Chapitre 39.4 : Samy "Une belle matinée."
Après un bon repas sur la terrasse, je rejoins la chambre qu’Anna, la maîtresse de maison m'a préparée pour l’occasion. Elle se situe en face de celle de Maël. J'ouvre la fenêtre pour profiter de la brise marine, ce petit vent d’été rafraîchit la pièce. Elle est aménagée avec beaucoup de goût, la peinture bleu est apaisante. Une tête de lit composée de petites étagères avec ses lampes de chevet apporte un style industriel. Je balaye l’espace et découvre derrière le paravent une douche à l’italienne décorée de carreaux de ciment noir et blanc. Décidément, je ne m’attendais pas à être aussi bien reçu. Alors que je m’allonge sur le lit, j'entends qu’on tapote à ma porte. Une tête apparaît dans l’embrasure accompagnée de quelques mots :
- Samy, je peux entrer ?
- Oui.
Aussitôt dit, aussitôt fait, Maël est déjà assis dans le fauteuil proche de la fenêtre. Il pose deux canettes et quelques friandises.
- Oh ça te dit de discuter un moment ? Enfin, tu as peut-être sommeil après une journée en selle ?
- Ça va le faire, dis-je en songeant à ma nuit au Fort Enet.
- Bon, après tu es déjà dans le lit. Aussi si tu t’endors, je m'éclipse.
Il est clair que le serveur ressent le besoin de parler. Il commence par me raconter comment ils se sont rencontrés avec Vince à l’école primaire. Le petit garçon avait collé son poing dans le nez du blondinet qui n’arrêtait pas de le bousculer à la récréation. À l’évocation de ce souvenir, Maël sourit et ne peut s’empêcher d’ajouter que son meilleur ami aimait dès son plus jeune âge se mettre dans des situations épineuses. À cette époque, ils vivaient à la Rochelle dans le même immeuble.
- Ces années sont inoubliables, me dit-il avec un regard plein de tendresse. On faisait les quatre cents coups, enfin plus précisément Vince enchaînait les bêtises, rien de méchant, et je lui ai sauvé les fesses. Puis, on a été séparés à l’entrée au collège. Simone a trouvé un travail à l’office de tourisme de Fouras. Ce qui l’arrangeait, voulant se rapprocher de sa mère souffrante.
Le jeune homme parle avec regrets de cette période où il ne pouvait plus voir aussi souvent, celui qui était comme un frère siamois. Il précise qu’ils avaient essayé de trouver des espaces communs pendant les vacances, mais cela ne s’accordait pas souvent.
- On s’écrivait des lettres, ajoute Maël avec nostalgie. Mes copains de cinquième se foutaient de moi. Les envois hebdomadaires se sont espacés par la suite sans raison apparente. Le père de Vince partait de plus en plus souvent en déplacement pour des missions de longues durées. Cela rendait Vince malheureux et anxieux. Quand nous fûmes en âge de rentrer au lycée, ses parents ont opté pour l’internat de la Rochelle. Quelque part, cela nous a permis de nous retrouver. Vince venait passer le week-end à la maison Joséphine. Il dormait d’ailleurs dans la chambre où tu es ce soir. À plusieurs reprises, ma mère proposa à Simone de se joindre à nous pour partager ces moments qui la sortaient de sa solitude. La mort de son père l’a plongé dans une dépression, Vince se battait contre les fantômes qui le hantaient. Il est reparti à Fouras, il ne voulait pas laisser sa mère seule, se sentant obligé de tenir le rôle de son père. Et la suite, je pense que tu la connais.
- Oui, il m’a tout raconté.
- Tu dois avoir un sacré pouvoir de bienveillance, tu ne le connaissais pas et il s’est senti en confiance. Je viens de te rencontrer et je fais de même.
- Oh, je pense surtout qu’il est parfois plus simple de tomber le voile avec un inconnu.
- Bon, eh bien à toi de me confier un truc comme ça je me sentirais moins bête. Enfin ne te sens pas obligé.
- Après tout, pourquoi pas ? Parfois ouvrir les vannes ça fait du bien. Pose une question, ça aiguillera mes confessions.
- Tu as déjà été amoureux ?
Je reste interdit, je ne m’attendais pas à une question aussi directe.
- Oui, enfin je le croyais, dis-je avec le cœur serré.
- Comment as-tu su que ce n’était pas l’amour avec un grand A ?
- Je ne sais pas si on peut vraiment le savoir sans l’avoir réellement vécu.
- Mais la fille, elle t’a fait comprendre que …
- Alors avant d’aller plus loin, sache que je conjugue le verbe aimer au masculin…
- Oh, alors le gars …
- Fabrice était un abruti en repensant à notre relation, réponds-je avec fermeté.
- Il t’a blessé ?
- Sa décision m’a anéanti. Mais avec le recul, je ne regrette pas. Il a été ce premier amour, cette première expérience, finalement la douleur avec le temps s’estompe.
- Je comprends, et maintenant tu vois les choses comment ? Tu as fermé la porte ou ...
- Elle est entrebâillée.
- Merci de ton honnêteté.
- Et toi, je suppose que ta question n’est pas anodine ?
- Je suis célibataire, certains te diront que les filles se bousculent à ma porte. C’est ça d’être barman, popularité avant tout, dit-il en éclatant de rire.
- Oui, tes beaux yeux n’ont rien à voir avec ça bien-sûr, ajouté-je avec un clin d’œil tout en jetant un oreiller dans sa direction.
Nous poursuivons notre conversation jusqu’à tard dans la nuit. La fatigue remporte le dernier round, Maël ronfle à mes côtés depuis un bon moment.
Au petit matin, une notification sur le téléphone me réveille, je la consulte et découvre le message :
« Samy, peux-tu me rejoindre au marché vers dix heures et demie, je t’envoie l’adresse. Camille »
Le soleil s'est levé depuis un bon moment et l’espace occupé par Maël : vide. Je regarde l’heure sur l’écran et réalise avec soulagement que j'ai encore un peu de temps avant le rendez-vous. Je me faufile derrière le paravent pour profiter de la douche, l’eau finit de me réveiller. Après avoir enfilé un jean et une chemise légère, je descends et découvre Maël assis sur le tabouret de cuisine en grande conversation avec son père et un monsieur plus âgé.
- Samy, te voilà réveillé, dit Maël avec un grand sourire. Tu as bien dormi ?
- Comme un bébé, tellement que je ne t’ai pas entendu te lever, ajouté-je d’un air coquin.
- Tu ne savais plus où se trouvait ta chambre ? enchaîne le vieux monsieur. Mon petit-fils a-t-il abusé de la Guignette ?
- Non même pas, nous discutions et Morphée nous a kidnappés, m’empressé-je de glisser avec malice avant que le sujet ne dérape.
- Ah, il fait bon être jeune, finit par conclure le grand-père.
Après un petit déjeuner copieux, je quitte trois générations, heureuses de partager du temps ensemble. Tout de même, avant de disparaître, la curiosité l’emporte alors que j'observe le portrait d’un couple et la pancarte accrochés à l’entrée, je demande :
- Pourquoi la maison Joséphine ?
- C’est en souvenir d’une histoire d’amour éternelle, dit l’homme assis confortablement dans son fauteuil.
- Ah, un hommage en somme. Sentant avoir peut-être fait remonter des souvenirs douloureux, je rajoute aussitôt :
- Dites, ça vous dit de venir au marché avec moi. Je dois rejoindre une amie et je me dis que vous devez connaître La Rochelle comme votre poche. Aussi, si vous êtes d’accord…
- Oui c’est une excellente idée, ajoute Maël et puis moi je dois aller bosser, je ferai un bout de route avec vous.
- À pied ou à vélo ? demandé-je.
- En voiture, propose le père, je vous dépose. De mon côté, j’ai quelques courses à faire.
- Parfait alors. Jeune homme, tu peux m’appeler Marius.
Notre équipe monte dans la voiture familiale, Père et grand-père sont installés à l’avant pendant que nous nous assoyons à l’arrière. Le voyage, bien que relativement court, est agrémenté de conversations. Chacun accepte le jeu lancé par Maël. On m'accorde le privilège de débuter. Les uns après les autres, nous disons un mot et répétons la phrase dans sa globalité pour ne pas en perdre le contenu. J'apprécie cette joute verbale, ce moment de partage fait remonter à la surface d’autres expéditions sur la route avec mes parents, mon frère et ma sœur. Arrivé à destination, Joseph se gare et verrouille les portes arrière. Maël éclate de rire et dit :
- Papa, franchement la sécurité enfant …
- Sans le sésame, je vous garde avec moi…
- Ok, tu veux jouer, pas de problème.
Il se tourne vers moi et me chuchote à l’oreille …
- Aide moi, je suis sûr que la phrase tu la connais parfaitement.
J'acquiesce d’un mouvement de tête et me lance :
- Amour cherche à la Rochelle, douce histoire à compter. Dans les ruelles pavées, papillon s’envole avec volupté, éphémère promesse viendra déposer sur la Tour de la Lanterne en un soir de juillet. Dans la nuit, Dragon l’enveloppera des ses ailes majestueuses pour le protéger et lui offrir un tendre baiser.
- Mais tu m’impressionnes, comment as-tu réussi à tout retenir ? demande Maël stupéfait.
- Aucune idée, l’image me plaisait et au fur et à mesure qu’elle s’esquissait, j’ai fait un croquis pendant le temps du déplacement.
- Allez les garçons, descendez, vous avez gagné. Papa, je reviendrai te chercher si tu veux.
- Je te tiendrai au courant, peut-être que je rentrerai à pied.
Avec Marius nous accompagnons Maël jusqu’à la Guignette avant de filer en direction de la place du marché où la charmante vieille dame nous attend dans sa jolie robe à fleurs, sur son chignon est posé un chapeau de paille.
- Bonjour Camille, je me suis permis d’inviter Marius.
- Tu as bien fait, dit-elle en même temps que ses joues prennent une jolie teinte rose.
Charmé par la scène qui se déroule sous mes yeux, je me tiens juste derrière. Je joue à cupidon ou au chaperon, l’idée me fait sourire. À peine se sont-ils salués qu’ils bavardent comme s’ils se connaissent depuis toujours. Un doute m'envahit alors, serait-ce le cas ? Et si oui, cela serait une sacrée coïncidence.
- Pourrais-je vous demander quelque chose ? osé-je avec tendresse.
- Bien-sûr, s’empresse de me répondre Camille.
- Vous vous connaissez ?
- Pas du tout, disent-ils en même temps.
La vie est faite de son lot de surprises. Une rencontre, un regard et une parole suffisent à mettre des papillons dans le ventre, songé-je en silence. La balade dans le marché est une douce parenthèse dans cette matinée et comme je pouvais m’y attendre, Camille propose à Marius de se joindre à nous pour le repas de midi. Tout s’enchaîne avec naturel, elle se met en cuisine. Avec Marius, nous sommes des commis sérieux et soucieux de faciliter la tâche à notre hôtesse. Les échanges se poursuivent, chacun partage un souvenir. Camille parle de sa famille et de combien elle se sent seule trop souvent. Marius raconte que de son côté il n’a qu’un fils, marque une pause, songeur avant de rajouter que son petit-fils le comble de bonheur. Sophie et Alexandre arrivent à leur tour pour prendre l’apéritif. Les regards que le couple s’adressent ne peuvent tromper qui que ce soit, des étincelles pétillent dans leurs pupilles. Marius se montre très attentif à Camille et apprécie sa compagnie. Après la vaisselle, elle s’excuse de devoir nous abandonner mais son petit-fils vient la chercher pour lui présenter la petite dernière. Marius la salue et l’invite à venir partager un repas dans la semaine.
Sophie et Alexandre me proposent de les accompagner pour une virée sur le port avant d’aller boire un coup à la Guignette. À cette idée, je me réjouis, encore une belle après-midi en perspective.
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