Chapitre 84 : La question qui tue

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Décontenancée, Gwendoline repose son bol, manquant de justesse d’avaler de travers la gorgée qu’elle vient de prendre. Elle termine de déglutir, prend le temps de la réflexion, pensant à de multiples possibilités de réponse.

— C’est une question piège ? s’enquit-elle, feignant d’être légèrement amusée.

— Non. Cela m’intéresse vraiment.

Erwann est très sérieux. Patient, il attend qu'elle reprenne la parole.

— C’est le fait que l’on ait eu une discussion à ce sujet ce matin qui te fait penser à cela… hasarde-t-elle, troublée.

— C’est possible, admet-il en souriant. Et aussi parce que j’ai envie de te connaître mieux, toi, tes attentes, tes désirs.

Gwendoline n’a aucune idée de ce qu’elle doit répondre. Si elle dit oui, il va peut-être croire qu’elle cherche un géniteur pour la mettre en cloque à tout prix, et rapidement qui plus est, vu son âge avancé… Si elle répond non, Erwann sera peut-être déçu ou refroidi… Soudainement, la table du petit déjeuner lui donne la nausée. Elle constate que la faim qui la tenaillait depuis le réveil a complètement disparu. Il vient de lui couper l’appétit.

— C’est difficile de répondre à cette question sans un contexte, tente-t-elle pour le dissuader d’aller dans cette direction.

Erwann a l’air déterminé. Son regard perçant parle pour lui. Les bretons, têtus ? Ce n’est vraiment pas une légende… Voyant qu’il ne lâchera rien, la jeune femme essaie de trouver quelque chose à dire pour contrer cette question déroutante mais rien ne lui vient d’emblée. Tout en tournant sa cuillère sans raison dans son bol, elle prie pour qu’il passe à autre chose.

— Disons que le contexte, c’est nous.

Raté. Elle n’a plus d’échappatoire à présent.

Nous. Il a dit « nous ». Ça fait combien de temps qu’elle n’a pas entendu un homme lui dire « nous » en l’incluant dedans. Elle est parcourue d’un frisson, remontant du bas de son échine vers la racine de ses cheveux.

— Nous n’avons encore jamais fait l’amour… se défend-elle pour bifurquer encore. C’est prématuré de parler de ça, non ?

— Nous n’avons pas encore fait l’amour, rectifie-t-il avec un sourire malicieux. Pas au sens propre du terme. Mais il me semble que l’on a déjà pas mal avancé de ce côté-là...

— Certes, je ne dirais pas le contraire… mais tu ne veux pas qu’on attende pour avoir cette conversation ?

— Comme tu voudras, dit-il en se levant d’un bond. Je vire le petit déjeuner et je te prends maintenant sur la table, comme ça on pourra parler après, déclare-t-il à la fois très sérieusement, mais les yeux remplis d’ardeur.

Gwendoline éclate de rire en le voyant ainsi métamorphosé, presque hors de lui.

— T’es capable !

— Bien sûr que j’en suis capable. Ici et maintenant.

Il s’avance vers elle. Et alors qu’il s’apprête à envoyer valdinguer toute la table, elle se lève de sa chaise et l’arrête d’un geste du bras.

— Okay, c’est bon, Erwann. Pas la peine de tout casser. Je vais te répondre, dit-elle les yeux pétillants, ravie de le voir devenir plus sauvage.

— J’étais parti pour virer tout ce qu’il y avait sur la table.

— Ce n’est pas nécessaire. Je vais parler.

— J’ai changé d’avis. Je préfère virer toute la table et te prendre sauvagement ici et maintenant, annonce-t-il des flammes plein les yeux. On parlera après.

Heureusement qu’elle a ses règles, pense-t-elle, reconnaissante. Avec un tel regard braqué sur elle, elle n’aurait jamais été capable de lui dire non. Son cycle lui apparaît soudain comme une bénédiction, dernier garde-fou contre leur désir irrépressible. Elle préfère taire l’information à Erwann, afin qu’il pense qu’elle est assez forte pour se contrôler. Ce qui n’est bien évidemment pas le cas. Face à lui, elle fond comme une bougie en cire.

— Bientôt.

— Bientôt ? répète-t-il étonné, en se reculant un peu. Donc… il y a une part de toi qui aimerait ça ?

— Quoi donc ?

— Être prise sauvagement.

— Sans aucun doute, sourit-elle. Mais pas tout de suite, ajoute-t-elle avec aplomb.

Erwann la surplombe de toute sa taille et affiche désormais un sourire carnassier, le même que celui qu’il avait arboré la veille dans la voiture en venant au phare.

— Je découvre de nouvelles facettes de ta personnalité de jour en jour et je dois confesser que cela me plaît beaucoup, dit-il en se rapprochant d’elle.

Sans s’en apercevoir, Gwendoline recule jusqu’au pan de mur derrière elle. L’espace à l’intérieur du phare est si exigu qu’elle se retrouve rapidement acculée. Erwann se rapproche encore.

— Ça te plait l’idée que j’aime être prise sauvagement ?

— Entre autres. Ça et tout le reste. Tu me rends complètement fou. Je ne me sens plus moi-même avec toi. J’ai l’impression de devenir un autre. Comment tu fais ?

— Je te résiste.

Erwann sourit de plus belle. Elle a raison. Lui qui s’est fait draguer par tant de nanas depuis son divorce et qui a reçu tant de propositions plus indécentes les unes que les autres, le voilà comblé d’avoir enfin trouvé une femme capable de le faire patienter. Ce jeu du chat et de la souris entre eux le ravit plus qu’il ne veut bien le reconnaître. Pourvu qu’elle ne lui cède pas trop vite. Pourvu qu’elle le fasse languir encore.

— Pourquoi aimerais-tu être malmenée ?

— Je n’en sais rien. Cette envie est récente. Je ne l’ai jamais expérimentée. J’aimerais seulement être un peu chahutée. Je ne veux pas qu’on me cogne dessus.

— Être dominée, donc ?

— Plutôt avoir l’impression d’être dominée. Comme hier soir, quand tu as repris le dessus et que tu m’as saisi les poignets avec fermeté pour me… maintenir.

Erwann exulte. C’était donc ça cette subite montée d’excitation qu’il avait perçu en elle.

— Tu aimerais avoir peur ?

— Peut-être. Je n’en sais rien.

— Ça t’exciterait ? insiste-t-il en la bloquant un peu plus contre le mur arrondi.

— Peut-être.

— Tu as peur de moi ?

— Non. Sauf là… peut-être un peu.

— Je te fais peur ?

— Un peu. Je te sens incontrôlable. T’as failli virer toute la table du petit-déjeuner, explique-t-elle, perturbée.

Le jeune homme la regarde droit dans les yeux, entre envie, étonnement et frissons.

— C’est une bonne chose que je devienne incontrôlable ?

— C’est intéressant, concède-t-elle, de plus en plus émoustillée.

— C’est la première fois que tu as peur de moi ?

— Oui.

— Et ça te plait ?

— J’en ai l’impression.

— J’ai tellement envie de te prendre là, maintenant, déclare-t-il en la plaquant doucement contre le mur de pierres froides.

Gwendoline s’interroge vraiment sur l’attitude à adopter… l’encourager ou l’arrêter. Elle sent que la situation peut lui échapper. N’a-t-elle pas déjà été trop loin ?

— Je sais. Mais non.

— J’aime quand tu me résistes, grogne-t-il.

Erwann lui embrasse le cou avec tendresse, abandonnant son air dur.

— Je sais.

— J’ai envie de toi.

— Je sais.

— De te prendre sur la table.

Elle rit. C’est quoi son problème avec cette table, nom de Dieu ?

— Laisse la table tranquille.

— Pourquoi tu me fais sortir de mes gonds ? reprend-il en léchant le lobe de son oreille.

— Parce que je te résiste, répond-elle en fermant les yeux, savourant la langue qui trace des sillons dans sa nuque.

— Il va falloir que tu me résiste plus fort, murmure-t-il en la mordillant.

— Pas de problème.

Erwann se redresse et s’écarte d’elle pour l’observer en biais.

— Quel était le sujet de la discussion qui nous a conduit aux portes de l’enfer ?

— Faire l’amour. Avoir des enfants. Les deux peut-être. L’un ne va pas sans l’autre, il me semble.

— J’ai envie de faire l’amour avec toi, et de te prendre sauvagement aussi. Je suis doux en temps normal, tu sais.

— Je le sais, sourit-elle, rassurée de retrouver l’homme qu’elle connait.

— Mais…

Il pose son front contre le sien et plante ses yeux dans son regard émeraude.

— Mais tu pourrais être… plus animal, souffle-t-elle, excitée.

— Je le pourrais sûrement. Je n’ai jamais été comme ça. Mais tu me donnes envie de l’être.

Avec douceur, il passe son pouce sur le bombé de sa bouche. Glisse le bout entre ses lèvres humides. Elle les entrouvre davantage pour mordiller son doigt. Sa langue prend le relais, spectacle qui rend le jeune homme encore plus… imaginatif.

— Si tu savais les idées que j’ai en tête à cet instant précis…

Elle déglutit difficilement.

— Garde-les en mémoire…

— Comment fais-tu pour me transformer en cette espèce d’homme des cavernes ?

— Je te fais monter en puissance.

— Fais-le encore, dit-il en lui caressant le visage, la bouche sur la sienne. Résiste-moi.

— Ok.

Erwann glisse une main dans ses cheveux, vire la pince qui les retient et la jette par terre d’un mouvement rapide. Le visage collé au sien, il resserre sa prise juste ce qu’il faut pour qu’elle sente toute l’énergie qu’il contient.

— Ne me cède pas.

— Je ne le ferai pas.

— Je n’ai jamais vécu ça.

— Moi non plus.

— C’est un jeu à ton avis ?

— C’est un jeu.

— Est-ce un jeu… dangereux ?

— Pas si on…

— Pas si on ?

— Pas si on… y prend du plaisir, avoue-t-elle rougissante.

— J’espère que tu prends du plaisir avec moi.

— Erwann… si tu savais.

Les yeux de la jeune femme se baissent vers le sol tant elle a du mal à soutenir son regard intense. Erwann la saisit par la taille et la rapproche de lui pour l’encercler dans ses bras puissants et tendres.

— Je sais, dit-il en la serrant plus fort. Je sais. J’ai vu. J’ai ressenti. Et j’ai aimé ça. Ne rougis pas, la somme-t-il, en lui relevant le menton. Où en étions-nous déjà ?

— Les enfants, parvient-elle à prononcer, la gorge sèche.

— Ah oui. Les enfants… Parlons-en.

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