Chapitre 70 : Les crêpes bretonnes
Le ventre de Gwendoline gargouille si fort qu’ils éclatent de rire de concert.
— Toi, tu as faim ! et c’est le moins que l’on puisse dire, lance-t-il à sa belle, avec un clin d’œil, tandis qu’il se lève pour aller vers le coin cuisine, aménagé sommairement. Voyons, voyons, qu’est-ce qu’il y a de bon par ici ?
— Où sont les toilettes ? demande-t-elle, alors qu’Erwann farfouille dans les placards à la recherche de quelque chose à se mettre sous la dent.
— Monte à l’étage. Il y a aussi une petite douche qui fonctionne très bien avec de l’eau de pluie filtrée. Chaude bien sûr. Tu trouveras des serviettes éponges et tout le nécessaire que ma cousine a dû prévoir pour se laver. Par contre, pas de possibilité de prendre un bain ici malheureusement.
— C’est déjà super, assure-t-elle, ravie de trouver un peu de confort dans l’aménagement spartiate du bâtiment marin. J’arrive.
— Il est déjà 16h30, dit-il en jetant un œil à la montre volumineuse qu’il arbore au poignet gauche. Ça te dit un gros goûter ? Genre des crêpes, précise-t-il.
— Du sucre et du gras ? Hum, parfait ! J’ai besoin d’énergie, lance-t-elle en grimpant l’escalier.
— C’est comme si c’était fait !
Montant les marches deux par deux, pressée par son envie urgente, elle arrive à l’étage supérieur, plus petit que celui du dessous. Une fois sa petite affaire faite, elle se nettoie au lavabo, puis regarde succinctement ce qu’il y a à leur disposition.
Autour d’elle, la pièce circulaire est assez bien rangée et agencée de manière satisfaisante pour qui devait autrefois passer une nuit de temps en temps ici. Il y a effectivement un petit meuble de toilettes dans lequel sont prévus des produits pour se laver, comme Erwann le lui avait indiqué. La douche est moderne et fermée par une cabine en plexiglas transparent. Elle est plutôt récente au vu de sa propreté. Le petit lavabo termine l’espace salle de bain du phare, et elle constate que deux brosses à dents neuves encore emballées et du dentifrice sont posés sur la tablette du miroir.
En s’observant dans le miroir, elle remarque ses joues rosies et repense à l’orgasme qu’Erwann vient de lui offrir. Le premier. Elle n’a même pas eu besoin de le guider, comme elle le faisait auparavant, pour orienter un partenaire pas toujours très expérimenté. Son photographe a su la comprendre et l’écouter, suivre son rythme et son instinct pour la faire décoller. Sa patience, sa tendresse et sa dextérité ont fait le reste. Du premier coup, ses doigts agiles et doux ont su trouver le chemin de son intimité, prenant le temps de l’explorer avant de la faire vibrer. En y repensant, se revoyant en pleine extase dans les bras de son amant, elle sent à nouveau son visage s’empourprer.
Alléchée par une délicieuse odeur de beurre fondu, elle redescend au premier étage, fraîche et pimpante, prête à dévorer ce qu’il est en train de cuisiner.
La pièce est réchauffée par le poêle trônant au milieu du salon, dont Erwann s’est occupé en son absence. Une belle flambée rouge orangé illumine l’espace et parfume l’endroit d’une délicieuse odeur de feu de bois. Le crépitement apaisant des flammes et la douce chaleur qui se répand dans le phare rendent les lieux encore plus accueillants. Elle s’y sent comme dans un cocon protecteur, protégée par les solides remparts des murs de pierres qui l’entourent.
Le jeune homme l’accueille en lui tendant une assiette garnie d’une énorme crêpe au froment fumante qui vient tout juste d’être dorée à la poêle. La merveilleuse odeur grasse et sucrée qui s’en dégage réveille à nouveau les crampes d’estomac de Gwendoline, signe que sa faim attend depuis trop longtemps.
— Chocolat, caramel au beurre salé ou une simple beurre sucre pour mademoiselle ? demande-t-il en l’embrassant sur le front tandis qu’elle s’assoit sur l’une des deux chaises du coin cuisine.
— Oh la la, mais c’est royal comme goûter ça ! Caramel au beurre salé pour moi, sans hésiter. J’ai du sang breton qui coule dans mes veines, tu sais. Par contre, elle est vraiment copieuse cette crêpe, quand même ! Tu en as mis plusieurs les unes sur les autres pour que j’en mange davantage ou quoi ? plaisante-t-elle en testant l’épaisseur et la consistance du bout de son doigt.
— C’est une taille inhabituelle pour nous les Bretons. Traditionnellement on les fait très fines, mais moi je les aime comme cela ! Tu devras t'y faire si tu veux me supporter, ajoute-t-il avec un clin d'œil. Du café ? J’ai pensé au lait aussi.
— Hum, je veux bien oui, cela va me réveiller. Merci, c’est adorable, dit-elle reconnaissante pour tous ses efforts.
— Je t’en prie, répond-il en lui servant une tasse de café fumant dans un mug décoré du traditionnel Gwenn ha Du, le célèbre drapeau breton rayé noir et blanc.
A ce moment-là, Gwendoline découvre une longue cicatrice sur l’avant-bras du jeune homme, dont les manches sont relevées jusqu’au niveau des coudes. C’est la première fois qu’elle la remarque. Bien que d’une taille impressionnante, cette dernière est visiblement ancienne et entièrement recouverte par ses tatouages, ce qui la rend presque invisible. Intriguée, elle demande, en la montrant du doigt :
— Blessure de guerre ?
— On peut dire ça, dit-il en prenant place à son tour à table.
— Les Bretons, vous êtes connus pour être d’anciens barbares tu sais… Vos ancêtres celtes n’ont pas toujours fait dans la dentelle.
— C’est vrai… Et j’ai sûrement des origines vikings aussi, de par ma famille paternelle.
— Un sacré mélange, dis-moi. Ça te donne un petit côté sauvage… presque dangereux....
— Dit la jeune femme qui s’est laissée enfermer dans une grande tour imprenable ! Tu as le goût du risque toi, s’exclame-t-il en riant.
Gwendoline rit de bon cœur, tout en se demandant qu’elle est l’origine de la longue marque cachée par ses tatouages.
— De quand date-t-elle ? insiste-elle, curieuse, en la montrant du doigt.
— De l’époque où j’étais un vilain bad boy, persiste-t-il avec un sourire en coin.
— Arrête d’essayer de m’exciter, le taquine-t-elle en retour.
— Je n’ai jamais compris pourquoi les femmes adoraient les sales types.
— Je n’aime pas ça. Enfin, je n’aime plus ça, se corrige-t-elle.
— Tu as aimé autrefois ?
— Oui… j’ai eu ma période « sale type » si on peut dire. Il n’a jamais été méchant avec moi mais c’était un taulard…
— Un taulard ? T’es sérieuse ? demande-t-il, incrédule.
— J’te jure.
— Ça confirme ma théorie. Les femmes sont attirées par les gros bras. Les mecs louches, les connards…
— Peut-être que ce qui nous plaît dans ce genre de profil, c’est le fait qu’on a l’impression d’être en sécurité, qu’ils nous protégeront du mal que l’on pourrait nous faire…
— Un homme a d’autres façons de prendre soin de celle qu’il aime. La violence ne doit être utilisée qu’en dernier recours. Je ne serais jamais intervenu pour te défendre de Konrad, sauf si bien sûr tu avais été en danger.
— Ce qui n’était pas le cas.
— Exactement. Tu ne risquais rien. Il tenait à peine debout et ses potes n’avaient pas l’air plus en forme que lui.
— Tu aimes te battre ?
— Non.
— Tu te bats souvent ?
— Rarement. Mais on m’attaque peu. Je suis assez grand donc on ne me cherche pas trop de noises. Bon appétit, ajoute-t-il en l’invitant à manger d’un geste de la main. Rassure-toi, tu ne risques rien, ici, avec moi.
— Je n’ai aucun doute là-dessus, Erwann, confirme-t-elle en le fixant de son regard émeraude. Absolument aucun.
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