Premières audiences

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Le lendemain matin, à neuf heures, alors que je prends tranquillement mon petit déjeuner, Madame Delaigue, qui semble bien décidée à ne pas me lâcher d'une semelle de mon réveil à mon coucher, m'informe :

- Aujourd'hui débuterons vos premières audiences.

- Combien sont-ils à vouloir m'entretenir ?

- Ils sont très nombreux, Votre Majesté.

- Bien, je les receverai lorsque j'aurai fini mon repas.

- Les audiences ne commencent qu'à dix heures. Vous n'avez pas à vous presser.

Je ne réponds rien et me contente de porter la tasse de thé à mes lèvres.

Une heure plus tard, je me rends avec Madame Delaigue jusqu'à mon boudoir où se déroulent les audiences privées. Elle introduit alors la première courtisane qui me fait la révérence en entrant dans la pièce :

- Bonjour, Votre Majesté.

- Bonjour, Madame.

- Permettez-moi de m'enquiérir sur votre santé . . .

Mes doigts se resserrent légèrement sur les accoudoirs de mon fauteuil. Je sais parfaitement que mon état de santé lui importe peu en réalité et qu'elle ne s'en enquiert que pour faire bonne impression et acquérir mes faveurs. Je réponds néanmoins sur le ton le plus naturel possible :

- Je vais très bien, merci de vous en inquiéter. Cependant, je n'ai pas beaucoup de temps à vous consacrer alors dites-moi vite ce que vous désirez.

- Oh, j'ai entendu dire que Votre Majesté n'avait encore qu'une dame honneur et sa fille pour toute compagnie. Cette annonce m'afflige et je vous propose donc la mienne. Je vous servirai autant que je le pourrai, avec tout mon dévouement.

Quelle hypocrisie ! Elle me fait croire qu'elle est chagrinée de me savoir avec si peu de compagnie alors que tout ce qui l'intéresse sont les avantages qu'elle pourrait tirer du titre qu'elle convoite. S'il n'y avait rien à gagner de ce dernier, elle n'aurait jamais pris la peine de venir me voir.

Je prends une grande inspiration et dis calmement :

- Si je comprends bien, vous voulez devenir ma dame de compagnie.

- C'est exact, Votre Majesté. Je serai ravie de tenir ce rôle ! Il ne peut y avoir plus grand honneur pour moi que de vous servir.

Exaspérée, je lui fais signe de se retirer, tout en déclarant :

- J'y réfléchirai . . .

Elle me fait encore une fois la révérence avant de quitter la pièce à reculons.

Les courtisans et courtisanes se succèdent ainsi pendant deux heures, arborant tous des faux sourires et des masques d'admiration et de bienveillance. Les discours sont prononcés différement selon les individus, mais au fond, ils sont tous les mêmes : "Rien ne me ferait plus plaisir que de vous servir, Votre Majesté . . . ", "Ce serait pour moi un grand honneur . . . ".

Il y en a même une qui ose me dire :

- Si Votre Majesté pouvait faire part au roi du désir de mon époux . . .

Pourquoi ne va-t-elle pas directement voir le roi si c'est de lui qu'elle veut obtenir une faveur ? Mieux encore : pourquoi n'est-ce pas son mari qui va directement s'entretenir avec ce dernier ? Je suis une reine, pas une vulgaire messagère ! On ne doit venir me parler que si c'est de moi qu'on veut quelque chose ! Ce genre de personnes me font perdre mon temps et je ne le supporte pas !

Je m'efforce cependant de garder mon calme afin de ne pas provoquer de scandale et réponds à cette femme :

- J'en parlerai à mon époux lorsque je le verrai.

- Je vous remercie, Votre Majesté, dit-elle en faisant la révérence.

Elle quitte ensuite la pièce, me laissant seule.

Ma dame d'honneur entre aussitôt pour m'annoncer :

- Les audiences sont terminées pour aujourd'hui.

- Enfin !

- Il est à présent l'heure de dîner avec Sa Majesté le roi.

Je pousse un soupir. Ne puis-je donc avoir aucune seconde de répit ?

Je me rends cependant dans la salle à manger, qui est vide si ce ne sont quelques domestiques qui finissent de dresser la table. Où est Kaï ?

Je m'installe sur une chaise en me disant simplement qu'il ne tardera pas à arriver. Je dois cependant attendre plusieurs longues minutes avant que ce dernier ne fasse enfin son entrée.

- Bonjour, m'adresse-t-il en souriant, comme à son habitude. Excusez mon retard.

- Où étiez-vous ?

- J'étais tout simplement dans la salle du Conseil, mais la réunion a duré un peu plus longtemps que prévu.

- Y a-t-il une raison particulière à cela ?

- Non, pas vraiment. Il nous a juste fallu un peu plus de temps pour régler certains détails, dit-il en s'asseyant à sa place.

Nous commençons le repas et il me demande :

- Avez-vous passé une bonne matinée ?

- Elle aurait été bonne si certains courtisans ne m'avaient pas contrariés avec leurs demandes.

- Que voulez-vous dire ?

- La dernière femme à m'avoir entretenue m'a demandé de vous demander de bien accepter la demande de son mari.

- Et donc ?

- Comment cela et donc ? Si c'est de vous qu'elle veut obtenir quelque chose, elle n'a qu'à aller vous voir en personne au lieu de me faire perdre mon temps !

- Oh, vous vous énervez pour un rien. Il est normal qu'elle est venue vous le demander. Il est plus difficile d'obtenir des audiences avec moi car j'ai moins de temps à y consacrer, malheureusement. Le Conseil royal me prend déjà à lui seul toute la matinée.

- Ce n'est pas mon problème ! Je refuse de recevoir des gens à votre place ! J'ai autre chose à faire de mes journées !

- Calmez-vous, ma chère . . .

- Je ne suis pas votre chère !

En hurlant cette dernière phrase, je laisse échapper du feu de mes mains et le couteau ainsi que la fourchette en argent que je tiens fondent sur le coup.

Je secoue mes mains pour en faire tomber le liquide avant de prendre une serviette pour l'essuyer correctement. Le roi de l'eau m'observe sans rien dire. Cela m'étonne car après une telle démonstration de colère, je m'attendais à ce qu'il me sermonne ou me reproche au moins mon comportement, mais il n'en fait rien. Soit il s'en fiche, soit il ne sait pas s'imposer et ces deux options me déçoivent tout autant l'une que l'autre. Enfin, à choisir je préfère la deuxième hypothèse qui me faciliterait grandement ma mission.

Je repose la serviette sur la table et, sans même finir mon assiette, demande au roi de l'eau :

- Puis-je vous quitter ? Je n'ai plus faim.

- Allez-y.

Je me lève et me dirige vers les deux grandes portes en argent. Au moment où ma main se pose sur la poignée, j'entends le roi de l'eau m'adresser ces mots :

- Faites attention à ce que vous faites, Madame. Pensez que chacune de vos actions a des conséquences. Ne faites pas quelque chose que vous pourriez regretter.

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