Chapitre 38.3 : Victor "La tendresse."

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Arthur m’observe. Je sens bien qu’il ne sait pas trop où il en est de son côté. Nous avons l’air tellement bête. Nous avons partagé des moments intenses et là ni l’un ni l'autre ne pouvons lâcher un mot sensé. Deux sombres idiots devenus muets. Heureusement, le grand-père de Maël choisit d'apparaître sans que nous l’ayons entendu s’approcher. Avec son air jovial, il rompt la glace :

  • Bon les petits gars, un thé ça vous tente. Pour une fois que j’ai un peu de compagnie pour discuter.
  • Avec plaisir, nous en serions ravis, répond Arthur.

Cette réponse me rassure, il a décidé de rester. Et si c’était moi qui me faisais des films ? Il est juste là pour que nous partagions un peu plus de temps ensemble. Je ne veux pas perdre cette amitié. Nous l’avons tissée en quelques jours et je ne veux pas tout gâcher. Ne pas créer des problèmes là où il n’y en a pas.

  • Victor, m’interpelle Arthur, Marius te demande si un thé à la menthe ça te convient ?
  • Hein. Une menthe à l'eau, non merci, réponds-je à côté de la plaque.
  • Mais non, un thé. Tu as des problèmes de surdité ? me demande le vieux monsieur avec un sourire taquin. Ça m’arrive de faire répéter ou de prétendre être sourd pour qu’on me laisse tranquille, ajoute-t-il avec un clin d’œil, parfois c’est bien pratique.
  • Pardon, j’étais juste ailleurs, perdu entre la région parisienne et La Rochelle.
  • Tu es venu jusqu’ici en vélo ? m’interroge-t-il avec intérêt.
  • Oui, je suis parti depuis quelques jours et j’ai décidé de me rendre dans le sud.
  • Un sacré voyage. Comment se fait-il que tu entreprennes une telle expédition ?
  • Je voulais fuir la capitale.
  • Je peux te comprendre. J’y suis allé à plusieurs reprises étant jeune pour retrouver une amie qui était chère à mon cœur. Mais à chaque fois, j'étouffais au milieu de cette foule. Heureusement, je m'accrochais à son sourire comme on s’accroche à une bouée pour ne pas couler.
  • C’est un peu pour ça que j’ai pris cette décision. Je voulais découvrir un autre univers, des grands espaces et une vraie liberté de vivre.
  • Pourquoi passer par La Rochelle ? demande-t-il aussitôt.
  • Je l’avais promis à ma grand-mère. Elle m’a emmené ici pour mes dix huit ans. Elle m’a tant parlé de cette ville où elle a passé ses vacances.
  • Ah oui, c’est étrange. Des souvenirs me reviennent en t’entendant.
  • Pourquoi ?
  • Après c’est une ville vraiment charmante surtout pour les grands romantiques comme nous sommes. Tu sais plus je te regarde et plus je me dis que tu lui ressembles.
  • À qui ? demande-t-on en même temps avec Arthur.

Nous sommes curieux de connaître l’histoire cachée derrière ses yeux bleu gris.

  • Oh c’est une histoire d’amour, dit-il du bout des lèvres.
  • Est-ce que cela vous embête de nous la raconter ? Enfin si vous le voulez bien.
  • Avec un grand plaisir, mais ne bougez pas avant, je vais chercher quelque chose.

À qui puis-je lui faire penser ? À moins que cela soit nous qui lui rappelions quelque chose. En attendant son retour, avec Arthur nous nous asseyons sur la terrasse agrémentée d’une table en fer et de ses quatre chaises avec leur galette rayée. La vue est juste somptueuse. Sans m’en rendre compte, j’ai posé ma main sur celle de mon ami. Sa peau est chaude, mes doigts glacés le font frissonner. Il ne me quitte pas des yeux et espère que j’ouvre la bouche pour dire quelque chose d’intelligent. J’hésite et décide de parler pour mettre les choses au clair. Enfin, encore faudrait-il que cela soit précis dans ma tête. Pourtant, une évidence se fait de plus en plus forte, j’ai adoré la nuit que nous avons partagée et apprécie ce que nous nous sommes offerts avec douceur.

  • De la tendresse…
  • Qu’est-ce que tu entends par là ? s’empresse-t-il de me demander.
  • Que ce que nous partageons, c’est avant tout de la tendresse, celle dont on a besoin en toute circonstance.
  • Tu peux être plus précis, ajoute-t-il avec une légère inquiétude dans la voix.
  • C’était une des chansons préférées de ma grand-mère. Tu ne la connais peut-être pas.
  • Non, mais je veux bien que tu me dises ce qui te fais penser à cette chanson en pensant à nous deux.

Je ne peux me retenir et commence à chantonner le passage qui semble tellement correspondre à ce que nous vivons :

Quand la vie impitoyable

Vous tombe dessus

On n'est plus qu'un pauvre diable

Broyé et déçu

Alors sans la tendresse

D'un cœur qui nous soutient

Non, non, non, non

On n'irait pas plus loin.

Je sens la main d’Arthur agripper la mienne, mes battements de cœur ralentissent quand ses lèvres se posent sur ma joue. Puis, il m’attrape dans ses bras, me serre fort et me murmure à l’oreille:

  • Laisse moi une seconde pour que je pose à mon tour des mots.

Il se laisse tomber sur sa chaise et je vois que ça cogite dans sa tête. Il prend son portable et met la chanson. J’espère que nous ne faisons pas fausse route, je souhaite que les paroles de Bourvil, parlent à son cœur sans le blesser. D’un autre côté, je me demande pourquoi Marius met autant de temps à nous rejoindre. Je tourne la cuillère dans ma tasse, je ne sais pas ce que je mélange, je n’ajoute jamais de sucre dans mon thé. Sûrement un geste sans intérêt que l’on s’amuse à faire pour occuper son esprit sans en avoir l’air. Arthur se lève d’un coup et se précipite vers la tente. Il doit vouloir récupérer une feuille et un crayon : un nouveau défi poétique. Voilà encore un point commun entre nos deux êtres. J’hésite à bouger et aller le rejoindre, mais préfère lui accorder cet espace de liberté dans lequel il a envie de déposer ses vers.

Marius se tient devant moi avec un portrait en noir et blanc, il y a un couple assis sur la plage.

  • Regarde ce que je te disais, ne me dis pas qu’il n’y a pas un petit air.

Je tiens le cliché dans ma main, j’ai dû mal à réaliser.

  • Ce n’est pas possible, dis-je tout doucement.

Pourquoi parler aussi bas, j’ai peur de quoi ? De réveiller un fantôme.

  • Je ne sais pas, tu en penses quoi ? demande-t-il tout aussi surpris.
  • Que le monde est petit. On pourrait parler de hasard, de coïncidences. On pourrait dire que c’est le destin qui se mêle et s’emmêle.
  • Elle est mon premier amour, le seul et l’unique. Tu sais que lorsque nous nous sommes perdus de vue, j’ai pensé que ma vie se terminait.

Je ne comprends pas comment c'est possible ? Je suis devant un inconnu et pourtant l’est-il ?

  • Et tu me dis, que vous êtes venus ici il y a deux ans.
  • Oui, elle m’a emmené sur cette plage. Quand j’ai longé les quais cet après-midi, je pouvais sentir sa présence m’accompagner.
  • Tu parles d’elle au passé…

Je sens un voile se déposer sur ses yeux, dans les miens des larmes sont prêtes à s’échapper.

  • Oui, en début d’année. Elle a rejoint les anges, une nouvelle étoile brille dans mon ciel. Elle était tout pour moi, c’est pour cette raison aussi que j’ai fui Paris.
  • Est-ce qu’au moins elle a été heureuse avec son mari ?
  • Oui, je le pense. Enfin, elle n’en parlait pas vraiment. Je n’ai pas connu mon grand-père, il est mort bien avant que je vienne au monde.

En repensant à cette partie de sa vie, je me rends compte que je n’ai jamais vu de photo de cet homme. Serait-ce pour ça que ma mère était aussi remontée contre elle ? Ma grand-mère avait gardé un secret qu’elle avait dû taire pour satisfaire les convenances d’un autre temps.

  • Joséphine était une femme formidable, me confie-t-il alors que des gouttelettes dévalent sur ses joues.

Je ne peux m’empêcher de le prendre à mon tour dans mes bras en attendant son prénom. Nous parlons bien de la même personne, de celle qui m’a tout donné, tout pardonné et a fait de moi l’homme que je suis. Nous avons besoin de nous réconforter, en ressentant ce vide qui s’immisce dans nos âmes perdues. Je tremble à l’idée de comprendre que je serre dans mes bras peut-être mon grand-père. Mais je n’ose pas poser la question à voix haute. Pourquoi ne m’en a-t-elle pas parlé ? Nous nous disions tout, enfin c’est ce qu’il me semblait. Pourquoi ne m’a-t-elle pas confié son histoire ? Je ne l’aurais jamais jugée, qui aurais-je été pour le faire ? Mon cœur se serre à chaque pensée qui fuse dans ma tête. Ma mère est-elle au courant ? Décidément, cette journée est des plus éprouvantes. Arthur choisit de réapparaître et de reprendre les paroles qu’il a notées. Il ne se doute pas que ces quelques mots ont bien plus de sens en ce lieu et à cette heure.

Un enfant vous embrasse

Parce qu'on le rend heureux.

Tous nos chagrins s'effacent

On a les larmes aux yeux.

Mon dieu, mon dieu, mon dieu

Dans votre immense sagesse

Immense ferveur

Faites donc pleuvoir sans cesse

Au fond de nos cœurs

Des torrents de tendresse

Pour que règne l'amour

Règne l'amour

Jusqu'à la fin des jours.

À son tour, il me donne un papier sur lequel il a écrit quelques mots qui me bouleversent. Je ne sais pas ce que la vie me réserve encore, mais dans ce jardin, elle vient de prendre un nouvel élan.

Avec ma tendresse, je t’embrasse.

Sur ta joue un bisou comme unique trace.

De cette nuit où tu m’as apporté cette caresse

Qui avant tout restera la plus belle de nos promesses.

Je n’attends de toi que voluptueuses tendresses

Qui peu à peu sur nos cœurs s’empressent.

Un coup de foudre amical paresse

Ne voit pas là une erreur de jeunesse

Juste une merveilleuse histoire qui se tresse

Entre deux amis, rêvant avant tout de tendresse.

Ton ami Arthur.

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