Chapitre 38.2 : Victor "Toi ici."
Pas le temps de répondre; il se tient devant moi avec son sourire charmeur.
- Qu’est-ce que tu fais là ? dis-je une fois la surprise passée.
- Je suis en vacances et j’ai du temps à perdre, me répond-il d’une voix joyeuse.
- Mais comment es-tu arrivé jusqu’ici ?
- Tu sais qu’il n’y a pas que le vélo comme moyen de transport, ajoute-t-il avec un air taquin.
- Alors ton message… C’était un rendez-vous ?
- Ou tout au plus une invitation. J’avais envie de passer encore un peu de temps avec toi avant que tu ne poursuives ta route.
- Et si je n’étais pas venu ?
- Eh bien j’aurais traîné dans la Rochelle et j’aurais fini par prendre le train pour rentrer chez mes parents jusqu’à la fin du mois.
- Mais c’est de la folie. Tu as sûrement mieux à faire et puis ils vont se faire du souci.
- T’inquiète, je les ai prévenus que j’avais un contretemps. Faire un crochet pour venir partager un moment sympa avec un gars génial, il y a pire. Mais ça, ils n'ont pas besoin de le savoir.
- Exagère pas…
- Qu’est-ce que je vous sers ? nous interrompt le garçon de café.
Nous le regardons et éclatons de rire nerveusement.
- Votre spécialité, s’empresse-il de répondre pour ne pas laisser penser que nous puissions nous foutre de qui que ce soit.
- Une bouteille pour deux ? nous propose le serveur.
- T'en penses quoi, me demande-t-il en ne me quittant pas des yeux de peur que je m’évapore.
- Si vous voulez un conseil, je vous suggère celle au parfum de framboise, un pur délice. Je vous laisse un instant pour réfléchir, dit le barman. Un Eye contact suffit et je vous la livre, ajoute-t-il avant de s’adresser aux deux filles de la table voisine.
Elles le dévorent des yeux. S’il était un éclair, elles n’en auraient fait qu’une bouchée. De mon côté, cette distraction me permet d’échapper à son regard. J'attends qu’il reprenne la parole. Je suis à la fois agréablement surpris de le voir ici et d'un autre côté je m’inquiète à l’idée qu’il ait mal interprété mes derniers mots. Pas le temps de dire quoi que ce soit qu’il m’attrape la main et me dit à voix basse le plus posément possible :
- Rassure-toi Victor, je n’ai pas d’idée précise en tête. Je veux juste passer encore un peu de temps avec toi, mon ami.
Ce terme sonne presque faux, pourtant il a l’air sincère ou j'essaie de m’en convaincre. Je joue avec le dessous de verre pour m’occuper l’esprit et il poursuit :
- Je ne veux rien de plus. Ce que nous avons vécu fut magique. Je ne veux pas changer tes plans, te stopper dans ton élan.
Il prend une pause pour déglutir et enchaîne avec un ton plus léger :
- Le vélo et moi ça fait deux et surtout je n’en avais pas sous la main pour t’accompagner. Tu as passé douze heures sur la route et moi seulement deux dans un train. J’ai eu le temps de rêvasser et de réfléchir.
Je ne perds pas une seconde sa bouche des yeux, les mots qui s’échappent du bord de ses lèvres me touchent. Je pourrais à nouveau tomber dans ses bras mais nous le désirons pas ni l’un ni l’autre. Cette nuit partagée restera pour nous si spéciale. Mais nous nous sommes égarés parce que nous cherchions avant tout du réconfort pour ne pas sombrer. Ici dans ce café de la Rochelle, nous en prenons conscience quand nos doigts se serrent et se relâchent.
- Et maintenant, que faisons-nous lui demandé-je en fixant ses prunelles qui, elles, ne m’ont pas quitté.
- Je paie un coup à mon meilleur ami parce que je ne sais pas toi mais moi j’en ai envie. Je souhaite que tu restes dans ma vie même si nous nous éloignons physiquement. Je veux te savoir heureux où que tu sois, lâche-t-il avec une larme au coin des yeux.
L’émotion grandit en moi, tel un raz de marée prêt à m’emporter sans pouvoir retenir sa main qui tente de se sauver. Les mots sont force dix sur une échelle de huit, une tempête s’annonce dans ma tête. Ses phrases disent des choses et les battements de son cœur perceptibles au travers de ma peau tambourinent un SOS. Il caresse mon pouce. J’hésite à répondre, je m’accorde une respiration. Cette apnée me laisse sans voix, j’ai peur d’ouvrir la bouche et me noyer.
- Victor, dit quelque chose s’il te plait. Je te garantis que je ne veux rien d’autre que passer la soirée à tes côtés.
- Et pour la nuit ?
- Je ne sais pas. Sous la tente ? propose-t-il.
- Je n’ai qu’un duvet.
- Je me ferai tout petit, me dit-il dans un long soupir.
- Mais je ne sais même pas où je vais planter cette foutue toile. Je n’ai même pas eu l’occasion de l’utiliser.
- Pas une fois depuis que tu es parti de Paris ?
- Non pas une, aussi surprenant que cela puisse paraître.
Le serveur choisit ce moment pour réapparaître avec un plateau où sont posés une bouteille et deux verres. Je l’observe nous servir. Avec dextérité, il remplit nos chopes et en profite pour nous proposer une solution de secours :
- J’ai entendu votre conversation et si ça vous tente, mon grand-père a un jardin assez grand pour squatter un petit coin. Si vous êtes partants, avec des potes après mon service, on va manger un truc sur la plage. Sauf si vous préférez rester tous les deux.
- Ça pourrait-être cool, répond-il du tac au tac avant de me dévisager attendant mon accord.
- Pourquoi pas, ce sera toujours mieux que de se retrouver plantés.
- Parfait, voici l’adresse, c’est à deux pas d’ici. Je le préviens que vous arrivez.
- Décidément, tu as une capacité désarmante d'attirer les gens et de leur laisser une telle impression qu’ils veulent partager un peu de leur vie avec toi.
- Je ne sais pas, depuis le début de mon voyage toutes mes rencontres se sont faites ainsi. Dommage que mes parents n’aient pas eu ce sentiment pour moi. Eux, ils ont tout fait pour toujours m’éviter.
- Laisse-les là où ils sont, tu mérites bien mieux. Allez fini ton verre qu’on aille découvrir notre jardin d’Eden.
Alors que nous passons la porte, le serveur nous interpelle :
- Revenez à la fermeture, je vous attendrai. J’ai prévenu Marius. C’est mon grand-père, il est heureux de vous accueillir.
Je récupère mon vélo et nous longeons les boutiques qui agrémentent la rue pour rejoindre les quais. Nous marchons côte à côte sans qu’aucun son ne s’échappe de nos bouches. Un malaise s’installe, ma monture de fer nous sert de bouclier. C’est absurde, pourquoi ne suis-je pas capable de briser à nouveau ma carapace ? Qu’est-ce qui me prend ? Il est venu jusqu’à la Rochelle et je suis en train de le snober ? Ma réaction n’a aucun sens. Je marche en scrutant l’horizon, le soleil plonge délicatement dans l’océan derrière le Fort Boyard, il libère des tons chaleureux dans ce ciel d’été. Le cadre est féerique et de mon côté, je viens bêtement d’élever un rempart entre nos deux êtres. Quand nous arrivons à l’adresse indiquée, le vieux monsieur nous attend avec un grand sourire. Une bouée lancée pour nous rattraper avant de couler à pic dans notre silence.
- Salut les jeunes, Maël m’a dit que vous arriviez. Je suis ravi de faire votre connaissance : deux loups de mer à la recherche d’un asile pour la nuit, ça me rappelle tant de souvenirs. Allez ne soyez pas timides, entrez.
Le jardin est un ponton où nous allons pouvoir nous amarrer. Nous suivons notre hôte, il nous guide dans ce dédale de bruyères et chantonne pour accompagner son pas.
- Dans la cabane du fond, vous trouverez des toilettes et une douche extérieure. Vous pourrez monter votre tente dans l’herbe à l’abri de la haie. Si le vent se lève dans la nuit, il ne vous malmènera pas, nous dit-il.
Après les recommandations d'usage, il s'éloigne nous précisant qu'il a deux ou trois choses à faire mais de ne pas hésiter à venir le déranger si nécessaire. Nous nous retrouvons tous les deux, nous observant en chien de faïence, et Arthur se lance le premier :
- Victor, qu’est-ce qui t’arrive ? Pourquoi te montres-tu si distant ? J’ai fait un truc de travers. Ok, je n’aurais pas dû venir. Je peux repartir si tu veux, là tout de suite.
Je le vois me tourner le dos, attraper son sac posé sur le banc, et avancer dans l’allée.
- Non, reste s’il te plait, le supplié-je.
Il ne se retourne pas.
- Pardon, je ne sais pas ce que je fais ? J’ai peur de m’attacher et de perdre aussitôt ceux qui entrent dans ma vie.
Il ne bouge toujours pas alors je continue, les mots se déversent. Il a cette capacité de m’offrir un espace de liberté où je peux me blottir pour me confier.
- Je ne m’attendais pas à ce que tu viennes jusqu’ici. Peut-être que c’est plus simple pour moi de grimper sur mon vélo et de fuir pour ne pas souffrir.
Il reste figé, le temps s’arrête, le monde ne tourne plus. J’ai peur de l’avoir blessé.
- Qu’est-ce que tu espères de ton côté ? Que nous restions des amis ? Ou attends-tu autre chose ?
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