Chapitre 35 : Jeux de regards.

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Les cours de l’après-midi battaient leur plein à Saint-Clair et depuis sa place, Kimi rêvassait, le regard dans le vide, assise à côté de Laure, qui elle n’avait aucun problème à se concentrer sur les exercices de physique à réaliser.

Depuis Halloween et son lendemain mouvementé, quelques jours s’étaient écoulés, beaucoup plus calmes, mais pas pour autant moins difficiles à gérer. Il y avait une ambiance dans le groupe, inqualifiable, et qui persistait sur des non-dits. Les concernés se complaisaient dans les excuses de l’un et l’autre pour ne pas se retrouver ensemble.

Kimi dormait mal, préoccupée. Elle chassait la raison constamment de son esprit, mais ses yeux la trahissait. Ils scrutaient Sky sur le banc en oblique du sien qui, dans sa réflexion, jouait de son bic, l’écrasant et le tapotant à plusieurs reprises sur ses lèvres.

  • … ça va ? Kimi ? se réveilla-t-elle en entendant Laure l’appeler.
  • Ah ! Oui ! s’exclama-t-elle, son cœur tapant dans sa poitrine.
  • Tu y arrives ?
  • Hein ? s’interrogea-t-elle, l’esprit ailleurs.
  • Les exercices…
  • Ah, oui…

La conversation qu’elles auraient en temps normal poursuivie, à parler de tout et de rien, s’évanouit rapidement. Laure gratta le côté de ses ongles manucurés qu’elle détestait pourtant abîmer. Elle avait remarqué une distance de la part de Kimi, tout comme elle venait tout juste de constater sa manière d’observer Sky. Connaissant son amie par cœur, elle comprit qu’elle-même ne se serait pas doutée qu’elle lorgnait. Par contre, les raisons de ces comportements, elle les cherchait encore, mais elle en connaissait l’origine : la nouvelle du baiser. Le restant du groupe, à part Loyd, ne l’avait pas jugé pour cet acte. Elle s’étonnait donc que la fille qu’elle considérait comme sa meilleure amie s’éloigne.

Laure avait mal au cœur, mais pas seulement à cause de cette situation. N’ayant pas passé le week-end chez ses parents, elle n’avait pas encore eu d’explication avec son père et elle craignait le moment où elle devrait l’affronter. Qu’est-ce qui lui avait pris de mentir ? Qu’est-ce qui lui avait pris aussi de dire à Loyd de ne pas abandonner, et ça, devant tout le monde ? Elle avait parlé si égoïstement. Peut-être n’avait-il vraiment plus la force de l’aimer ? Cette pensée à nouveau l’agaça. Depuis, elle n’avait pas eu de conversation avec Loyd. Ce dernier prenait aussi le temps de réfléchir.

À le voir assis à côté de Sky, tout semblait aller pour le mieux, mais eux non plus n’avaient plus évoqué le sujet, partageant des échanges compliqués et gênés. Il n’y avait plus de colère, seulement la honte, dans tous les camps.

Tandis qu’elle était plongée dans ses pensées, Laure aperçu Sky en train de subtilement jeter un coup d’œil dans sa direction. Kimi se mit à griffonner nerveusement sur sa feuille. Décidément, il y avait quelque chose qu’elle ne savait pas et elle en fut convaincue lorsqu’elle vit Sky se figer d’avoir été surpris. Embêté, il se réinstalla correctement et fixa le tableau devant lui, repensant à “cette” nuit, puis il soupira. Loyd, curieux malgré son malaise, lui accorda quelques regards jusqu’à ce que les deux se rencontrent. Sky scruta ses yeux, avec une once d’espoir qu’il lui parle, puis les reposa sur son cahier.

  • Tu… commença Loyd.
  • Oui ? répondit rapidement Sky qui se languissait d’avoir une conversation avec lui.
  • Tu veux… qu’on discute après le cours ? demanda-t-il, un peu sur la réserve.
  • Ou… ouais, carrément, répondit-il, un peu nerveux et content qu’il fasse enfin le premier pas.

Depuis sa chaise, Laure eut du baume au cœur de les voir tous les deux escalader petit à petit le mur qui s’était construit entre eux, mais elle avait aussi peur.

Peur, de ce qui pourrait ressortir de leur conversation.

Elle ne savait comment gérer ce qu’elle ressentait à l’égard de Loyd, mais elle pouvait essayer d’arranger les choses avec Kimi.

  • Dis… l’interpella-t-elle, ça te dirait une soirée filles, ce soir ? proposa-t-elle à voix basse.
  • Filles ? Euh ouais…
  • Ça ne te tente pas ? fit-elle d’une bouille déçue lorsqu’elle la vit hésiter
  • Si ! Je… j’en ai envie, c’est juste que…
  • Tu m’évites, lâcha-t-elle sur le coup de l’inquiétude, blessée.

Kimi resta inerte un instant. Elle ne sut quoi dire à part la vérité.

  • C’est… vrai, déglutit-elle, désolée de son propre comportement. Tu as raison, hum… C’est une bonne idée de se retrouver entre copines, accepta-t-elle alors.

Pas pour autant rassurée, Laure esquissa un petit sourire, puis se replongea dans ses exercices.

***

Lorsque la cloche sonna pour la dernière pause de la journée, Sky et Loyd se levèrent tous les deux en même temps et partirent se poser dans un endroit tranquille. Il y avait des élèves partout dans l’école pour compliquer la tâche.

  • Viens, fit Loyd. Ici, c’est bien, déclara-t-il en montrant un bout de couloir où le calme régnait.

Un peu mal à l’aise, Sky s’assit à moitié sur un appui de fenêtre et croisa les bras tandis que Loyd s’appuyait contre le mur. Les garçons eurent du mal à commencer.

  • Hum, fit Sky. Comment dire… ? J’ai plusieurs choses dont j’aimerais te parler…
  • Moi aussi, mais j’écoute, vas-y, répondit l’autre, assez gentiment.
  • Loyd… Tu sais que tu comptes pour moi ? Non ?

Cette remarque, honnête et qui venait du cœur, lui fit de la peine.

  • Oui, je sais… dit-il en baissant les yeux.
  • Je n’ai jamais voulu te faire du mal, mais je l’ai fait, ajouta-t-il rapidement en le voyant réagir. Je t’ai dit que je ne regrettais pas de l’avoir embrassée, parce que… Ce soir-là, j’allais très mal et… C’est vrai, du fait que Laure me réconfortait, j’en ai profité, alors que je savais que tu l’aimes. Je regrette que ça ce soit passé de cette manière, sincèrement. Mais les faits sont là et je ne peux pas les effacer. J’aurais préféré que tu ne nous vois pas, car… après l’avoir fait… j’étais encore plus mal.
  • Pourquoi ? demanda-t-il en l’écoutant attentivement.
  • Je n’ai rien ressenti. Rien du tout. Je te le jure, fit-il en le regardant droit dans les yeux. Crois-moi.
  • … Ok, acquiesça-t-il en se pinçant les lèvres.
  • J’ai toujours été proche de Laure, donc je peux comprendre que tu aies des doutes. C’est parce qu’on se ressemble, et cette quête de l’amour… Pour ma part, j’ai du mal à y croire. Mais c’est pas le sujet. En gros, hum… Je m’excuse pour ce que j’ai fait et… je veux que tu saches que… Ça me tient à cœur de te le dire, même si tu pourrais mal l’interpréter, mais je ne compte pas m’éloigner de Laure pour toi. C’est ma meilleure amie et c’est tout ce qu’elle représente, même si… C’est déjà énorme. Je ne peux pas ne plus être ami avec elle, ni avec toi, dit-il un peu timidement. Comme tu me l’as dit l’année passé quand je faisais ma tête de cochon… Tu me manques.

Touché, Loyd inspira un grand coup, même si certains points lui faisaient du mal.

  • Je ne veux pas t’interdire d’être ami avec Laure, je n’ai pas le droit, commença-t-il à son tour. Même si… Ce que tu m’expliques, je… je le comprends, je ne peux pas m’empêcher de t’en vouloir, avoua-t-il.
  • Je… sais…
  • Et ce qui m’a fait beaucoup de mal, expliqua-t-il avec les yeux rouges, c’est le fait que tu ne m’en parles pas. Tu es venu me voir le lendemain dans ma chambre et je pensais que tu m’en parlerais.
  • Loyd…
  • Tu avais toutes les vacances pour m’en parler et tu ne l’as jamais fait. Pareil au début de l’année et Laure… même si elle ne savait rien de mes sentiments… Elle ne s’est jamais confiée à moi non plus, alors que je suis censé être un de ses meilleurs amis aussi. Après tant mieux, je crois que de sa part… Je l’aurais pas supporté, mais Sky, c’est ça, appuya-t-il, qui m’a fait le plus de mal. Mais ce qui m’a rendu encore plus fou, c’est que je n’arrivais pas à t’en parler et à t’en vouloir parce que, moi non plus, je ne veux pas te perdre.
  • J’avais peur…
  • Je sais, je le sais, Sky.
  • Tu as raison, j’aurais dû te le dire.
  • Sans doute que… moi aussi, mais j’avais aussi peur que toi… Et toute ma colère, je l’ai renvoyée sur Laure, parce que je savais que ça te toucherai, et parce que… je ne sais pas, dès que je la voyais, je repensais à vous deux et j’avais envie de lui faire du mal, mais aussi de la faire réagir, qu’elle voie que j’existe…
  • Faut que tu saches qu’elle t’a toujours regardé, ce n’est pas comme si elle t’avait mis de côté. Tu comptes pour elle.
  • Mais ce n’était pas pareil qu’avec toi…
  • Elle ne m’aime pas, je te l’assure. Pas comme ça, et d’ailleurs, si c’était le cas… Elle ne t’aurait jamais demandé de ne pas abandonner.

En voyant Loyd rougir jusqu’aux oreilles, Sky eut un léger sourire.

  • Arrête, je t’en veux toujours, dit-il en se couvrant le visage.
  • J’en doute pas, mais… Tu souris quand même, le pointa-t-il du doigt.

Il avait beau bouder, son regard montrait qu’il se sentait soulagé.

  • Écoute, faisons une promesse, lâcha Sky.
  • Une promesse ?
  • À partir de maintenant, plus de secrets, ou plutôt, dès qu’il y a un truc qui nous dérange, on se le dit, ok ? Parce que toi, comme moi, on aurait dû se dire les choses. Je sais que j’aurais dû t’en parler en premier, c’était mon erreur, mais la tienne aura aussi été de garder ça pour toi, alors que ça te faisait du mal. Je ne veux plus qu’on se torture.
  • C’est… frustrant de l’avouer, mais oui...
  • Alors, maintenant quand ça ne va pas, on se le dit, d’accord ? fit-il en lui tendant son petit doigt.

Faussement sur la réserve, Loyd lui lança un regard suspicieux, mais il croyait en ses mots. Il n’hésita pas réellement à sceller cette promesse. Une fois faite, tous les deux se sourirent, une petite étincelle renaissant dans leurs yeux de vieux amis.

  • On est un peu cons quand même, nan ? lâcha Sky sur le ton de la rigolade.
  • Un peu plus que ça, rit Loyd en s’asseyant à ses côtés. Tu sais, le pire, c’était de ne pas pouvoir me confier à toi… Alors que j’en mourais d’envie…
  • Parle-moi de tout, répondit-il en déposant sa tête contre son épaule. De tout ce qu’on a loupé, ton voyage en Égypte, tes envies de devenir président, tout ce que tu as fait à Laure et surtout… Qu’est-ce que tu comptes faire avec elle, maintenant ? demanda-t-il en se relevant légèrement pour le regarder.
  • Je l’aime… souffla-t-il en regardant dans le vague.
  • Ça à l’air sympa… d’être amoureux, dit-il sur la même intonation.
  • C’est plus que douloureux quand ça ne marche pas, mais… Quand tu vois qu’il y a de l’espoir, comment te dire que… Je ne saurais pas le décrire, expliqua-t-il avec des yeux rêveurs.
  • Hum… fit-il en s’appuyant à nouveau contre lui.
  • Tu trouveras, Sky.

“J’espère”, à cette réponse, Loyd savait au fond de lui qu’il avait déjà trouvé parce qu’il avait vu la manière dont il regardait Kimi et c’est ce qui secrètement le poussait à lui pardonner.

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