Chapitre 71 : Bad boy

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Gwendoline le regarde entamer son assiette, admirant ses traits virils et sa barbe brune, longue et fournie. Ses cheveux bruns striés de mèches grises sont retenus en une queue de cheval courte, attachée sans fioritures à l’arrière de son crâne fraîchement rasé sur les côtés. Son nez, droit et bien dessiné, surmonte des lèvres pulpeuses dévoilant deux belles rangées de dents blanches et bien alignées. Son piercing au labret vient souligner le dessin de sa bouche gourmande. Avec ses traits réguliers et masculins, elle le trouve séduisant, et la découverte de sa cicatrice ne fait qu’amplifier l’attraction irrépressible qu’il exerce sur elle.

Perdue dans ses pensées, elle sort de sa rêverie lorsqu'Erwann reprend la parole :

— Mange tant que c’est chaud, Gwen. Il faut prendre des forces pour affronter une tempête et je te rappelle que le cyclone Isidore arrive sur nos côtes.

— C’est qui celui-là encore ?

— Une sorte de dépression nerveuse venue de l’Ouest. Un vent très en colère, explique-t-il en dévorant son énorme crêpe.

— Hum, c’est trop bon, s’extasie-t-elle en avalant sa première bouchée. Rassure-moi, tu n’as pas fait les crêpes toi-même ? Tu n’es pas aussi parfait ?

— Nan, madame ! Mais j’aurais pu. Il y a le vieux billig que ma grand-mère utilisait pour nous faire des galettes de blé noir à la villa. Il fonctionne encore. Si j’avais été assez courageux, je les aurais préparées ce matin pendant que tu dormais. Mais celles-ci ont été faites par la femme de mon grand-oncle, toutes fraîches d’aujourd’hui. Aimablement apportées par notre cher Gaston, l’homme à la pipe.

— C’est curieux cette passion qu’ont les hommes pour les pipes, ajoute-t-elle, comme si de rien n’était, en léchant le caramel collant au bout de ses doigts.

Les yeux braqués sur elle, comme deux révolvers prêts à dégainer, il lui lance un regard lourd de signification. Alors qu’il s’apprête à lui répondre quelque chose, sa bouche ouverte se ravise pour laisser place à un sourire en coin. Muet, il garde pour lui-même son commentaire osé. Tout en enfournant un morceau de crêpe piqué au bout de sa fourchette, il finit par conclure, les yeux pétillants :

— Mange !

— Toujours ce côté barbare un peu autoritaire, continue-t-elle à le taquiner, pendant que les joues d’Erwann s’empourprent de plus belle. Très sexy.

Il détourne le regard en souriant, légèrement mal à l’aise. Malgré son embarras, il adore cette alternance chez la jeune femme, lorsqu’elle peut se montrer audacieuse, osant le charrier gentiment, puis réservée et chaste, quand elle se sent vulnérable. Elle souffle le chaud et le froid et avec elle, il ne sait jamais sur quel pied danser.

— Alors, la cicatrice, tu ne veux pas me raconter ?

— Je me suis pris un coup de couteau dans un bar alors que je défendais ma petite amie de l’époque.

— Tellement chevaleresque. Cela ne me surprend pas de toi ! Je savais que tu étais un sanguin, sous ton apparence très calme et posée… Mon appétence pour les bad boys est en train de refaire surface apparemment, plaisante-t-elle.

— Les mauvais garçons utilisent leur force pour faire du mal sans raison. Un homme protège, il n’abîme pas.

L’esprit de Gwendoline fait tilt lorsqu’elle entend les mots qu’utilise sciemment Erwann. « Un homme n’abîme pas. » Mon Dieu, s’il savait, pense-t-elle.

Elle se retient de lui dire qu’elle n’a pas eu la chance de rencontrer par le passé d’hommes assez courageux pour la préserver du mal. Que bien au contraire, c’est elle qui a souffert. Elle envie cette petite amie pour laquelle Erwann a pris des risques. Une ridicule pointe de jalousie vient lui pincer le cœur.

Elle repense à Konrad qui lui a provoqué une mycose avec ses mains sales et qui la traitait plus ou moins comme de la merde durant leur courte relation.

Puis à Stéphane qui l’avait larguée quand il avait su qu’elle était enceinte, tout en lui demandant d’avorter.

Et, enfin, à Guillaume qui était parti pour un voyage sans retour, la laissant seule, le cœur brisé.

Gwendoline se lève de table, abandonnant son goûter à peine entamé et s’avance vers la fenêtre pour regarder la mer de plus en plus agitée.

Voyant son attitude soudainement renfermée, Erwann s’essuie la bouche et quitte la table à son tour, puis vient la rejoindre. Il l’encercle de ses bras, son torse serré contre son dos.

Tous les deux regardent le ciel s’assombrir et les épais nuages noirs se rapprocher.

— A quoi penses-tu ? lui demande-t-il, son souffle caressant la peau de son cou.

— A la chance que l’on a d’être à l’abri, alors que dehors une tempête se prépare.

— On est en sécurité ici. Tu es en sécurité avec moi. Et tu peux avoir confiance en moi, dit-il en embrassant sa nuque dont il dégage la chevelure argentée d’un geste de la main.

— J’ai confiance en toi… répond-elle, hésitante.

— Pas encore. Mais c’est tout à fait normal.

— Pourquoi dis-tu cela ?

— Je le vois. Je ne sais pas ce qui s’est passé avec tes ex, mais je peux imaginer que ces derniers n’ont pas été les chevaliers servants que tu espérais… Tu as vu ma cicatrice sur mon bras, mais moi je ne vois pas les tiennes. Elles sont invisibles. Pourtant, je les sens, je sens comme tu as été blessée… Et je pense que cela te fait douter de moi.

— Erwann, j’ai confiance en toi, insiste-t-elle sans grande conviction.

— Pas encore. Mais cela viendra. Je te promets que je ne te ferai jamais de mal.

Gwendoline est prise au dépourvu et écrase une larme au coin de l'oeil. Pourquoi est-elle si faible, si sensible, dès qu’elle ouvre son cœur à autrui ? Elle a l’impression d’être un barrage sur le point de céder à tout moment, rempli de fissures qui ne font que s’agrandir. Elle ne veut pas qu’Erwann la voie si vulnérable. Elle déteste cela.

— Je ne te ferai jamais de mal, répète-t-il à dessein.

— Arrête Erwann, je t’en prie, je ne veux pas…

Ses pleurs lui échappent, incontrôlables, traitres, silencieux, obligeant la jeune femme à fermer les yeux pour les empêcher de continuer à couler. Elle se mord la lèvre, incapable d’empêcher son menton de trembler.

Erwann la serre plus fort, sans dire un mot. Il l’entoure de ses bras avec fermeté, comme s’il voulait éviter qu’elle se disloque sur le sol ou qu’elle s’écroule comme une poupée de chiffon. Mon dieu, mais que lui est-il arrivé ? Que lui a-t-on fait ? Qu’a-t-elle subi pour se transformer par moments en petite chose fragile, cassée, brisée en mille morceaux. Il ne lui a jamais rien demandé, et tout ce qu’il a appris d’elle jusqu’à maintenant, est venu de sa bouche, de ses propres confidences. Il n’a pas envie de la brusquer. D’ailleurs, il s’en veut de la faire pleurer, mais pense sincèrement qu’elle doit faire tomber son armure s’ils veulent avancer sur leur nouveau chemin. Cela lui semble être la seule façon de guérir.

Au bout de quelques minutes, Gwendoline reprend contenance, en s’aidant de sa respiration, comme le lui a enseigné Véronique.

— Je suis désolée.

— De quoi ? D’avoir souffert ? Tu crois que c’est de ta faute ?

— De t’imposer ce spectacle navrant.

— La seule chose qui est navrante, c’est ce que l’on t’a fait et qui te met dans cet état, dit-il avec une légère pointe de colère dans la voix, en imaginant les pires scénarios. Mais je te le redis, tu es en sécurité avec moi. Je ne ferai rien qui te déplaise, rien qui ne soit ce que tu désires vraiment.

— Je le sais bien, murmure-t-elle en se retournant pour lui faire face. Tu me l’as déjà prouvé à de nombreuses reprises.

Erwann essuie les dernières traces laissées sur ses joues par ses larmes.

— Viens finir ton goûter, tu n’as presque rien manger et tu es déjà enflée comme une crevette.

— On dit comme une sardine de course, le corrige-t-elle en souriant franchement, les yeux encore brillants.

— Peu importe, ça vit dans la mer. Tu ne vas quand même pas contredire un breton têtu ! dit-il en la raccompagnant à table et en reprenant place avec elle. Je t’ai dit qu’on avait besoin de force pour affronter la tempête. Prépare-toi, parce que ça va swinguer.

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