Acte IV. Scène 3
Environ un mois plus tard – Dimanche 25 avril 2021
GABIN : J'ai un peu peur quand-même.
MAUDE : N'importe quoi ! Ce n'est que ma mère, et je suis certaine qu'elle va être très contente pour nous.
GABIN : Moi aussi, j'en suis sûr à cent pour cent. Mais ce n'est pas pour autant que ça ne me fait pas peur. C'est peut-être ta mère à toi, mais ce n'est pas toi qui la vois tous les jours.
MAUDE : C'est quoi, le pire qui pourrait se passer ?
GABIN : Je ne sais pas, mais peut-être qu'elle soit trop curieuse. Je n'ai pas envie qu'elle me pose des questions tous les jours, qu'elle soit toujours derrière moi à demander comment ça va entre nous ou quoi. Ce n'est pas à moi de répondre à ce genre de questions ; c'est quand même toi sa fille.
MAUDE : Dans tous les cas, tu dis que c'est déjà ce qu'elle fait.
GABIN : Oui, elle pose déjà trop de questions, et je sais bien qu'il faut qu'on le lui dise. Déjà là, tous les deux jours, elle me demande comment tu vas, comment se passe la colocation, comment on s'entend et tout ça. Je me sens gêné de lui répondre que ça va, sans lui en dire plus.
MAUDE : Ça te donne l'impression de lui mentir, parce que tu ne lui dis pas tout ?
GABIN : Non, ce n'est pas ça ; c'est juste que ça se voit qu'elle se doute de quelque chose. Ou en tout cas, elle aimerait bien qu'il y ait quelque chose entre nous, et ça se voit.
MAUDE : Raison de plus pour le lui dire.
GABIN : Oui, bien sûr qu'il faut le lui dire ; parce que, là, je suis gêné de ne pas le lui dire. En même temps c'est plus à toi qu'à moi de le lui annoncer. Mais je suis quand même un peu angoissé à l'idée de la réaction qu'elle va avoir, ou plutôt de la façon dont elle agira avec moi une fois qu'elle le saura.
MAUDE : Elle va être contente, c'est tout. Il n'y a strictement rien d'autre à en penser, et elle ne dira rien d'autre. Arrête de te prendre la tête pour rien.
GABIN : Si tu le dis.
L'interphone sonne.
MAUDE : Oui Maman, entre. Justement, on t'attendait.
FAUSTINE : Oh, mais Gabin est là ! Comme je suis contente de te voir ! Déjà que j'étais hyper joyeuse que ma fille m'invite à déjeuner mais, là, je suis vraiment aux anges.
MAUDE : Si là tu es déjà aux anges, je ne sais pas dans quel état tu vas être une fois qu'on t'aura annoncé ce qu'on voulait te dire.
FAUSTINE : Vous êtes amoureux ! Je le savais ! Ça se voyait comme le nez au milieu de la figure ! Gabin est tellement de bonne humeur en permanence, ces derniers temps. Et puis vous allez si bien ensemble ; c'était inévitable.
MAUDE : Tu vois, Gabin, ce n'était pas si dur que ça. On n'a même pas eu à le lui dire.
FAUSTINE : Donc c'est bien ça ? Je suis tellement heureuse pour vous les enfants ! Vous allez être tellement bien ensemble, tous les deux.
GABIN : J'ai vraiment l'air tellement de bonne humeur en permanence ?
FAUSTINE : Ah ça oui ! Mais c'est parfaitement normal, quand on vit avec Maude. J'ai connu ça, moi aussi, pendant pas mal d'années.
MAUDE : Assieds-toi, Maman. Je vous laisse tous les deux le temps de finir de préparer le dessert, et je reviens.
Maude part dans la cuisine.
FAUSTINE : Bah alors, Gabin, petit cachotier ? Depuis des semaines que j'essayais de savoir, et, toi, tu n'as rien voulu me dire. Ça fait combien de temps ?
GABIN : Ça va faire un mois, on va dire. Mais il ne faut pas être trop heureux pour nous, ou se créer des attentes disproportionnées. C'est tout récent ; c'est fragile.
FAUSTINE : Ah bon, c'est fragile ? Qu'est-ce qui te fait douter ?
GABIN : Rien du tout, juste que c'est récent. Tout est idyllique et il n'y a vraiment rien qui puisse me faire douter. Enfin, à part une chose.
FAUSTINE : Laisse-moi deviner, cette chose, c'est moi ?
GABIN : Exactement. Je suis hyper gêné maintenant. J'ai l'impression de ressentir quelque chose qui serait hyper entier et sincère mais, en même temps, il y a une petite voix dans ma tête qui n'arrête pas de se demander si c'est vraiment le cas.
FAUSTINE : Fais-la taire. Je n'ai rien commandé, Gabin. Ce n'est pas parce que j'ai prédit ce qui allait se passer que c'est moins sincère pour autant. Si je l'ai vu venir, c'est justement parce que c'était déjà là ; à l'état embryonnaire, ou à l'état de potentiel si tu veux. Mais je n'ai rien créé.
GABIN : Tu as quand même donné un petit coup de pouce, comme tu dis.
FAUSTINE : Oui, et alors ? Si vous vous étiez rencontrés à cause d'une grève de train, tu aurais l'impression d'avoir été manipulé par la SNCF ? Si tu l'avais séduite en lui offrant des chocolats, tu aurais l'impression qu'elle est à moitié amoureuse du chocolatier ? Il y a toujours un millier de petites choses qui font qu'une histoire devient possible, ou, au contraire, qu'elle ne voit pas le jour. Aucune unité dans ce millier de choses ne change rien à la sincérité des sentiments qui sont en jeu.
GABIN : Oui, peut-être. Mais là, c'est quand même particulier. Si c'était aussi normal que ce millier de petites choses, je pourrais le lui dire. Mais là, c'est quand même hyper bizarre.
FAUSTINE : C'est toi qui penses que tu ne pourrais pas lui dire. Moi, je suis certaine qu'elle en rigolerait, et que ce serait aussitôt oublié.
GABIN : Je t'en prie, ne lui dis surtout pas ! Ça risquerait de tout gâcher, et je ne veux pas prendre le risque. Peut-être que tu as raison et qu'elle le prendrait bien, mais je ne suis pas prêt à risquer de perdre ce qu'il y a entre nous.
FAUSTINE : D'accord, je ne lui dirai rien. Je suis heureuse de voir que tu as conscience du gâchis que ce serait, de perdre ce que vous avez. Après, je suis persuadée que, même si Maude savait, ça ne changerait rien. Je suis persuadée qu'elle aussi, elle saurait que ce que vous avez est tout précieux pour se permettre de le mettre à la poubelle pour des broutilles pareilles. Mais bon, dans tous les cas, ce serait à toi de lui dire ; pas à moi. Je ne veux pas me mêler de votre relation plus que je ne l'ai déjà fait, mais je veux juste que ce soit clair dans ta tête : il n'y a rien de honteux de ton côté. Ce n'est pas comme si je t'avais obligé à sortir avec ma fille.
GABIN : Je n'ai pas été forcé ni rien, mais quand même un peu incité on va dire. La seule chose qui me rassure, c'est de me dire que je l'aurais peut-être fait si ça n'avait pas été le cas. Peut-être pas la colocation, parce que je n'avais pas les moyens ; mais peut-être que j'aurais essayé de pousser un peu auprès de toi, pour avoir l'occasion de la revoir.
FAUSTINE : Tu vois ! Là, j'aurais quand même donné un coup de pouce, et tu n'aurais pas l'impression d'avoir été incité. La seule différence, c'est que là, c'est moi qui en ai parlé la première. Mais ça ne change strictement rien, parce que dans tous les cas, tu y pensais déjà.
GABIN : Je ne sais pas si c'est vrai, ça. Je ne me souviens pas avoir eu vraiment le temps d'y penser.
FAUSTINE : Tu as eu le temps de le ressentir, en tout cas. Tout ce qu'il s'est passé entre vous, c'est vous qui l'avez créé ; ne doute jamais de ça.
Maude sort de la cuisine.
MAUDE : Maman, est-ce que tu voudras bien me rendre un service ? Je ne sais pas s'il t'en a parlé, mais Gabin est un peu gêné, parce qu'il pense que c'est à moi plus qu'à lui de t'informer de l'état de notre relation. Je ne lui donne pas tort, après tout, tu es ma Maman. Le pire, ce serait s'il avait l'impression que ça ne va plus entre nous, alors que pour moi, tout va bien ; ce serait carrément bizarre que je l'apprenne par toi. Enfin, bref, si c'est possible, est-ce que tu voudrais bien éviter de lui poser des questions sur nous, au boulot ? Rester uniquement sa patronne quand vous êtes au travail, et, moi, je te dirai ce qu'il y a à dire si jamais. Enfin, si on se séparait, je te le dirais. Mais, sinon, de toute façon, je ne pense pas qu'il y ait grand chose à dire. On est ensemble, on est heureux. C'est un joli début je dirais, et après on verra. Le reste, c'est entre nous. Je voudrais bien, si possible, que tu ne profites pas de mon absence pour essayer de lui tirer les vers du nez ou quoi.
FAUSTINE : Pas de problème, ma petite anguille. Je suis très heureuse pour vous, et je n'ai rien besoin de savoir de plus. Mais, je ne crois pas que ce soit possible de vraiment tout séparer comme tu dis. Je ne suis pas là pour m'immiscer dans votre relation mais, par exemple, si tu es malade, ce serait étrange que Gabin me parle comme si de rien n'était, sans le mentionner. Et, pareil, si vous prévoyez un beau voyage ou si vous recevez une bonne nouvelle, je ne vois pas de problème à ce qu'il me le dise. J'ai quand même le droit de demander à mes employés comment ça va, et ils ont quand même le droit de me répondre sincèrement. Après, ma petite anguille, ce qu'il va falloir que tu te mettes dans la tête c'est que, maintenant, comment il va ne pourra plus jamais être complètement indépendant de toi.
MAUDE : Tout ce que je te demande, c'est de ne pas chercher à lui poser des questions sur le sujet. S'il y a des choses à te dire, l'un de nous te les dira. Gabin est parfaitement autorisé à te dire tout ce qu'il voudra. C'est juste toi ; j'aimerais bien que tu fasses attention et que tu évites certaines questions. Enfin, bien sûr, je ne peux pas t'y obliger.
FAUSTINE : Ne t'inquiète pas, ma petite anguille, je sais très bien où sont les limites de ta vie privée.
MAUDE : Ça, laisse-moi en douter. Je vois bien que tu es heureuse pour moi, mais je dis juste que, même si ça fait plaisir, ça peut aussi être un peu trop.
FAUSTINE : D'accord, je ferai attention. Mais je tiens quand même à dire de nouveau que je suis vraiment hyper contente pour vous. Vous ne pouvez pas savoir à quel point c'est rare et précieux, une alchimie comme la vôtre.
MAUDE : Si, on le sait. D'ailleurs, Gabin m'a dit plus ou moins la même chose.
GABIN : Je n'ai jamais parlé d'alchimie.
MAUDE : Non, c'est sûr, ce n'est pas ton genre. Et pourtant, depuis qu'on est ensemble, j'ai vraiment l'impression que chaque petite chose insignifiante peut être transformée en or.
FAUSTINE : Après, les enfants, si vous voulez que j'évite d'être trop heureuse pour vous, il faudrait peut-être aussi que vous fassiez attention à ne pas être aussi mignons devant moi.
MAUDE : Je ferai de mon mieux pour éviter les phrases kitch, tout aussi drôles qu'elles soient.
GABIN : Elle en sera strictement incapable.
FAUSTINE : Je le sais bien. Et je sais aussi que, même si elle en rigole, elle est parfaitement sincère.
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