Chapitre 22 : Scène finale.
“Ding dong”
Quand le tintement résonna dans la maison de bon matin, Faye faillit trébucher en enfilant sa deuxième chaussette, tout en se lançant dans une course pour ouvrir la porte avant la gouvernante. Elle avait encore les cheveux un peu mouillés et portait une tenue confortable. En la voyant filer dans le couloir, Elliot leva un sourcil et se prépara mentalement à rencontrer le fils de Katerina.
Dérapant pour bloquer le passage à leur dame de maison, elle la défia, tel un cowboy dans un film Western.
“Tin tin tin”
- Laissez-moi ouvrir.
Clair, net et précis, la petite femme rondouillette ne put qu’accéder à sa demande. La chassant d’un geste de main répété, Faye ouvrit la porte en grand à son complice, surexcitée. Relâché, dans des vêtements amples et son sac sur une épaule, Selim l’était tout autant. Lorsque leurs regards se croisèrent, la même pensée les traversa : “Calmons-nous”.
- Yo, fit le dernier Richess en lui envoyant un “peace”.
- Allez rentre, l’invita-t-elle, réjouie, mais aussi stressée. Tu peux déposer ta veste ici, lui expliqua-t-elle tandis qu’il prenait connaissance de la maison.
Depuis son bureau, Elliot tendit l’oreille, analysant le timbre de voix du jeune garçon. Il s’approcha de la porte pour écouter davantage, pendant qu’ils rentraient tout deux dans la pièce principale.
- Pouaaaah, quelle baraque ! s’exclama-t-il en claquant dans ses mains. Ah ouais, très très sympa, accentua-t-il en s’appuyant au dossier du plus grand fauteuil.
- Merciiii ! C’est comment chez toi ?
- C’est un ancien manoir, un peu rustique et… sombre… ?
- Mais nan ? Ahahah, je n’aurais pas imaginé ça !
- Attends, je te montre des photos si tu veux…
Ils jouaient un rôle, comme s’ils ne se connaissaient pas si bien que ça, mais Faye savait très bien à quoi pouvait ressembler sa maison.
Les entendant rire, Elliot replaça sa chemise dans son pantalon et souffla un grand coup avant de les rejoindre. Être stressé face à un gamin ne lui ressemblait pas, mais après tout, il ne s’agissait pas de n’importe lequel.
Tout petit à côté de Faye, détendu dans sa tenue relaxante, la peau bronzée comme son père et les cheveux noirs de ses deux parents, il déglutit quand Selim lui lança un grand sourire.
- Ah, bonjour Monsieur ! Selim Hodaïbi, enchanté, fit-il en lui tendant directement sa main d’une manière très décontractée. Vous avez une sacrée maison !
- Je te remercie, bienvenue, répondit-il, étonné de sa détente.
Encore plus minuscule à côté d’Elliot, Selim prit le temps de jeter quelques coups d’œils bien placés à son gabarit. Le voir en vrai n’était pas la même chose que dans les journaux ou à la télévision. Un grand homme, bien fait, avec un visage honnête et séduisant, il le trouva plutôt canon. Alors c’était ce genre de “Monsieur” qui avait embrassé sa mère. Quelque part, il comprenait pourquoi les femmes l’aimaient, admiratif de la taille et de la carrure qu’il n’avait pas.
Quand bien même il pouvait être impressionnant, Elliot avait un peu la trouille. Avoir le fils de son amour de jeunesse, dans lequel il devinait quelques-uns de ses traits, chez lui, le déstabilisait. Heureusement, le bon vivant du petit Hodaïbi, dans ses grosses baskets, l’avait un peu détendu.
- Alors… En quoi consiste votre travail ? s’intéressa-t-il.
- C’est un exposé pour le cours de citoyenneté, mentit Faye, car il ne s’agissait en fait que d’un travail écrit.
- Yep, en gros, on doit jouer les politiciens. D’ailleurs… tu as bien une pancarte ? Dis-moi pas que t’as oublié ? demanda-t-il en la voyant réfléchir.
- Tu as eu peur, hein ? le charria-t-elle.
Le duo jouait aussi la carte de la complicité pour que son père comprenne qu’ils s’entendaient tout de même. Il fallait garder le parfait équilibre pour que ce soit crédible.
- J’ai encore du boulot, donc je serais dans mon bureau si vous avez besoin de moi, expliqua Elliot, en passant outre, pensant qu’il demanderait des explications à sa fille plus tard. Où est-ce que vous allez vous installer ?
- Dans ma chambre ? fit-elle en trépignant sur place.
- Arrête…
- Roh je plaisante ! Mais la pancarte est en haut, tu viens ? Je vais te montrer la maison !
Semés par les deux ados, Elliot respira à nouveau. Au fond, il préférait les savoir en bons termes que plein de haine l’un envers l’autre. Retournant à ses occupations, il était loin de se douter qu’en entrant dans sa chambre, Faye se mit à sautiller en silence et que Selim se ventila, tombant à quatre pattes au sol. Ils étouffèrent les rires et cris d’animaux qui sortaient de leurs bouches de comploteurs.
- Je-suis-trop-excitée, articula Faye à voix basse en moulinant ses mains dans le vide.
- Oh my god, mais ton père… lâcha Selim en s’étendant dos contre sol.
- Quoi ? Tu as eu peur ? gloussa-t-elle en le rejoignant, accroupie.
- Non, quel beau gosse ! Là, je peux même pas en vouloir à ma mère, en fait… Comment tu peux résister à un homme comme ça ? À sa place, mais je l’aurais ga-lô-ché !
Morts de rire, ils se chamaillaient, se tapant et roulant dans tous les sens comme deux idiots. En folie, Selim fut le premier à reprendre son sérieux.
- Première étape, check. Maintenant, comment on fait pour la suite ? demanda-t-il, assis en indien.
- Il vaut mieux rester proche du bureau, donc je propose qu’on se mette dans la cuisine. Il y a un grand îlot pour poser nos affaires, tu verras.
- D’accord, mais sérieux, on va travailler pendant combien de temps ?
- Deux bonnes heures ? Puis, on fait une pause ? Au pire, je lui demanderai de l’aide pour le travail. Il faut qu’on fasse les choses bien, ajouta la rousse d’un air un peu soucieux. Tu penses que ça va le faire ?
- Mais oui, ça va le faire ! répondit-il en la secouant un peu.
***
Au bout d’une bonne vingtaine de minutes de déconcentration, installés dans la cuisine moderne au look industriel, les meilleurs amis s’étaient plongés dans l’écriture de leur devoir. Ils avaient séparé le travail en deux, demandant conseil à l’autre à chaque hésitation. Alors qu’ils n’avaient pas l’image d’étudiants assidus, ils fonctionnaient bien ensemble.
Après plus d’une heure et demie, le ventre de Selim commença à gargouiller, l’empêchant de se concentrer davantage sur la politique.
- Tu as faim ? demanda Faye en se dirigeant vers le grand frigo en inox. Si tu veux, il reste des boules de Berlin de ce matin.
- Hum ? Je connais pas ? répondit-il en jetant un œil à l’assiette qu’elle sortait.
- C’est trop bon ! s’exclama-t-elle en mettant la pâtisserie toute ronde sous son nez.
Depuis son bureau, Elliot entendit du mouvement dans la cuisine, le bruit des couverts retentissant. Il voulut se forcer à ne pas jouer au papa poule, mais il était bien trop curieux et agité depuis que Selim était arrivé.
Quelques secondes plus tard, il entrait dans la pièce et fit mine d’être choqué quand il les découvrit l’un à côté de l’autre en train de déguster les gros beignets.
- Vous comptiez tout manger sans moi ? les taquina-t-il, immédiatement.
- Tu veux un bout ? lui proposa Faye.
- Juste un petit, dit-il en sortant une assiette.
Appuyé contre le plan de travail, Elliot mangea sa part en silence. Selim observait sa façon de couper la pâtisserie et de porter la cuillère à sa bouche. Il avait trop de classe, ça l’énervait un peu de l’avouer.
Le grand roux remarqua le léger malaise :
- Vous avez bien avancé dans votre travail ? demanda-t-il pour briser la glace.
- Ah oui ! Il nous reste plus que la conclusion et nous pourrons commencer notre panneau de présentation.
- J’ai pris tous mes marqueurs, ajouta Selim.
- Montre un peu ce que tu as, j’ai des couleurs aussi…
Prenant l’initiative de déposer les assiettes sales dans le lave-vaisselle, Elliot écoutait d’une oreille leur conversation qui tournait à la dérive. Ils parlaient de tout et de rien. Quand il eut le dos tourné, en train de se préparer un café, Faye et Selim échangèrent un regard complice.
- Ça fait quand même du bien d’être en week-end avec tous les contrôles qu’on a eu récemment, lâcha la rousse.
- Ouais, perso, je suis bientôt content d’être ici plutôt que chez moi… C’est vraiment pas la joie en ce moment.
Elliot se figea, tasse en main. Ça n’allait pas chez lui ? Avec ses parents ? Avec Katerina ? Il ferma les yeux, puis se retourna, mine de rien, portant son café à ses lèvres. Faye commençait l’interrogatoire.
- Qu’est-ce qui ne va pas ? demanda-t-elle, affligée.
- Mon père est en voyage, et maman est seule à la maison avec le majordome… C’est pas la joie, même si Mélane est vraiment gentil.
- Je vois… Ton père te manque, alors ?
- Alors là pas du tout ! Ce connard a trompé ma mère…
Avalant de travers, Elliot s’étouffa avec le liquide chaud qu’il s’efforça de cracher dans l’évier plutôt que sur sa chemise. La langue brûlante et les yeux rouges, il n’arrivait pas à rattraper sa toux, une main déposée sur sa gorge.
- Papa ? Ça va ?! se leva Faye, voyant qu’il souffrait et lui tendant un verre d'eau.
Une fois le mal passé, il essuya le début de larmes dans ses yeux. Quel choc, tant pour lui que pour les deux ados en face de lui. Ils ne pensaient pas qu’il réagirait de cette manière.
- Mon Dieu… lâcha-t-il, soulagé de respirer à nouveau. Excusez-moi, je ne m’y attendais pas.... ajouta-t-il en les regardant l’un après l’autre. Hum, Selim… commença-t-il en appuyant son poing contre ses lèvres, gêné. Je crois que ce genre de choses… Tu ne devrais pas en parler, ici. Encore moins devant un Richess.
- … Vous pensez ? répondit-il en fronçant les sourcils.
- C’est que c’est très confidentiel ce que tu nous partages. Je ne suis pas une mauvaise langue, mais tu devrais réfléchir à deux fois avant de raconter de telles choses. Certains pourraient s’en servir contre votre famille.
- J’ai confiance en Faye, dit-il assez sèchement, à la grande surprise d’Elliot.
- C’est vrai, je ne le répéterai à personne !
- Je suis content de l’entendre, mais c’est un sujet délicat, insista-t-il en prenant une posture paternelle.
- C’est juste que… dit-il après un temps, je n’ai personne à qui en parler.
La bouille triste qu’il fit brisa le cœur d’Elliot. Voilà qu’il se retrouvait dans une position extrêmement délicate. Il ne voulait pas interférer dans la vie privée de Katerina, même s'il brûlait de curiosité. Selim jouait toujours un rôle, mais ses sentiments étaient réels. Cette situation lui pesait et il voulait réussir à obtenir des réponses de la part du père de Faye.
Ce dernier mordit à l’hameçon en s’installant à son tour autour de l’îlot.
- Tu n’as pas pu en parler à tes parents ? l’interrogea-t-il, se montrant ouvert à la discussion.
- Ma mère n’est pas au courant…
- Elle ne le sait pas… ? reprit-il, une pointe au cœur.
Entre les deux, Faye se fit toute petite les laissant vaguer à leur conversation.
- Nan, c’est moi qui l’ai surpris. Avant de partir en voyage, il faisait sa valise et j’ai regardé ses nouvelles pompes… Il avait caché des préservatifs dedans. Il doit lui dire en rentrant, alors que si ça se trouve…
Selim ne finit jamais sa phrase.
- En gros, j’ai promis de rien dire pour qu’il le fasse de lui-même.
- Je vois. Tu as un lourd fardeau sur tes épaules.
Surpris de cette réponse, le jeune Hodaïbi fut plus ému qu’il ne l’avait imaginé. Elliot hésitait à donner son avis. Il ne se jugeait pas dans ce droit. Par contre, il souhaitait le rassurer.
- Tromper est une chose, mais te demander de garder le secret… Je comprends mieux pourquoi tu avais envie d’en parler. En tant qu’homme, je peux te dire ce que j’en pense… Si tu le souhaites ? proposa-t-il avant de jeter un œil à la réaction de sa fille.
- Je veux bien, répondit-il du tac au tac.
- Comment dire les choses… ? commença-t-il, un peu nerveux, en passant une main dans ses cheveux roux. Avec ma femme, Alice, beaucoup de monde nous considérait comme un couple parfait.
- Papa, tu…
- Non, je ne l’ai pas trompée, la coupa-t-il, d’un ton catégorique. Mais dans tous les couples, il y a des hauts et des bas, des périodes de creux… Je crois que ce qui a fait notre force, c’est la volonté de toujours se plaire et de faire survivre notre famille. Je ne veux pas te faire de la peine, s’adressa-t-il à nouveau à Selim, et je ne lui cherche pas d’excuses, mais peut-être que s’il l’a trompée, c’est que quelque chose dans son couple ne le satisfait plus. Ça peut très bien venir de lui comme de ta mère également. Dans tous les cas, il vaut mieux en discuter, mais certains couples n’arrivent pas à communiquer. Ce que je veux dire, c’est que cette situation, qui te paraît peut-être insurmontable, pourra peut-être s’améliorer s’ils en parlent ensemble… Ils pourraient très bien surmonter cette épreuve.
- Mon père m’a dit qu’elle ne lui plaisait plus. Il ne mérite pas son pardon.
Après son discours pour le rassurer sur la longévité de couple de ses parents, sa réponse eut l’effet d’une claque. L'idée lui paraissait impossible.
- Vous vous rendez compte ? Ma mère qui ne lui plaît plus ? Comment on peut penser ça ? Elle est trop sexy !!
Son exclamation le fit tout de même un peu rire. Il retint un sourire, tandis que Faye rentrait à fond dans ses paroles.
- C’est vrai qu’elle est très belle, acquiesça-t-elle plusieurs fois.
- Plus que ça ! Ma mère, c'est un canon ! J’ai jamais vu une femme plus jolie qu’elle !
Elliot laissa échapper un éclat qu’il ravala de suite.
- Ah, vous êtes d’accord ?! Franchement, objectivement, elle est trop belle, non ? fit-il d'un ton qui l'obligeait à répondre.
- Euh je... Oui, en effet, on ne peut nier que c’est une très jolie femme, bégaya-t-il en découvrant les deux paires d'yeux curieuses qui le scrutaient. Simplement, malgré la beauté, le temps peut faire que…
- Il m’a dit ça aussi, que l’amour s’estompait. Du coup, il se permet de coucher avec tout ce qui bouge en voyage.
- Waw… Tu n’as pas ta langue de ta poche, lâcha Elliot en train de mi-rigoler, mi-stresser.
- Je ne supporte pas l’idée qu’il l’ait trompée. Ça fait longtemps qu’il aurait pu lui en parler, mais il a attendu que je le prenne limite sur le fait, alors oui, je suis fâché contre lui.
- Je comprends, reprit-il son sérieux, le regardant avec compassion. Je n’ai pas à interférer dans ton ressenti, mais sache que l’erreur est humaine.
- Ça veut dire que tu aurais pu pardonner à… maman si elle t’avait trompé ? le questionna Faye, très surprise.
- Dans le cas où elle l’aurait fait et qu’elle souhaiterait rester avec moi, peut-être. Tout dépend du contexte. En tout cas, il arrive que nous fassions des choses que nous regrettons amèrement.
Sans vraiment s’en rendre compte, Elliot baissa les yeux sur la table. Selim pensa qu’il s’agissait du bon moment. Il tapota ses doigts près de la main de Faye pour lui donner le signal. Celle-ci paniqua un peu, puis se força à suivre le plan :
- Si seulement ça pouvait se passer comme dans les films… lâcha-t-elle, en déposant son visage entre ses paumes, accoudée à l’îlot.
- Ah ça ! s’exclama Elliot qui reprit du poil de la bête.
- Ouais, mais attends, dans les films et les séries tout est toujours super beau, et même la tromperie. J’en ai vu un la dernière fois, je me rappelle plus du titre, fit-il semblant de réfléchir. En gros, les héros de l’histoire, l’homme et la femme, étaient amoureux dans leur jeunesse, tu vois ? Sauf qu’ils se sont séparés et mariés chacun de leur côté, puis ils se sont revus, mais rien ne s’est passé.
Se regardant dans le blanc des yeux, sans calculer Elliot, Faye devinait que Selim stressait. En effet, derrière ses airs de garçon à l’aise, son cœur palpitait à toute vitesse.
- À un moment, la femme du monsieur décède…
- Oh, lâcha Faye, faisant semblant de réagir au fait qu’elle avait récemment perdu sa mère, bien que ça la touchait réellement.
- Du coup, vient le moment de l’enterrement…
Tout doucement, Elliot commençait à se relever sur sa chaise, déglutissant.
- Après, par respect, l’héroïne vient souhaiter ses condoléances à son ex, et une fois tous les deux… Ils ne résistent pas et ils s’embrassent. Chaud quand même, non ?
Comme le silence après la foudre, un calme pesant régnait alors dans la cuisine. Elliot s’était relevé, dévisageant les deux petits Richess. La panique et l’incompréhension grandissaient en lui, comme la prise de conscience. Il avait maintenant le doute. Le doute qu’ils savaient tout.
Selim fut le premier à tenter un regard dans sa direction. Le visage d’Elliot le foudroya. Il semblait avoir peur, alors il lui fit comprendre d’une expression plus douce qu’effectivement, ils étaient au courant. Quand Faye l’accompagna, toute tristounette, les yeux brillants, il se laissa tomber sur sa chaise et passa une main sur son visage. D’un ton coupable et déstabilisé, il leur lança :
- Vous savez.
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