Chapitre 52 : L'art de foutre la merde - Partie II.

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  • Voilà, reprit le directeur, assis à son bureau, ses mains d’homme mûr jointes. Les faits sont que ce n’est pas la première fois que Lysen et Leroy ont des absences injustifiées. Les dates concordent pour les deux à chaque fois, et cette fois-ci, ils ont été pris sur le fait…
  • Que voulez-vous dire par là ? l’interrompit Blear.

L’air sévère sur son visage lui rappelait celui de sa propre mère, qui était venue le visiter à plusieurs reprises à l’époque où la première Richess était encore à Saint-Clair. Le côté plus doux, réellement inquiet pour sa fille, le rassurait. Elle avait bien plus de cœur que cette femme stricte et insensible.

Cette dernière jeta un œil à Lysen qui fixait le tableau derrière Monsieur Xavier. Les femmes de la famille se ressemblaient beaucoup. Elle se tenait droite, et supportait la situation de toute sa splendeur, bien qu’à l’intérieur, un tambour constant battait son plein. Moins froide que les deux premières, Lysen pouvait se montrer piquante, voir inatteignable, même face à sa mère. Elle ne lui fit pas le plaisir de croiser ses magnifiques prunelles brunes et rosées dans les siennes.

Le directeur observa les deux jeunes, puis les deux adultes, tour à tour.

  • Ils se promenaient aux alentours de l’internat et des images nous ont été rapportées…
  • Par qui ?? intervint enfin Leroy qui sortit immédiatement de ses gonds.
  • Est-ce réellement important ? répondit Monsieur Xavier après un temps à scruter son air ravagé. Ce n’est pas tolérable de manquer les cours. Sans compter que des notes ont été ajoutées dans vos journaux de classe… Elles ont été signées, mais visiblement pas par vous, dit-il, encore une fois en s’adressant à Blear, puis à Dossan.

Tout en passant une main dans son plumage noir, Dossan eut un arrêt sur pensée. Il se retourna ensuite vers son fils.

  • Tu as imité ma signature ? lui demanda-t-il d’un ton échauffé.

Leroy évita de répondre.

  • C’est une plaisanterie… Je n’aurais jamais pensé que…
  • Bon sang, soupira Blear en déplaçant sa main sur ses lèvres et en regardant ailleurs, les jambes croisées sur son siège.

Les parents se retrouvaient démunis face aux actes de leurs enfants. Ces choses-là arrivaient à l’adolescence, de manière plutôt inévitable pour certains individus, mais une fois les méfaits accomplis, la nouvelle frappait comme un coup de poignard.

Une question restait bien évidemment en suspens.

Ce fut le directeur qui osa la poser :

  • Maintenant, il serait intéressant… Que vous nous expliquiez ce que vous faites durant le temps que vous ne passez pas en classe ? les interrogea-t-il en remontant doucement un de ses deux sourcils grisonnants.

Comme prévu, la demande jeta un froid dans la pièce. Autant Blear que Dossan n’avaient pas réellement envie d’en apprendre davantage sur leurs escapades. La tension entre les deux adolescents, le fait qu’ils n’osaient pas se regarder, était déjà bien suffisant. Leroy se fit rouge comme une tomate, tremblant, tandis que Lysen essayait de garder la tête haute, toujours aussi féminine. Elle fit un geste pour débuter son discours :

  • C’est… vrai que nous avons séché les cours, mais il y avait une bonne raison, déclara-t-elle en relevant le menton fièrement.
  • J’aimerais l’entendre, répondit aussitôt le vieux monsieur.
  • Leroy à des difficultés à l’école et…

Ce dernier hocha directement de la tête, suivant le début de la mascarade avec grand plaisir. Il espérait trouver une échappatoire. Dossan ferma les yeux, absolument certain qu’il s’agissait d’une supercherie. Tandis que Lysen cherchait ses mots, le petit nez de Blear se fronça de plus en plus. Elle non plus n’y croyait pas.

  • C’est n’importe quoi ! s’écria-t-elle soudainement, faisant sursauter sa fille au passage. Est-ce que tu nous prends pour des jambons ?? C’est évident que… que vous ne vous êtes pas retrouvés pour étudier…
  • C’est la vérité ! lui cria-t-elle en retour, se décalant sur sa chaise pour lui faire face.
  • Pourquoi est-ce qu’il a l’air aussi peu certain, alors ?! s’énerva-t-elle ensuite en montrant Leroy du doigt.

En effet, ce dernier avait le feu aux joues et n’arrivait pas à regarder les adultes présents dans les yeux. Il rougit encore plus lorsque Dossan l’accabla d’un air qui lui fit comprendre qu’il ne croyait pas un mot de cette version des faits. Il se força à garder une posture fâchée, alors que la détresse chez Leroy lui provoquait des crises de panique à répétition. Il avait tellement envie de le prendre dans ses bras pour le rassurer, mais il ne devait pas flancher. Rien n’empêchait par contre qu’il lui parle avec calme :

  • Pourquoi ne pas simplement nous dire la vérité ? proposa-t-il doucement. Je ne crois pas non plus que vous ayez vraiment révisés vos cours ensemble, enfin… C’est possible, oui, car c’est un bon prétexte, mais… c’est quelque chose que vous pourriez très bien faire après les cours. D’autres choses sont… plus tentantes…
  • Dossan, lâcha Blear, interpellée et choquée par ses propos, au point d’en oublier les convenances.

Le fait qu’elle l’appelle par son prénom retint également l’attention des adolescents, ainsi que du directeur qui arrondit son regard un instant. Lysen ne passa pas à côté.

  • Vient-il de…
  • La question me taraude donc je vais la poser… Peut-être que vous vous êtes retrouvés pour faire des choses qui ne sont pas de votre âge ?
  • Papa !! s’exclama Leroy en le foudroyant d’un coup.

Il était tout rouge et Lysen baissa la tête, morte de honte. Blear restait bloquée sur une grimace pendant que Dossan faiblissait, pour la première fois appelé de cette manière par Leroy.

  • Non… Non ! C’est pas ça ! enchaîna-t-il.
  • Alors qu’est-ce que c’est ? Explique-toi, dit-il durement.
  • Je… Nous…
  • Donc c’est un “nous” ? le poussa-t-il un peu plus.
  • Non, c’est…
  • Vous sortez ensemble ? tenta-t-il ensuite.

Leroy ferma la bouche qu’il avait ouverte en grand pour se bouffer les lèvres. Il fixa ses genoux intensément. Les mots ne voulaient pas sortir. Lysen eut de la peine quand une larme dévala sa joue. Ils s’étaient mis d’accord tous les deux pour garder le secret et ils avaient failli en agissant bêtement. C’était devenu trop tentant de ne rester qu’à deux, de partager le même lit toute la journée, à se réchauffer l’un contre l’autre. Leroy et Lysen ne faisaient que se cajoler à longueur de temps. Ils vivaient en rose depuis des semaines, bouches croisées, jambes entremêlées, mains jointes. Tous les deux étaient extrêmement fusionnels et il devenait de plus en plus difficile de se cacher. Ils n’osaient pas un regard vers l’autre, parce que l’amour y était trop flagrant.

La jolie petite Richess craqua donc en première, étouffée par un sanglot, le cœur écrasé :

  • Oui, lâcha-t-elle dans un murmure, plaintive.
  • Quoi ? s’en alla Blear, qui ne voulait pas y croire. Vous… Tous les deux… Non…

Ce “non” obligea Leroy à refermer ses doigts dans ses poings. Ses ongles y creusèrent leur chemin.

“ Personne ne doit savoir que nous sommes ensemble, parce qu’une fois qu’ils sauront, tout le monde voudra nous séparer.”

Voilà, ce que Lysen lui avait dit un soir où beaucoup de sujets avaient été évoqués entre les amoureux, de lointains traumatismes à des querelles familiales.

Mais ça ne l’avait pas dérangé, bien qu’au fur et à mesure, leur relation avait été découverte par Ulys, Kimi, puis Sky. Égoïstement, il voulait vivre cette histoire d’amour en cachette.

Lysen fut également touché par le refus de Blear.

  • Si… Je… Je suis amoureuse de lui… avoua-t-elle en fixant un point dans le vide qui devint de plus en plus flou.

La voix de Leroy se brisa. Il passa sa paume sous son nez, ratatiné sur son siège. Il pleurait à chaudes larmes, cassé. Dossan se sentit horriblement mal. Il essaya de trouver Blear, mais elle faisait tout pour l’éviter. Cette révélation était bien trop douloureuse pour les deux anciens amants.

Entre tous, Monsieur Xavier leur laissa le temps de digérer la situation.

  • L’amour nous pousse souvent à commettre des bêtises, je le conçois, lança-t-il au milieu du jeu de quilles.
  • Je ne le conçois pas ! s’exclama Blear qui se leva de sa chaise, torturée. Sécher les cours pour… Non, Lysen ! Tu me déçois vraiment beaucoup.

Leroy ne supporta pas qu’elle soit disputé pour eux deux.

  • C’est moi qui lui ai demandé de louper les cours ! C’est moi qui…
  • Leroy, ça suffit. Vous avez tous les deux votre part de responsabilités, lui répondit Dossan.
  • Mais non, je…

Il se détestait.

S’il ne l’avait pas entraînée, Lysen n’aurait pas à subir les foudres de sa mère. C’était sa faute et il avait plus que de la peine. Leroy renifla un grand coup, malheureux.

Dossan ne supporta pas de le voir dans cet état, et il le comprenait… Tomber amoureux d’une Richess, de la plus puissante de toutes, malgré sa place actuelle dans la famille, il savait combien ça pouvait être destructeur.

Il leva les yeux sur le plafond du bureau, chagriné, et se mit debout pour déposer une main sur la tête de son cher fils.

Il n’en eut pas le temps.

Les deux portes massives du bureau qui s’ouvrirent en grand et qui volèrent contre le mur le firent sursauter et l’empêchèrent de le cajoler.

Les bras tendus de part et d’autres de son corps, Kimi, essoufflée d’avoir couru, les laissa doucement tomber le long de ses cuisses. En quelques secondes, elle avait analysé la situation, la tête horrifiée de Blear, la surprise de Lysen, la réaction totalement neutre du directeur, et la crainte sur les visages de Leroy et de Dossan.

Elle vint chasser sa main prête à le toucher d’un claquement de la sienne. Ce dernier frotta sa paume, affligé par le geste. Il ne comprenait pas pourquoi elle semblait aussi énervée.

  • Quoi qu’il ait pu faire, gronda-t-elle, son torse se levant frénétiquement, tu n’as rien à dire.
  • Veuillez donc être plus explicite, lâcha Monsieur Xavier, de manière nonchalante tandis que Dossan avait perdue sa langue.
  • Parce que tu nous as… caché…

Blear se redressa, alerte, tandis que Lysen était prête à ne pas en perdre une miette. Kimi se plaça devant Leroy, une main sur son avant-bras.

  • Tu nous… as menti.
  • … A… quel propos ? tenta-t-il, profondément blessé de son geste.

Il ne s’en remettait pas, voyant que la confiance installée depuis tant d’années tendait à s’envoler. Un pas de course, lourd et violent, résonna alors dans le couloir. Les narines remplies d’air, Sky apparut pratiquement de la même manière que sa camarade, entre les portes, tel un taureau. S’il avait des cornes, il les aurait déjà jetées contre les adultes devant lui.

  • De tout ? répondit-elle, à l’ouest de le voir arriver, le visage déformé par la rage.
  • Hey, lâcha-t-il entre deux respirations, puis en s’enfonçant dans le bureau, d’une posture menaçante. Ça va la vie ? Tranquille ?

Rien dans son allure n’annonçait rien de bon.

Du mépris qu’il montrait dans son sourire décalé, à ses lèvres retroussées, et au regard noir qu’il baladait sur sa mère, puis sur Dossan. Il laissa sa tête tomber en arrière, rigolant amer, avant de brandir son téléphone de tout le long de son bras. Il remit en place ses cheveux en bataille de son autre main, très hautain, alors que chacun se penchait sur la vidéo qui tournait sur l’écran.

  • Alors Dossan, soit tu t’es rangé comme chauffeur, soit vous nous prenez vraiment pour des cons ! s’écria-t-il, resserrant sa main autour de l’appareil. Hein, Kimi ? chercha-t-il du renfort. Tu le crois ça ?
  • C’est… s’étrangla-t-elle en saisissant le téléphone pour mieux voir. Pourquoi est-ce que vous…

Tout proche de Sky, elle chercha d’abord la réponse sur ses traits durcis. Ce dernier fit un mouvement de tête vers elle, comme pour se concerter.

  • On s’est fait pigeonner jusqu’au bout, voilà tout.
  • Mais… ne trouva-t-elle rien d’autre à dire, avant de baisser la tête.
  • Jeunes gens, je vais vous demander...
  • Pourquoi est-ce que vous êtes arrivés ensemble ? fut interrompu Monsieur Xavier par Lysen qui dévisageait sa mère.
  • Nous… Je l’ai trouvé sur le passage et… bégaya Blear qui savait qu’elle racontait n’importe quoi, déstabilisée.

La température dans la pièce grimpa très vite.

  • Bien sûr ! s’exclama Sky en venant la confronter, le doigt pointé vers elle. C’est vraiment nous prendre pour des cornichons.

Ils finiraient par faire un très bon sandwich. Elle se sentit intimidée, et pas seulement Blear. Le directeur n’en revint pas de la posture qu’il prenait, féroce, comme Lysen qui avait trop d’amour pour sa maman pour lui en vouloir. Elle voulait simplement élucider l’affaire.

  • Sky, l’interpella Dossan gentiment, ce qui lui hérissa les poils, je comprends que tu sois perturbé, mais ce n’est pas une manière de parler à ta…
  • MA mère, oui, appuya-t-il.

La manière dont il le prononça toucha Blear, quand bien même il paraissait la détester.

  • Oh, je comprends que ça puisse vous énerver que je lui parle comme ça, surtout quand on sait que vous étiez amis, n’est-ce pas ?!
  • Sky… essaya de l’arrêter Kimi, qui finalement ne dit rien, parce qu’elle ne trouvait rien pour pardonner ce mensonge.
  • Amis…
  • Je le sais ! Nous savons ! Que tu étais ami avec Chuck Ibiss ! Qu’il s’agissait même de ton meilleur ami ! Et que vous avez menti sur toute la ligne à propos de ces fucking loi de merde ! lui cria-t-il à la figure en envoyant sa main plusieurs fois dans le vide pour l’accabler de la vérité. Et nous savons que Katerina Hodaïbi et Elliot Fast sont sortis ensemble !! On le sait que Chuck et Marry ont baisé dans tous les coins de l’école !
  • Sky, ton langage ! s’énerva Blear.
  • La ferme ! Tu n’as rien à dire…
  • Hey, calme-toi, l’attrapa Dossan, d’un air sévère.
  • Nan !! se retourna-t-il pour chasser sa main.

Kimi eut un mouvement qu’elle refréna. Leroy eut le même.

  • Et je pensais que… que j’en voudrais le plus aux autres Richess, mais toi, “vous”, changea-t-il la formalité, en le méprisant, sa confiance brisée. Vous êtes le pire ! Vous m’avez regardé droit dans les yeux quand… Je vous ai expliqué pour…

Il n’arrivait même pas à formuler le fait qu’il s’était confié à lui à propos de sa famille. Blear avait joint ses mains sur sa bouche, plus qu’émue.

  • Mais en fait… Entre vous, avec tout ça, ce ne serait pas étonnant, qu'il n’y a pas eu … que de l’amitié, hein ?

Un silence naquit dans le bureau. Dossan évita de le regarder un instant. Les images avaient parlé d’elles-mêmes.

  • Hein ?! insista-t-il en approchant son visage du sien.
  • En effet…
  • Putain, émit-il, affolé.

Les larmes qui montèrent dans les yeux verts de Sky empêchèrent Dossan de se débattre quand il l’attrapa violemment par le col. D’une force monstre, il s’apprêtait à le pousser sur le bureau d’où le directeur se délogea. Une main vint s’écraser contre le torse de Sky, arrêté dans son geste.

Coincée entre les deux hommes, le bras de Kimi était tout tordu, exerçant une pression tout aussi étonnante. La blonde vint planter les doigts de son autre main dans son épaule, en même temps qu’elle l’intimida de ses pupilles devenues minuscules.

Leroy, tout autant prêt à lui sauter à la gorge, reçut un coup de coude dans son ventre de la part de sa sœur. Il l’aurait mis en charpie, autrement.

Elle préféra se dresser seule face à Sky, qui recula, trébuchant presque dans les pieds de Blear, acculé. Il la trouva effrayante.

Lysen s’était rangée auprès de son petit copain pour le soutenir. Bien que Leroy souffrît le martyre, il n'en voulait pas à Kimi de l'avoir arrêté. Il se déplia pour jeter une insulte dans le vent au mec qui avait osé touché à son père :

  • Enfoiré…
  • T’as dit quoi le nabot… ?! s'énerva Sky en s'avançant.

Une nouvelle fois, Kimi le repoussa en plaquant sa main contre son épaule pour le faire chanceler. Elle était devenue imposante.

  • N’essaye même plus… de poser un seul doigt… sur ma famille, grogna-t-elle entre ses dents.

Il le vécut comme une injustice, si bien qu’il n’arrivât même pas à aligner les mots qu’il rêvait de lui renvoyer. Quand il força sa grimace à disparaître, Kimi se calma quelque peu, pour ensuite avoir le cœur brisé. Encore une fois, il avait dépassé les bornes. Elle le regarda avec peine.

  • Tu as vraiment... commença-t-elle d’une voix hésitante et tremblante, le don de tout faire foirer ! pleura-t-elle ensuite en s’empressant de quitter le bureau, dans l’espoir qu’il ne la voit pas craquer.

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