Chapitre 98 : L’amour de sa vie

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Nantes, le mardi 19 avril 2022

Comme toutes les après-midis, Gwendoline va chercher Emma à la sortie de l’école. Leurs retrouvailles, après quelques heures l’une sans l’autre, sont pleines d’effusion. Aujourd’hui, elle propose à sa fille de s’arrêter prendre le goûter à la boulangerie et de le manger en terrasse pour profiter du soleil.

Tout en savourant leurs viennoiseries, toutes les deux se racontent leur journée. Emma lui relate ses déboires d’enfant, notamment comment ses copines se sont liguées contre elle, à cause de la meneuse de leur petite troupe. Une certaine Clarisse, qui se prend pour la cheffe, et fait la pluie et le beau temps dans la classe depuis deux ans déjà. Emma a pris l’habitude de prendre sur elle lorsque c’était son tour d’être le bouc émissaire de Clarisse, mais aujourd’hui, son cœur est lourd et elle se confie ouvertement à sa mère :

— C’est ma pire ennemie, maman, tu sais, tout serait merveilleux si elle n’était pas là. C’est elle qui crée les histoires et les problèmes. Nous, on aimerait jouer tous ensemble mais elle fait des clans et, tous les jours, elle décide qui va être exclu pour la journée.

— C’est vraiment une peste, cette gosse, réplique la mère, outrée. Il ne faut pas vous laisser faire.

— D’habitude, je m’en fiche, mais cette après-midi, plus personne ne voulait jouer avec moi à cause d’elle. Je la déteste vraiment.

— Je sais que c’est très dur comme situation, ma puce, mais la seule chose que je peux te conseiller c’est de rester confiante. Les gens méchants finissent toujours par payer pour leurs méfaits. Un jour ou l’autre, cela lui retombera dessus à cette gamine. Reste aussi gentille que tu l’es. Crois-moi, c’est la seule façon de surmonter les difficultés. Les autres enfants finiront par voir à quel point elle est toxique et lui tourneront le dos. Si vraiment les choses empirent, j’irai parler à ton prof, mais en attendant, rappelle-toi quelle petite fille extraordinaire tu es et n’oublie pas que l’Univers est toujours du côté de ceux qui cherchent le bien.

Comme souvent, elle termine ses encouragements en la prenant dans ses bras et en l’embrassant jusqu’à ce que la petite se dérobe pour finir son gâteau, affamée.

Gwendoline aussi aimerait partager un peu de son quotidien mais son métier officiel ayant toujours été caché, elle a pris l’habitude de passer sa journée de travail sous silence. Cela dit, depuis qu’elle a pris la décision d’arrêter de travailler en tant que masseuse érotique, elle se sent déjà plus légère. Elle regrette de ne pas pouvoir partager cette grande nouvelle avec sa fille. En revanche, elle peut lui faire part de ses autres projets :

— Tu sais que je fais des photos pour devenir modèle professionnelle ?

— Oui, répond Emma, la bouche pleine de fondant au chocolat.

— Eh bien, j’ai été sélectionnée pour faire un shooting prochainement et il sera très bien payé.

— C’est vrai ? On va te voir dans les magazines ?

— Dans un magazine en tout cas, oui.

Emma ouvre de grands yeux ronds, partagée entre la surprise et l’incrédulité.

— C’est sûr ?

— Tout à fait. Tu te souviens quand je t’ai expliqué mon plan ?

— Ton plan comme dans la méthode Williams avec Will Smith ? Oui, je sais maman, soupire exagérément l’enfant, soulignant ainsi que sa mère n’a pas fait que lui en parler.

En réalité, sa mère l’a surtout bassinée avec son plan, presque quotidiennement, ces deux dernières années.

— Oui, mon plan. Celui que je garde en tête pour réaliser la vie de nos rêves.

— Et là, ça fait partie du plan, c’est ça ?

— Exactement. Toutes les séances photos que j’ai fait gratuitement pendant des mois, à côté de mon boulot, m’ont permis de me constituer un book papier et de mettre en ligne mes photos dans une agence. Avec ce contrat rémunéré, on me paie pour poser et ensuite, d’autres personnes verront mon travail et voudront, à leur tour, que je sois modèle pour eux et ainsi de suite. Cela fait partie du plan.

— Donc, tu arrêtes ton métier de traductrice ?

La maman ne peut s’empêcher de la taquiner en souriant :

— Tu veux plutôt dire que j’arrête d’être « traductueuse » ?

Emma, la bouche barbouillée de chocolat, se met aussi à sourire à l’évocation de ce qu’elle disait lorsqu’elle était plus petite. Elle et sa mère n’ont, depuis, jamais cessé de se le remémorer. Emma s’en donne à cœur joie pour rejouer la scène, hilare, une énième fois :

— Elle fait quoi dans la vie ta maman ? Elle est traductueuse !

Mère et fille se mettent à rire de concert.

— C’est comme traduire mais en tuant, ahah !

Continuant sur sa lancée, Gwendoline en rajoute une couche, imitant sa fille, lorsqu’elle avait quatre ans :

— Maman, elles sont où tes chaussures en dinde ? En dinde ? En daiiiimmm ! s’exclame-t-elle, les larmes aux yeux.

Emma se prend au jeu à son tour :

— Maman, c’est quoi déjà le truc qu’on mange à la fin du repas de Noël ? Tu sais bien, le truc-là, le tronc !

— La bûche ?! explose de rire sa mère, en s’essuyant les yeux. Chez nous, au réveillon, on mange le tronc de Noël !

La mère se met d’autant plus à rire qu’elle repense à la blague qu’avait fait Manuella lorsque que Gwendoline lui avait partagé la bourde d’Emma. Manuella, toujours prête à en rajouter une couche, avait alors déclaré :

— Le tronc de Noël ? Comme c’est mignon ! Tant que ce n’est pas l’étron de Noël, tout va bien !

Gwendoline garde pour elle la version censurée, d’autant plus que sa fille a du chocolat plein les dents et que cela pourrait porter à confusion. La petite a l’air d’avoir retrouvé sa bonne humeur habituelle, malgré sa journée difficile. Elle est toujours pliée de rire lorsqu’elle s’apprête à raconter une nouvelle anecdote :

— Maman, tu te rappelles quand j’étais malade ce que je te demandais ?

— Bien sûr. Tu voulais ton médicalmant ! Et je me rappelle aussi ta réaction, lorsque j’ai demandé une fois un service à Konrad. Je voulais qu’il m’aide à débarrasser la table et à charger le lave-vaisselle. Tu es intervenue en prenant sa défense : « mais maman, Konrad, c’est pas le bonnichier ! » Mon Dieu, j’ai tellement ri, ce jour-là. Tu m’avais fait ma soirée, ma princesse.

Emma rit de plus belle, la bouche pleine et les joues écarlates.

— Tu étais tellement mignonne quand tu disais cela. Je me suis vraiment régalée à t’écouter, s’extasie la mère, attendrie, en lui caressant la joue. Et puis, tu me faisais rire quand tu disais méchiante, ou dalmachien. J’avais aussi beaucoup aimé « l’étoile d’araignée », renchérit la maman, les yeux pétillants. C’était adorable, ma belette. Très poétique !

Mère et fille ne se lassent pas de revivre tous ces moments où les délicieux mots d’enfant d’Emma les ont fait rire à s’en tenir les côtes. Gwendoline a souvent consigné, dans son journal intime, les pépites verbales que sa petite trouvait, de peur de les oublier. En l'absence de sa fille, notamment lorsque cette dernière est chez son père, elle replonge souvent dans ses notes émouvantes.

C’est bras dessus, bras dessous, qu’une fois leur goûter terminé, la mère et la fille rentrent à pied jusqu’à leur maison, nichée au cœur d’un quartier pavillonnaire calme et arboré.

En arrivant à leur domicile, Gwendoline jette un coup d’œil discret à son téléphone, qu’elle a volontairement mis de côté depuis qu’elle a décidé d’arrêter de travailler. Savoir qu’elle n’a plus à répondre à ses clients est un réel soulagement. Cela faisait longtemps qu’elle en rêvait.

Elle s’étonne de ne pas encore avoir eu de nouvelle de la part d’Erwann. Voilà vingt-quatre heures qu’elle lui a envoyé son dernier message. C’est inhabituel pour lui de ne pas se manifester lorsqu’elle le contacte. Elle ne peut s’empêcher de repenser à cette discussion qui l’attendait avec Quentin. La possibilité que ce dernier ait vraiment été son client se fait de plus en plus forte.

Prise d’un frisson lui parcourant l’échine, Gwendoline ressent un mauvais présage à ce silence inquiétant. Une boule au ventre, elle commence à redouter le pire.

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