Le registre prodigieux

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Lorsque je repris conscience, je ne pus que constater que mon environnement avait changé. Je n’étais plus dans mon salon mais dans une très grande bibliothèque dont les hauts murs étaient couverts de registres, tous identiques dans leurs formes et textures, mais d’épaisseurs différentes. L’ensemble des meubles et du plancher était en bois sombre et une forte odeur d’encaustique embaumait la pièce.

J’étais moi-même assis devant un pupitre sur lequel était posé un registre ouvert à la dernière page. J’y reconnus immédiatement le faire part que m’avait apporté ma visiteuse de la nuit. Avec une étrange sérénité je crus alors être mort et être passé dans le monde d’après. J'ai souvent pensé à la mort, je l’imaginais peuplée des êtres que j’avais croisés et aimés. Mais ici, il semblait que j’étais seul, seul avec cet ouvrage posé devant moi.

Je m’en emparais donc et le refermais pour en étudier l’extérieur. Relié à l’ancienne, Il était recouvert de cuir brun tirant sur le cuivre, mon nom était imprimé en relief sur la tranche ainsi que ma date de naissance et une autre ligne semblable à une date mais que j’étais incapable de déchiffrer. Ces mêmes mentions figuraient aussi sur la page de couverture.

J’ouvris donc l’ouvrage et en première page vis une photo de ma naissance. Mes parents et grands-parents m’entourait alors que je ne devais avoir que quelques jours. Je connaissais cette photo car elle figurait aussi en première page de l’album que maman avait fait sur mes premières années. Je poursuivais ma lecture et retrouvais ainsi bon nombre de photos des événements qui ont marqué ma jeunesse. Cependant, si je pouvais reconnaitre la plupart des clichés, il me semblait que certains étaient inédits et je les découvrais. Sans doute, sous l’effet de la surprise, Je n’avais pas remarqué qu’étrangement les photos n’étaient pas figée mais se présentais sous forme de scénettes de quelques secondes dans lesquelles les personnages s’animaient. Je voyais des lèvres bouger ou des gens exprimer des sentiments, mais ne percevais aucun son. En revanche, je pouvais percevoir certains airs de musique qui m’avaient marqué.

J’ai ainsi pu me remémorer nombre de moments qui avaient jusqu’alors marqué mon existence. Des bons comme des mauvais. J’y retrouvais ainsi des clichés avec ma première copine, connue vers 15 ans et notre rupture sept ans plus tard qui fut pour moi un déchirement profond. J’y vis les nombreuses fêtes avec les raves parties dont je sortais plus ou moins cramé, les vacances avec mes grands-parents, le départ de mon père, mais aussi ma soirée chez l’architecte à jouer au jeu de la vérité. Cette séquence me laissa particulièrement désorienté parce qu’il était évident que nous n’étions que tous les deux, or la séquence ne pouvait avoir été prise que dans la pièce et en mouvement. De même certaines vues représentaient des moments que j’étais certain d’avoir vécu seul.

Faisant défiler les pages j’arrivais à des événements récents et pensais que les publications s’arrêteraient à ces derniers jours. Mais tournant une nouvelle feuille, je découvris des images que j’étais incapable de relier à mon vécu. Et il me semblait que plus j’avançais dans ma lecture et plus le personnage qui me représentait vieillissait.

Même si je reconnaissais certains personnages, plus je faisais défiler les pages et moins j’étais capable de les identifier. Je vis ainsi des photos de naissance où je tenais visiblement le rôle du père, des photos de fêtes de famille ou de deuil et je remarquais alors la disparition progressive de mes proches. J’y découvris aussi un accident de voiture, mais comme celui-ci était suivi d’autres photos de moi, je n’avais pas dû y laisser ma vie. Certaines vues me positionnaient dans de magnifiques jardins aux fleurs chamarrées où je recevais des félicitations ou des encouragements. J’en avais probablement été le créateur. Plus j’avançais en âge et plus j’étais entouré. Globalement la vie apparaissait sous un bon jour et j’aurais signé immédiatement si cela devait être le livre de mon existence.

Comme je l’avais observé au début de ma lecture, mon avis de décès occupait la dernière page du livre. Mais je ne pouvais y lire aucune date, ni aucun nom de famille. Seuls les prénoms de ceux qui étaient présentés comme ma conjointe, mes enfants et petits-enfants étaient lisibles.

À l'exception de ce faire part, le registe ne contenait aucun texte et aucune légende n'explicitait les photos.

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