère, Gwendoline se lève et installe plusieurs coussins sur le tapis épais et moelleux, juste devant l’âtre. Elle s’assoit en tailleur sur le sol et observe les flammes danser.

— J’ai toujours adoré les feux de cheminée, déclare-t-elle, subjuguée. C’est tellement relaxant. Je pourrais les regarder pendant des heures.

— Tu prêches un convaincu.

— Est-ce que cela te dit de méditer avec moi ? Tu peux dire non bien sûr, je ne t’en voudrais pas.

— Ce serait avec plaisir. Cela m’est déjà arrivé de visiter des temples bouddhistes lorsque j’étais en voyage pour des reportages photos mais je n'ai jamais pratiqué la méditation.

Elle tapote le coussin à côté d’elle pour lui montrer sa place. Il vient se poser en tailleur et imite sa posture, le dos bien droit, la nuque alignée dans le prolongement de la colonne vertébrale. Ils sont tous les deux face à l’âtre lumineux en vieilles pierres qui dégage une douce chaleur et une agréable odeur de feu de bois.

Lorsqu’elle retire son sweat, à présent parfaitement réchauffée, il jette un coup d'oeil et devine sa poitrine libre sous le tissu du top noir et près du corps qu’elle porte. Détournant les yeux de ce spectacle qui l’émoustille, il se recentre sur la danse ininterrompue des flammes rougeoyantes.

— L’idée n’est pas de faire le vide, comme on le croit souvent, mais plutôt d’apaiser le mental en se concentrant sur un point, que ce soit le souffle, les mouvements du ventre lors de la respiration, ou encore et ici, c’est parfait, la vue d’un objet. Les flammes, si on les observe attentivement, peuvent nous détourner de notre mental afin de ressentir plus de stabilité et de calme intérieur.

Joignant le geste à la parole, Gwendoline pose sa main sur son ventre et respire ostensiblement.

— La méditation, c’est faire une pause, se reconnecter au ressenti corporel pour habiter réellement le soi. Si tes pensées viennent te distraire, et elles le feront crois-moi, il suffit juste de les noter et de revenir à l’objet de ton observation. Ton souffle, ta respiration, les flammes. On peut aussi se concentrer sur le crépitement du feu qui consume peu à peu le bois. Ou sur le parfum délicat qui s’en échappe. Pour ma part, je vais fermer les yeux et me concentrer sur le son et l’odeur, car j'ai une ouïe très sensible et un odorat ultradéveloppé. On peut mettre un timer, ou tout simplement arrêter lorsque la position devient inconfortable. En général, je tiens rarement plus d’une demie heure en position assise à cause de mon nerf sciatique, lui explique-t-elle avec un large sourire. Sinon, il se coince.

— Je te suis, lance-t-il, décidé à partager avec elle un moment de son univers, curieux d’en savoir plus sur ce qui fait son quotidien.

Pendant toute la durée de la session, qui se veut spirituelle, Erwann est aux prises avec des images d’elle complètement nue. Il a beau respirer profondément et tenter de se concentrer sur son souffle ou sur les mouvements de son abdomen, ses pensées le ramènent toujours à son invitée et au désir qu’il ressent depuis qu’elle est arrivée chez lui.

A deux reprises, il regarde dans sa direction et remarque son visage serein et détendu, presque sans maquillage, un visage doux et solaire. Gwendoline semble complètement absorbée par sa pratique et seule sa respiration vient perturber son immobilité apparente. Sa poitrine se soulève à chaque inspiration et redescend sur chaque expiration. Cette image le perturbe à tel point que son cœur se met à palpiter. Malgré toute la bonne volonté dont il essaie de faire preuve, Erwann se demande s’il réussira vraiment à tenir sa promesse de ne pas sauter sur sa compagne comme un chacal sur une dépouille.

Essayant de toutes ses forces de faire de son mieux, il ferme les yeux et se laisse porter par l’exercice, focalisant son attention sur les bruits du feu crépitant. Peu à peu, il perçoit plus nettement les craquements de toutes sortes, les brindilles qui tombent, les branches sèches qui se déplacent au fur et à mesure qu’elles se consument.

Lorsque Gwendoline bouge enfin, il revient à lui, réalisant que pour un court instant, quelques dizaines de secondes peut-être, son esprit l’a laissé en paix et qu’il a eu la sensation d’être devenu lui-même le feu dans l’âtre de la cheminée.

Mais en la voyant se mouvoir et s’étirer, c’est à nouveau le feu du désir qui se ranime en lui.

Dans la lumière douce de cette fin de journée, alors que le soleil décline pour aller se cacher, la peau de la jeune femme prend une couleur tantôt miel, tantôt caramel. Ses yeux verts se sont assombris avec leur pupilles dilatées mais ils pétillent toujours autant de malice.

Elle est mutine, et belle à croquer.

Et lui, affamé.

Tandis qu’elle reste assise face à la cheminée, Erwann s’excuse et s’éclipse à l’étage. Quelques minutes plus tard, Gwendoline se lève pour se dégourdir les jambes et en profiter pour fureter du côté de la grande bibliothèque, au fond du salon. Lorsque le photographe revient, elle est en train de parcourir les étagères, penchant la tête de côté pour lire les titres sur la tranche des bouquins.

— Tu lis ? demande-t-elle sans préambule, se tournant à demi vers lui lorsqu’il approche.

Il l’enserre de ses bras, mets sa tête dans son cou et respire l’odeur de sa peau, juste sous son oreille. Plaquant son ventre plat et musclé contre son dos, il entoure sa taille fine de ses deux bras et la tient fermement, dans un geste protecteur.

— Oui, je lis. Pas assez à mon goût, faute de temps, confesse-t-il dans le creux de son oreille, déclenchant une vague soudaine de frissons dans le corps de Gwendoline. Ton bain est prêt.

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