Chapitre 97 : La fin d’une époque

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— Justement, c’était ça la bonne nouvelle dont j’allais te parler… avant que tu ne me balances tes insinuations de merde à la tronche.

— Gwen, c’est bon, t’énerves pas. Je disais ça comme ça. Des tas de femmes vivent au crochet de leur bonhomme sans que cela ne choque personne. Mais ok, c’est bon, j’ai compris, ajoute-t-elle précipitamment, en voyant le regard noir que lui lance son amie. Tu n’es pas ce genre-là et c’est tout à ton honneur. Donc, dis-moi, quelle est ta solution ?

Gwendoline est debout les mains croisées sur la poitrine, rigide et fermée comme elle sait si bien le faire quand elle se sent agressée et méprisée. Mais sa colère est de courte durée car elle connaît Manuella et sa langue trop pendue, toujours prompte à quelques malheureux dérapages. Elle ne résiste pas une seconde de plus à passer outre ses remarques désobligeantes pour se rasseoir près d’elle et lui raconter les bonnes nouvelles qu’elle voulait lui partager :

— Le magazine Elle fait un reportage sur les femmes qui s’assument, en prônant la différence et l’originalité, et j’ai été sélectionnée dans mon agence de modèle. Avec mes tatouages et mes cheveux gris, j’ai tout à fait le profil !

— Ils vont te payer ?

— Carrément ! Et si tout se passe bien, je pourrais enchaîner sur beaucoup d’autres shootings rémunérés. Mais il n’y a pas que ça. J’attends aussi des nouvelles pour la campagne nationale de Dove. Elle démarre bientôt et si je suis prise, ce sera un énorme contrat, avec une visibilité nationale, genre le truc dans toute la France quoi ! J’aurais ma tronche dans les spots de publicité, sur les panneaux quatre par trois, dans les encarts de journaux et de magazines. Ma bookeuse, Jeanne, est au taquet. Si je décroche ce contrat pour Dove, je serai vraiment lancée.

L’attitude de Manuella est clairement mitigée, même si, face à l’enthousiasme de son amie, elle essaie de ne pas le montrer, sous peine de se prendre une nouvelle soufflante. Pourtant, elle ne peut s’empêcher d’exposer son point de vue.

— Ça fait peut-être beaucoup de « si » d’un coup, non ? Si je comprends bien, pour le moment, tu n’as aucune garantie ?

— Pas encore. C’est en cours.

— C’est super de rêver et tout et tout, mais tu sais ce que j’ai l’habitude de dire : avec des « si », moi je coupe du bois.

— Tu as raison. Je rêve et c’est pour ça que je sais que je suis sur la bonne voie. J’ai rêvé d’avoir une fille et je l’ai eue. J’ai rêvé de devenir modèle photo et je le suis. J’ai rêvé de rencontrer un homme aussi extraordinaire qu’Erwann et il est apparu dans ma vie. Mon tableau de vision, c’est un tableau de rêves. « Fais de ta vie un rêve, et de tes rêves ta réalité », cite la jeune femme, des étoiles dans les yeux.

— Si tu le dis… tu es très convaincante en tout cas.

— C’est la clef, ma chérie. Y croire. Faire comme si. C’est la seule façon d’obtenir ce que l’on veut dans la vie. C’est en doutant que les choses foirent.

Gwendoline repense à ses propres incertitudes, lors du week-end de trois jours passé avec Erwann. Elle réalise que, si elle se montre très optimiste dans son activité de modèle photo, c’est en sa relation avec Erwann qu’elle doute beaucoup. En l’avenir de leur couple, comme il a aimé en parler. Toutes ces années d’échecs l’ont convaincue qu’elle n’y arriverait pas. Elle se rend compte à quel point ce qu’elle a fait est idiot et qu’avec ses craintes, elle est en train de se tirer une balle dans le pied. Intérieurement, elle se promet de tout faire pour éviter de cultiver cet état d’esprit contre-productif pour sa vie amoureuse. Elle connait le pouvoir des pensées et doit veiller à se montrer plus confiante en cette nouvelle histoire et en Erwann lui-même.

D’autant qu’avec l’éloignement de ce dernier, elle comprend qu’elle tient vraiment à lui. Elle espère ne pas avoir agi n’importe comment ces derniers jours.

Une peur lui vrille soudainement l’estomac. Elle songe au silence d’Erwann, mais essaie de se convaincre qu’il n’est dû qu’à ses occupations habituelles. Puis, elle se souvient qu’il devait aller parler à Quentin. Elle prie pour que la discussion se soit bien passée. Peut-être qu’avec un peu chance, elle s’est trompée et que son meilleur ami n’a pas été son client. Connaissant Erwann, elle s’attend à ce qu’il la tienne au courant rapidement pour la rassurer.

— Je serais contente pour toi en tout cas, reprend sans grande conviction Manuella, tirant, sans le faire exprès, son amie de sa rêverie.

— C’est gentil. Moi aussi, j’aimerais que les choses marchent pour toi, tu sais. Quels sont tes rêves à toi ? demande Gwendoline, avec un sourire sincère, pour chasser ses sombres pensées.

— Oh, non, je préfère ne pas rêver. Au moins, je ne risque pas d’être déçue. Pour moi, la vie, c’est pas un dessin animé. Tout ne peut pas se passer aussi bien que dans les contes de fées.

— La vie n’est pas censée être aussi dure, Manuella… Toi aussi, tu peux avoir ce que tu veux.

— Laisse tomber, tout miser sur des rêves, c’est pas pour moi. Je n’adhère pas à ta vision des choses, répond-elle, l’air affecté… On a déjà parlé de tout ça, mais ce n’est pas aussi simple. Je suis trop cartésienne. J’ai fait des études scientifiques, je te le rappelle. Je suis comme Saint Thomas, je ne crois que ce que je vois.

— Toi qui es une scientifique, ce dont je te parle, ça porte un nom tout ce qu’il y a de plus savant. C’est de la physique quantique.

— Peut-être, mais je n’y crois pas. C’est un truc de perchés. Et puis, en ce moment, je n’ai pas la tête à ça. J’ai d’autres soucis à gérer.

— Tu pourrais aller voir ma thérapeute, Véronique. Elle est super, tu sais…

— Je ne crois pas à tous ces trucs-là, les psys, les méthodes alternatives, peu importe, cela ne m’inspire pas… en quoi parler de mes problèmes pourrait les arranger ? Ça prend du temps pour que les choses aillent mieux, ça demande de l’énergie. On ne change pas d’un coup de baguette magique. Peut-être que toi tu as eu cette force, mais moi, je ne suis pas comme toi. Je n’y arrive pas. Je n’en ai même pas envie, en fait.

Manuella regarde sa montre et termine sa tasse de café.

— Je dois y aller. Si j’arrive encore en retard à la Cité des Congrès, ma patronne va m’engueuler. Tu passeras le bonjour à Emma quand elle rentrera ce soir. Je repasserai dans la semaine.

Manuella se lève et prend Gwendoline dans ses bras.

— Je suis contente pour toi, ma chérie. Vraiment. Tout ce qui t’arrive est amplement mérité. Je te souhaite le meilleur. Et j’ai hâte que tu me présentes ton cher et tendre. J’aimerais bien savoir ce qui cloche chez lui, dit-elle avec un clin d’œil pour reprendre une attitude plus légère. Il doit bien avoir des défauts ce beau gosse !

L’humour permet à Manuella de ne pas trop s’impliquer émotionnellement et de cacher la détresse qui l’habite. Si elle s’écoutait, elle se répandrait au milieu de la cuisine de son amie, au sujet de ses déboires et de ses craintes pour l’avenir. Mais on lui a appris à serrer les dents face à l’adversité et elle ne s’autorise jamais à s’épancher sur son malheur.

Un sourire plaqué sur le visage, elle remet sa veste, relève le col de sa chemise et lisse ses cheveux bruns attachés en une longue et superbe queue de cheval lisse. Son attitude joyeuse masque parfaitement ses sentiments profonds.

En s’apprêtant à partir, Manuella tombe nez à nez avec le tableau de vision dont son amie lui a parlé, et qui est désormais accroché dans le couloir, face à l’entrée. Elle le regarde un instant.

En lettres capitales, tout en haut, y est inscrit une célèbre citation d’Oscar Wilde : « Ayez des rêves assez grands pour ne pas les perdre de vue lorsque vous les poursuivez. »

— Tu sais ce qui est drôle, reprend Gwendoline en regardant son panneau, c’est que tout ce qui m’arrive en ce moment, ce sont toutes ces choses, qu’un jour, j’ai osé coller sur mon bout de carton…

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