Acte IV. Scène 2
Environ un mois plus tard – Jeudi 8 avril 2021
MAUDE : Gabin, ça te dit de manger avec moi, ce soir ? Je voulais préparer des lasagnes végétariennes et le plat qu'on a est quand même plus adapté pour deux personnes que pour une seule.
GABIN : Pas besoin de trouver une excuse si tu as envie de manger avec moi ; ça me fera très plaisir à moi aussi.
MAUDE : Je ne cherche pas une excuse, je dis juste ce qui est. C'est comme ça que l'idée m'est venue, c'est la vérité. Si on avait eu ce plat mais aussi un plat plus petit, je t'aurais peut-être quand même proposé, mais peut-être pas. Enfin, ça m'aurait fait plaisir tout autant de manger avec toi, c'est certain, mais je n'en aurais peut-être pas eu l'idée. Du coup, si je t'avais proposé ça sans préciser la vraie cause, ça m'aurait semblé un peu comme te mentir.
GABIN : Ça doit être bien compliqué dans ta tête, s'il faut tout préciser au risque d'avoir sinon l'impression de mentir.
MAUDE : Peut-être pas tout préciser, non. Mais voilà, là ça m'a fait cette impression. Peut-être qu'on devrait se fixer un ou deux jours par semaine pour manger ensemble ? C'est vrai que ça pourrait être sympa. Et puis on pourrait alterner la préparation du diner, entre toi et moi.
GABIN : Super idée ! Même plus que deux fois par semaine, si ça te dit. En plus, préparer pour deux plutôt que pour un, ça fait économiser de l'électricité.
MAUDE : Et aussi de l'eau, parce qu'il y a moins de vaisselle. Mais pas besoin de trouver une excuse si tu as envie de manger avec moi plus souvent.
GABIN : Je ne cherche pas une excuse, je dis juste ce qui est. Mais j'aime beaucoup passer du temps avec toi et ça aussi, ça fait aussi partie de ce qui est.
MAUDE : Moi aussi, et je ne dis pas ça uniquement en te comparant à Lisa. Si je lui avais proposé de manger avec moi, ça aurait été perçu comme une intrusion ou comme si j'étais entré dans sa chambre pour passer l'aspirateur sans le lui demander.
GABIN : Franchement, si tu veux passer l'aspirateur dans ma chambre, il n'y a aucun problème.
MAUDE : Enfin, ce que je voulais dire, c'est que je me sens bien avec toi.
GABIN : Moi aussi, je me sens vraiment très bien avec toi.
MAUDE : Enfin bref, je vais commencer à préparer ses lasagnes avant de me mettre à rougir.
GABIN : Je peux t'aider, peut-être ?
MAUDE : A préparer les lasagnes, ou à me faire rougir ?
GABIN : Les deux, si tu veux. Je vais couper cette aubergine en dés, tout en te disant à quel point la vie avec toi est agréable. Tu parles d'aspirateur, et je pense sérieusement qu'on devrait se coordonner pour faire le ménage ensemble. C'est te dire à quel point tu rends la vie plus légère : même l'idée de ranger et nettoyer semble une activité plaisante si je m'imagine la faire avec toi.
MAUDE : Décidément, tu sais parler aux filles ! Par contre, tu t'apprêtes à découper une aubergine que tu as oublié de laver.
GABIN : Désolée, j'ai été déconcentré. J'avoue que faire la cuisine avec toi me semble une activité plaisante, mais jamais autant que plaisanter avec toi. On a ses priorités.
MAUDE : Oh, je dois donc prendre tout ce que tu viens de dire comme une plaisanterie ? C'est dommage parce que, moi, j'étais sincère.
GABIN : Mais qui donc ais-je entendu dire que quand on disait quelque chose en rigolant, ça n'excluait pas le fait qu'il y ait en même temps l'intention de faire passer un message sur quelque chose de vrai ?
MAUDE : Ça devait être moi, je crois. Mais je n'ai pas été vexée pour de vrai, c'est juste que moi aussi je plaisantais.
GABIN : Je sais. Je plaisantais sur ta plaisanterie sur ma plaisanterie.
MAUDE : Je nous vois bien capable de faire là dessus un truc quasi infini. Mais, en plaisantant mais sans plaisanter, je voulais te dire que je suis vraiment bien avec toi.
GABIN : Tu l'as déjà dit.
MAUDE : Je sais, mais je le pense vraiment. Je ne sais pas comment dire ça, mais j'ai juste l'impression que, la manière dont je me sens en ta présence, c'est quelque chose qu'on ne croise pas tous les quatre matins.
GABIN : C'est rigolo, j'ai l'impression d'avoir déjà entendu ça.
MAUDE : Comment ça ?
GABIN : Non, rien. Je voulais juste dire que je comprends. Moi aussi je pense qu'il y a là quelque chose de précieux.
MAUDE : J'ai dit que c'était rare, pas que c'était précieux.
GABIN : Est-ce que tout ce qui est rare n'est pas précieux ?
MAUDE : Je ne pense pas. Il y a plein de catastrophe qui, heureusement, sont rares, et qui ne sont pas précieuses pour autant. Entendre une histoire qui parle d'un asticot qui vit dans un abricot, c'est probablement rare aussi ou, en tout cas, ça ne m'est jamais arrivé à moi. Est-ce précieux pour autant ? Peut-être pas.
GABIN : Moi, j'ai l'impression que, si tu me racontais cette histoire de l'abricot qui vit dans un asticot, ce serait un truc précieux. Un souvenir que je chérirais comme la prunelle de mes yeux.
MAUDE : Tu as raison, l'abricot qui vit dans un asticot serait probablement bien plus intéressant que l'asticot qui vit dans un abricot. Mais, dans les deux cas, je ne connais pas l'histoire. J'ai juste balancé ça comme ça, mais je n'ai pas la moindre idée de l'histoire. En tout cas, je crois que, ce qui nous concerne, c'est précieux. Enfin précieux je ne sais pas si c'est le bon mot, mais ça me semble important en tout cas.
GABIN : C'est quoi, ce qui nous concerne ?
MAUDE : Oh, arrête. Coupe plutôt les tomates, au lieu d'essayer de me faire rougir.
GABIN : Et tu ne saisis même pas cette occasion sur le fait de faire une blague concernant le fait de te faire rougir comme une tomate ?
MAUDE : Cette blague ne serait pas à ma hauteur.
GABIN : Et moi ?
MAUDE : Quoi toi ?
GABIN : Est-ce que je serai à ta hauteur ?
MAUDE : Pour ce qui est de faire des blagues, je dois avouer que tu ne te défends quand même pas mal.
GABIN : Et pour le reste ?
MAUDE : Quel reste ? Est-ce que ce n'est pas tout ce qui est précieux et important ?
GABIN : Précieux peut-être mais, en tout cas, ce n'est pas rare. Enfin, je n'espère pas que ce le soit.
MAUDE : Non, ce n'est pas rare. Depuis que tu es entré dans cet appartement, j'ai l'impression de vivre dans un tourbillon de blagues et de légèreté. C'est vraiment un tourbillon par lequel il est plaisant de se laisser emporter.
GABIN : Je pense que tu contribues largement à créer ce tourbillon, et que tu ne fais pas que te laisser emporter.
MAUDE : Je suppose que les deux sont valables simultanément. Tu me fais me sentir toute légère.
GABIN : Ça, c'est parce que, pour l'instant, je n'ai pas commencé à te cuisiner des tartiflettes. Mais est-ce que c'est vraiment bien, de se sentir légère ? Est-ce que quelque chose de léger, ce n'est pas le contraire de quelque chose de précieux et important ?
MAUDE : Je ne crois pas. C'est cette légèreté qui est précieuse et importante. Ce sentiment que rien n'est grave ou ne prête à conséquence, quand je suis avec toi. Que tout ce qui est important ou sérieux peut être abordé, mais sans que ce ne soit pris comme une montagne infranchissable ou comme un truc insurmontable. C'est des choses comme ça. Là, par exemple, dire ce que je ressens par rapport à toi, ça pourrait sembler carrément effrayant et je pourrais m'en sentir complètement incapable, si tu ne me faisais pas sentir comme ça.
GABIN : Ah bon, parce que t'étais en train de me dire ce que tu ressens par rapport à moi ? Je n'avais pas compris.
MAUDE : Mais c'est que tu ne me facilites pas vraiment la tâche !
GABIN : Est-ce que tu ne viens pas de dire le contraire ?
MAUDE : Oui et non. Enfin, je voulais dire que tu en joues, parce que tu vois que je suis un peu gênée et tout. Mais, en en jouant, d'une certaine manière ça le facilite. Ça le fait sembler être un jeu, mais en même temps ça ne l'est pas du tout. Enfin, pour moi, ça ne l'est pas.
GABIN : Pour moi non plus.
MAUDE : Ça veut dire quoi ?
GABIN : Ça veut dire que je suis d'accord pour manger avec toi tous les jours de la semaine, pour cuisiner avec toi, et pour faire le ménage avec toi, si tu es partante pour ça.
MAUDE : Bah dis donc, je viens à peine de te déclarer mes sentiments, et direct tu me proposes de vivre avec toi. Est-ce que ce n'est pas un peu brûler les étapes pour démarrer une relation ?
GABIN : Ah bon, parce qu'on démarre une relation ?
MAUDE : Tu es vraiment insupportable ! Est-ce que je peux venir me blottir dans tes bras ?
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