Chapitre 37.5 : Samy "Une nuit cauchemardesque."

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Une fois nos esprits apaisés et nos deux corps totalement trempés, nous retournons nous mettre à l’abri. Vince semble perdu, tout doit se bousculer dans sa tête. Il ne sait même plus où se trouvent les allumettes pour faire une flambée. Il a un briquet dans son blouson, ce matin il fumait sur la terrasse. Je fouille dans les tiroirs pour mettre la main sur du papier et m’approche de la cheminée. Les premières flammes envahissent l’âtre, la flambée diffuse une douce chaleur. L’appartement est équipé d’une douche minuscule dans laquelle Vince s’éternise depuis un quart d’heure.

  • Tout va bien ? Tu ne t’es tout de même pas noyé ? crié-je pour m’assurer qu’il ne s'est pas endormi ou évaporé dans les tuyaux.
  • T’inquiète, ça va le faire, je te laisse la place dans cinq minutes.
  • Prends ton temps, je ne suis pas pressé.

Vince déboule dans le salon juste vêtu de son caleçon, la lumière des flammes se reflète sur son torse nu. En le découvrant, je ne peux quitter la cicatrice dessinée sur son flanc droit. La trace semble récente, sentant à nouveau un malaise poindre, j'attrape la serviette au vol avant de disparaître à mon tour dans la salle de bain. Enfin seul, l’eau chaude glisse sur ma peau et me réconforte. Je ne sais pas ce que la nuit nous réserve, pour l’heure je veux juste me détendre. Dehors, la tempête se fracasse contre les volets sans discontinuer.

Quand je réapparais dans le salon, j'ai l'agréable surprise de voir que Vince prépare un petit encas. Dans un panier d’osier sont rangées les viennoiseries du petit déjeuner. Derrière la gazinière, il est en train de concocter des œufs brouillés. Finalement, le jeune homme a plus d’une corde à son arc, il est capable d’être autonome sous ses airs d’enfant capricieux. Le voir ainsi s’activer me rassure et je mets la table

L’un et l’autre nous affairons, quand Vince propose de mettre un peu de musique. Sur l’étagère de la bibliothèque se trouve une vieille platine et quelques disques posés sur le côté.

  • Tu as une préférence ? me demande-t-il en passant ses doigts sur les pochettes.
  • Vas-y, choisis, après tout tu es chez toi.
  • J’espère que tu aimes les grands classiques, parce que ce sera un air de Vivaldi : Les quatre saisons, papa les adorait.

Les tonalités enjouées envahissent la pièce, l’orage accompagne les envolées des violons. Dans cette ambiance qui dans d’autres circonstances aurait pu être d’un romantisme absolu, seuls les concertos envahissent les esprits. Les discussions qui agrémentent le repas sont simples. Je raconte mon histoire et comment chemin faisant je me suis retrouvé ce soir au Fort. Vince se contente de sourire et de m’écouter. Après la dernière bouchée avalée, nous nous mettons dans le canapé face à la cheminée. Sous la couverture trouvée dans le coffre, nous nous blottissons tout naturellement l’un contre l’autre, Vince vient poser sa tête sur mon épaule et s’endort aussitôt.

Je décide de dessiner, des étincelles sont venues se calquer sur mon papier au travers de mon crayon, féerie de mon imagination. À côté de moi, Vince n’a pas bougé, sa respiration est calme, de temps à autre son souffle se fait plus marqué mais rien d'inquiétant. Je repense à tout ce qu’il m'a confié. Même si certaines parts d’ombre n’ont pas été levées, dont cette marque profonde sur son corps, pour l’heure son sommeil est apaisé. Quelque part je me demande si ce n’est pas ce dont il a le plus besoin, une nuit sans heurts. Bercé par les flammes, mes paupières s'alourdissent.

Un éclair plus violent que les précédents me réveille en sursaut à moins que ce ne soient les hurlements de l’homme qui dort dans mes bras. Je me redresse pour attraper Vince. Peine perdue, il m'échappe; il est effrayé et essaye de fuir un monstre. Quand je réalise qu’il s’agit d’une crise de somnambulisme, je cherche à garder un œil sur ses gestes pour ne pas le sortir de ce cauchemar éveillé. Les paroles tout d’abord inaudibles se font plus distinctes, il appelle son père désespérément. Il tend les bras dans le vide comme s’il cherchait à attraper un fantôme. Impuissant, j'attends que la crise passe, son corps se relâchera et il plongera dans les bras de Morphée. Les yeux grands ouverts de Vince scrutent l’espace vide qui l’entoure, il fait les cent pas dans la pièce sans but. Pour retirer tous les dangers, je pousse les chaises. Songe avec horreur à ce qu’il pourrait faire sans en avoir conscience, même si je sais au fond de moi que pendant les crises, la personne ne se met pas en danger. Enfin là, c’est impressionnant, et encore plus au moment où Vince saisit un couteau et le dirige en direction d’un danger que lui seul perçoit. J'hésite à m’approcher de peur de ne pas pouvoir le maîtriser et de me retrouver à lutter pour attraper cette arme blanche qui pourfend les airs. En découvrant un long bâillement étirer ses lèvres, je comprends que le corps se détend, Vince va basculer dans le sommeil. Tel un zombie, il repose le couteau sur la table, se pose sur le canapé et se rendort instantanément. En un claquement de doigt, le calme est revenu.

Je repose la couverture sur le corps de Vince, avant d’aller me chercher un verre d’eau et ouvre la porte pour observer l’orage. Je regarde l’heure affichée sur mon portable et découvre qu’il est minuit passé. Une notification m'interpelle, avis de tempête, vent violent en approche des côtes. Que faut-il entendre par là ? La situation n’est pas assez compliquée, dans cette forteresse de pierre, aucun risque. Elle a connu des assauts bien plus violents, une tempête ne devrait pas l’ébranler. Pas le temps de finir mes réflexions, qu’un vent venu du large me pousse en arrière me plaquant contre la porte qui s’est fermée. Un frisson me parcourt, prisonnier à mon tour. Le ciel s’agite, l’océan s’excite, j'entends les vagues claquer contre les rochers, pris de panique je saisis la poignée pour entrer dans l’appartement. Vince est réveillé.

  • ça va secouer, annonce-t-il avec sérieux.
  • Tu entends quoi par-là ?
  • Que la nuit va être longue.
  • Et qu’il y a-t-il à faire ?
  • Patienter tout simplement.
  • Ok, et …
  • Et je ne sais pas.
  • Tu n’as jamais connu de tempête, dis-je inquiet.
  • Aussi bizarre que cela puisse paraître, non, papa s’arrangeait toujours pour que nous rentrions si le temps se gâtait.
  • Et là, ça ne t’est pas venu à l’idée de te renseigner avant de m’embarquer ici, ajouté-je agacé.
  • Pas vraiment.
  • Super, surprise, tu m'as bien eu.
  • Je suis désolé.
  • Oh, ne le sois pas. Je crois que je flippe un peu.
  • Alors nous sommes deux, rassure-toi.

Cette virée sur le fort, je ne suis pas près de l’oublier. Nous nous assurons que tous les accès sont hermétiques pour permettre l’étanchéité du lieu. Après toutes les vérifications, nous nous posons sur le canapé. Vince prend ma main que je ne retire pas. Nous avons besoin d’un point d’attache. Vince ouvre les vannes et commence à parler de tout ce que son cœur ne peut plus contenir. Il me parle de ses années de bonheurs partagées avec son père, de ces moments privilégiés entre garçons dans ce fort à chacune de ses permissions, des cauchemars qui secouaient l'homme qu’il aimait plus que tout et qu’il a vu pleurer pendant son sommeil, de ces excursions en mer à bord d’un voilier que depuis sa mère a revendu et qu’il espérait tant pouvoir conserver. Et il se met à conter cette nuit où l’annonce est tombée, froide, irrévocable sans qu’il soit vraiment prêt à la digérer. De ces deux militaires devant la porte de la maison familiale, cocon où il venait se ressourcer, présentant leur hommage dont il n’avait rien à foutre, du chagrin de sa mère dévastée. Elle a réussi à faire son deuil là où lui encore s’enlise. Plus les mots glissent du bord de sa bouche, plus les larmes dévalent sur ses joues, plus la souffrance le malmène et plus son corps se secoue. Je le prends par les épaules et le serre contre moi, Vince tremble, tout son être se liquéfie. En laissant ma main glisser le long de son torse, mes doigts effleurent la cicatrice cachée sous le polo, une onde électrique transperce l’homme qui se tient à ma droite.

  • Ma plus belle connerie, libère-t-il du bout des lèvres.
  • Tu veux en parler.
  • Et te dire que je n’ai pas su me contrôler, que j’ai bu plus qu’il ne le fallait, que j’ai voulu jouer au gros bras, que je me suis battu parce que je voulais me venger, que le mec qui était en face de moi ne voulait pas s’en laisser compter, a fracassé une bouteille, et qu’il s’en est servi pour me tailler les abdominaux. Qu’il m’a laissé pour mort et que je ne voulais qu’une chose : ne pas le faire mentir. Que ma mère m’a retrouvé dans une mare de sang et que je l’entendais hurler. Que mon meilleur pote ne me parle plus depuis parce que je lui ai dit qu’il aurait mieux fait de me laisser crever. Que quand je me regarde dans le miroir, je déteste l’image qu'il me renvoie.

Vince fait une pause, reprend son souffle, ses yeux plonge dans la mien, la colère s’envole, le voile se déchire et il m'avoue :

  • Que tu es entré dans ma vie comme ça, sans y être invité, que tu m’as remis à ma place, que tu m’as regardé sans me juger, que tu n’as pas déguerpi quand je t’ai blessé, que tu as pris la peine d’écouter ma mère qui avait besoin de se confier, qu’avec un calme impressionnant tu es encore là, alors tous les autres m’ont fui.
  • Disons que je n’ai pas le choix, dehors c’est bien pire, dis-je avec un sourire au coin des lèvres.
  • Putain, même quand tu es ironique, tu me fais rire et ça me fait tellement de bien.
  • Tu veux faire quoi maintenant ?
  • Vivre tout simplement.

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