Réconciliation sous la pluie

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Le lendemain matin, alors que je lis tranquillement un livre sur le canapé de mon salon en caressant la douce tête de Otter qui est allongé à côté de moi, Madame Delaigue me dit :

- Les audiences vont commencer dans cinq minutes, Votre Majesté.

- Non, elles n'auront plus lieu, lui répondé-je sans même lever les yeux vers elle.

- Que voulez-vous dire ? me demande-t-elle, étonnée.

- Il n'y aura plus d'audiences jusqu'à nouvel odre. Je n'ai aucune envie de voir ces courtisans et ces courtisanes.

- Voyons, Votre Majesté . . . Vous ne pouvez pas annuler les audiences . . .

- Vraiment ? lui demandé-je en la regardant droit dans les yeux. Et qui est-ce qui m'en empêchera ?

- L'étiquette exige que . . .

- Je me fiche de l'étiquette ! Je ne suis pas d'humeur à recevoir ces gens !

- Est-ce que tout va bien, Votre Majesté ?

- Est-ce que j'ai l'air d'aller bien ? !

Elle ne répond rien, confuse. J'ajoute :

- Dites que je suis souffrante s'il est nécessaire de justifier mon refus de tenir les audiences.

- Bien, Votre Majesté.

- Mademoiselle Delaigue . . .

- Oui, Votre Majesté ? me répond la jeune femme.

- Jouez donc l'un de vos airs de musique.

- Tout de suite, Votre Majesté !

Elle se lève du fauteuil pour s'installer sur un tabouret, tout prêt de la harpe, et commence à en frotter délicatement les cordes pour produire un son mélodieux, que j'écoute en poursuivant ma lecture.

Deux heures plus tard, ma dame d'honneur m'informe :

- Il est l'heure de dîner avec Sa Majesté dans la salle à manger.

- Non, je ne m'y rendrai pas.

- Pourquoi donc ?

- Cela ne vous regarde pas. Sachez juste que je n'ai aucune envie de revoir votre roi pour le moment. Faites apporter mon repas ici.

- Et que dois-je dire à Sa Majesté ?

- Dites-lui tout simplement que je suis souffrante et que je ne peux quitter mes appartements.

- Je ne peux mentir à Sa Majesté . . .

- Ce n'est pas un mensonge, je me sens vraiment mal, même si ce n'est pas physique.

- Dans ce cas . . .

Elle me fait la révérence et quitte la pièce pour aller à la rencontre du roi de l'eau.

Je passe le reste de ma journée dans mes appartements, ne les quittant même pas pour aller promener Otter comme j'ai pris l'habitude de le faire.

Le lendemain matin, cependant, après mon petit déjeuner, je décide d'accorder une promenade à la loutre. Après tout, elle n'est pas responsable de cette dispute et n'a donc pas à en subir les conséquences. Je choisis de la sortir plus tôt que prévu afin d'être sûre de ne pas croiser le roi de l'eau durant notre promenade, étant donné que ce dernier siège au Conseil royal toute la matinée.

Je prends donc le petit animal dans mes bras et quitte mes appartements en compagnie des femmes Delaigue. Nous traversons le couloir, descendons l'escalier principal et sortons dans les jardins. Il fait de plus en plus en froid et, malgré mon manteau de fourrure, je suis parcourue d'un petit frisson. Je décide de l'ignorer et me dirige jusqu'au bord du lac avant de déposer mon animal sur l'herbe. La petite bête plonge aussitôt dans l'eau et commence à nager avec grâce et habileté. Je me contente de l'observer durant le reste de notre sortie.

La semaine se déroule ainsi. Je ne quitte mes appartements que pour promener Otter durant la matinée et ne rejoins plus le roi de l'eau à l'heure des repas. Otter, Madame Delaigue et sa fille ainsi que mes deux femmes de chambre constituent ma seule compagnie et bien que ma dame d'honneur et la jeune Ondine me questionnent souvent sur la raison de ma mauvaise humeur, je ne me confie jamais à elles. Elles sont bien gentilles de s'inquiéter pour moi, mais je ne leur fais pas plus confiance que cela et que pourraient-elles y faire de toute façon ?

Cependant, une semaine après ma dispute avec le roi de l'eau, Madame Delaigue m'adresse ces mots :

- Votre Majesté, je dois vous parler d'une chose très grave.

- Qu'est-ce que c'est ?

- Les commentaires vont bon train à la Cour. Les courtisans et les courtisanes sont très mécontents parce que leur reine refuse de les recevoir et de les écouter. Ils le prennent très mal et ne croient plus du tout que vous soyez souffrante. Certains vous ont vue promener votre loutre et ils pensent que vous vous moquez ouvertement d'eux. Si vous continuez à vous entêter, votre réputation en sera compromise. Je vous en prie, Votre Altesse, reprenez les audiences avant que les choses ne deviennent incontrôlables !

Oh, il fallait que cela arrive ! Je savais bien que je ne pouvais pas me cacher indéfiniment, mais j'aurai voulu avoir un peu plus de temps . . .

Je soupire. Réflechissons, j'ai deux options : soit je continue à me terrer dans mes appartements, mais ma réputation en est souillée à tout jamais, soit je reprends les audiences pour sauver cette dernière, mais cela voudrait dire que je devrais à nouveau croiser le roi de l'eau . . .

Je ferme les yeux pour mieux réfléchir. Quand bien même nous nous croiserons au cours de la journée, rien ne m'oblige à lui adresser la parole. Je pourrais très bien l'ignorer. Au final, j'ai plus à perdre de la première option, donc je décide d'opter pour la seconde.

Je rouvre les yeux et annonce à ma dame d'honneur :

- Très bien, je reprends les audiences.

- Merci beaucoup, Votre Majesté ! s'exclame-t-elle, soulagée. Dans ce cas, nous ferions mieux de nous rendre dans votre boudoir. En partant maintenant, nous y arriverons juste à temps pour accueillir les premiers courtisans ou courtisanes.

Je suis Madame Delaigue, un peu à contre coeur. Les audiences se déroulent tout à fait normalement, mais à cause d'elles, je dois décaler ma promenade avec Otter pour l'après-midi.

Il est donc quatorze heures lorsque je quitte mes appartements pour me rendre dans les jardins, Otter sous mon bras et un parapluie dans l'autre main. Évidemment, il fallait qu'il pleuve à ce moment là ! Je soupire, déjà un peu agacée, mais poursuis ma route jusqu'au bord du lac. J'y dépose Otter, qui ne semble pas dérangée par le mauvais temps car elle plonge dans l'eau, comme à son habitude. En même temps, c'est compréhensible quand on sait que les loutres ont un pelage imperméable. Sur ce coup, je les envie un peu.

J'observe mon petit animal nager avec souplesse sous la pluie depuis quelques minutes déjà, lorsqu'une bourrasque m'arrache mon parapluie ! Ce dernier tombe dans le lac où il commence à flotter. Comme il n'est pas très éloigné de moi, je me penche en avant, dans l'espoir de le récupérer. Oh, je n'arrive pas à l'atteindre ! Pourtant, j'y suis presque ! Je dois juste tendre un peu plus mon bras . . .

Hélas, je me penche un peu trop en avant et finis par perdre l'équilibre. Je me sens tomber en avant lorsqu'on attrape soudainement mon bras et me tire en arrière. Je me retrouve alors sous le parapluie du roi de l'eau Kaï. C'est lui qui m'a tirée contre lui pour me sauver de la chute. Je l'observe pendant quelques secondes sans rien dire, surprise par sa soudaine intervention. Je ne l'ai pas revu depuis notre dernière dispute. Ce dernier me demande :

- Est-ce que ça va ?

- Oui.

Il me sourit, puis déclare :

- Je suis vraiment désolé pour la dernière fois . . . Je me suis mal exprimé. Excusez-moi de vous avoir offensé.

Je fronce les sourcils et le repousse pour m'écarter de lui, avant de croiser les bras en détournant le visage. Il poursuit :

- Je comprends votre attitude. Vous avez parfaitement le droit d'être en colère contre moi. Cependant, je veux que vous sachiez que ce n'est qu'un mal-entendu.

Il pousse un soupir avant de continuer :

- Je ne vous vois pas que comme un moyen de procréer, sinon vous porteriez déjà notre enfant, vous ne croyez pas ?

Je rougis en saisissant son sous-entendu et me tourne vers lui pour lui crier :

- N'avez-vous pas honte de sous-entendre des choses pareilles ? !

- Cessez donc de m'interrompre s'il vous plait, sinon je ne parviendrai jamais à m'expliquer !

Il prend une grande inspiration pour retrouver son calme et dit :

- Je vous ai épousée parce que j'espérai du plus profond de mon coeur que vous me comprendriez et que vous vous voudriez m'aider à apporter au monde cet Isorropia. Si jamais vous refusez, j'en serai vraiment triste, vous briseriez un rêve et le seul espoir de salut pour notre monde, mais je vous comprendrai.

- Et si jamais j'accepte ?

- Vous réaliseriez un rêve et feriez de moi l'homme le plus heureux de la planète ! me répond-il avec un grand sourire.

Je réfléchis pendant quelques instants, puis lui dis :

- Je ne sais pas encore . . . J'ai besoin de temps.

- Bien sûr, je comprends. Prenez tout le temps qu'il vous faudra. En attendant, vous feriez mieux de vous réfugier sous votre parapluie . . .

Sur ces mots, il tend son bras gauche vers le lac et se sert de sa maitrise de l'eau pour me rendre l'objet. Je le récupère et nous restons ainsi face à face, en silence, sous la pluie, à observer Otter nager.

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