Chapitre 37.1 : Samy "Colère."

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Décidément le monde est petit, l'employé désagréable croisé dans l'agence, n'est autre que le fils de Simone. Je me sens tout à coup mal à l'aise. Depuis que nous avons franchi la porte, l'ambiance est lourde voir orageuse. Après quelques échanges virulents et une sortie fracassante de Vince, le silence s'installe à nouveau dans la salle à manger. Assis, face à face, nos regards restent figés sur les assiettes, aucun n'ose briser le calme retrouvé. Dans cette maison, tout est aux antipodes de ces quelques jours passés à Royan et sur l'île d'Oléron. Je demande si l'invitation n'était pas un prétexte pour cette mère de famille de trouver une compagnie amicale. Difficile de rester insensible, quand le bateau tangue et que l'on assiste à un naufrage. Prendre une initiative, faire quelque chose. Ne pouvant rester muet plus longtemps, je ressens le besoin de parler.

  • Tout va bien ?
  • Oui, rassure-toi. Vince parle fort, il s'emporte, il a la fougue de son père.
  • Mais tout de même, c'est un peu excessif.
  • Cette année a été compliquée, il en a bavé.

Trop de choses viennent d'être dites ou pas assez. Je me demande s'il est nécessaire de connaître plus de détails de leurs vies. Je n’ai aucune légitimité pour en apprendre davantage. Pourtant, Simone enchaîne tout à coup les phrases de façon mécanique, elle déverse son histoire dans un flot de mots qui me submerge. Plus elle parle, plus je prends conscience que la femme qui joue avec sa fourchette souhaite évacuer le fardeau qui l'oppresse. Comme si l'inconnu que je suis, serait à même de comprendre ce qu'elle éprouve.

Le balancier de l'horloge accroché sur le mur de l'entrée rythme le monologue. Chaque pause devient salutaire, l'un et l'autre pour reprendre son souffle. Le récit avance et je sens la colère du fils dans les larmes de la mère. Elles montent progressivement sans vraiment qu'elles puissent s'échapper. Ses yeux font barrage à son chagrin. Je voudrais prendre cette femme dans mes bras pour la consoler, ouvrir les vannes et déchirer le voile qui l'empêche d'avancer. Tout cela est injuste. Ma famille me manque , je devrais les appeler juste pour leur dire combien je les aime.

Je profite de l'absence de Simone pour observer en détail les photos rangées sur la cheminée. Vince est aux côtés d'un homme qui lui ressemble tant. Le cliché doit dater de l'année dernière, un sourire sur leurs lèvres. Juste à côté, un écrin avec à l’intérieur une médaille, ultime hommage de la nation à un de ses soldats disparu. Difficile d'accepter que l'homme qui nous portait sur ses épaules, partageait nos passions, puisse quitter ce monde sans qu'on ait eu le temps de lui dire qu'il était formidable. J’imagine sans mal, ce que Vince a dû vivre et d'un autre côté ne comprends pas qu'il soit aussi dur avec sa mère.

Simone apparaît avec un plateau agrémenté d'une théière et de sablés. Elle me propose de finir le repas sur la terrasse pour apprécier la douceur de cette fin de soirée. J’accepte, un peu d'air nous fera le plus grand bien. Le ciel est magnifique, les étoiles scintillent sur cette toile éternelle. Dans le fond du jardin, une fontaine éclairée par des lampes solaires apporte un soupçon de magie. La délicate lumière et le bruit de l'eau apaisent nos âmes. Le silence a une saveur différente. Il est bienveillant et rassurant. Une bulle dans laquelle nous nous réfugions.

Les discussions se font plus légères, Simone enfile sa tenue de guide touristique. Tous les détails qu'elle me fournit me font voyager au travers de ces mots et expressions dont elle agrémente les récits. Curieux d'en apprendre plus sur les légendes de cette région, j’alimente l'échange en la questionnant. Derrière cette façade, la femme cache son immense chagrin. Partager avec elle ce petit va-et-vient permet ainsi de redonner des couleurs tendres à cette nuit.

Après cette pause, nous regagnons la cuisine, je range les sablés dans la boîte en fer sur l'étagère et essuie les derniers couverts. Minuit sonne, je pénètre dans la chambre que mon hôtesse m’a préparée. La chambre d'amis, au rez-de-chaussée , donne sur la terrasse. J’ouvre un battant de la porte fenêtre pour laisser entrer un soupçon de fraîcheur. Pas moyen de trouver le sommeil. La discussion avec Simone m'a chamboulé et encore plus l'attitude de son fils qui n'est pas réapparu après son esclandre. J’attrape mon carnet à dessin et commence à esquisser les contours du fort vu la veille flottant sur l'océan. Ce sera ma future escale.

Un grand bruit provient du jardin, je saute du lit et me précipite vers la porte fenêtre. Le vent se leve et fait claquer le volet. Je tire le rideau pour éviter qu'il se coince, une main me pousse violemment en arrière, et m’envoie au sol. La surprise passée, je me redresse et réalise que l'intrus n'est autre que Vince.

  • Ça va pas, qu'est-ce qu'il te prend ?
  • Dégage de mon chemin, je t'ai rien demandé.
  • Calme toi.
  • Putain, j'ai pas besoin qu'on me fasse la morale. Tu te tapes l'incruste, ma mère est inconsciente d'ouvrir sa porte à n'importe qui.

Son haleine me confirme que Vince a bu mais pas seulement.

  • Écoute, je suis son invité.
  • Ouais si tu le dis. Tu en as bien profité ?
  • Mais qu'est-ce que tu racontes ?
  • Une femme d'expérience, c'est toujours un bon coup.
  • Non mais t'es fou. Tu n'es pas dans ton état normal.
  • Oh que si et si tu veux maintenant tu peux te taper le fils, ça te tente.
  • T'es pas bien, ça tourne pas rond dans ta tête...

Je n’ai pas le temps de finir ma phrase, que le jeune homme me prend dans ses bras en me faisant basculer sur le lit.

  • Vince, oublie tout de suite, dis-je en le repoussant.
  • Allez, pourquoi pas ? Fais pas ta gonzesse.
  • Pauvre con, tu n'es qu'un abruti. Dégage.

J’hésite entre lui en coller une, lui donner une leçon ou l'ignorer. Alors que je tente de repousser son corps qui m'écrase, je réalise que Vince s'est endormi.

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