Premières neiges

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Depuis ce fameux jour de pluie, je retourne prendre mes repas dans la salle à manger avec le roi de l'eau car, malgré la colère que j'ai éprouvé contre lui, il venait tout de même de me sauver d'une noyade assurée. Le fait d'accepter de le revoir et de faire de mon mieux pour me montrer calme et respectueuse envers lui est une marque de gratitude de ma part.

Il a même pris l'habitude de me rejoindre au bord du lac lorsque j'y promène Otter, mais nous passons le plus clair de notre temps à observer la loutre nager en silence. Ce n'est pas qu'il n'essaie pas d'engager la conversation, mais je m'arrange toujours pour qu'elle ne dure pas longtemps. Je ne sais pas exactement pourquoi, mais j'impose toujours une barrière entre nous.

Cependant, je dois avouer que, plus le temps passe, plus je me rends compte que mon époux n'a rien de l'image froide et cruelle que je me faisais de nos ennemis avant de les rencontrer. Il est d'un naturel calme et souriant et se montre souvent de bonne humeur. Il m'arrive de me demander si c'est là sa vraie nature ou un simple masque trompeur. Ne serait-il pas comme le feu qui séduit au premier abord par sa lumière et sa chaleur, mais nous brûle dès qu'on baisse notre garde et y met le doigt ? Dans le doute, je décide de rester fidèle à ce que m'ont enseigné mes parents et ne surtout pas oublier la raison pour laquelle je suis ici : éliminer le roi de l'eau Kaï dès que le moment sera venu . . .

Les jours passent et, un beau matin, je suis réveillée comme d'habitude par l'une de mes femmes de chambre qui tire les rideaux de mon lit à baldaquins en m'appelant :

- Votre Majesté ! Il est l'heure de vous lever !

J'ouvre les yeux et me redresse dans mon lit avant de m'étirer longuement. Pendant que je le fais, mon regard tombe sur l'une des grandes fenêtres de ma chambre à coucher et je constate alors que de petites particules blanches tombent du ciel comme le font les gouttes de pluie. Intriguée, je me lève et colle mon visage à la vitre pour mieux voir. Je découvre alors que le paysage est teinté de blanc. Impressionnée par ce beau spectacle qu'il ne m'avait jamais été donné de voir, je souffle :

- Est-ce que c'est cela, la neige ?

- C'est tout à fait exact, me répond Madame Delaigue qui est toujours présente dès mon réveil.

- Est-ce aussi froid et doux qu'on le dit ?

- Vous aurez l'occasion de le découvrir par vous-même tout à l'heure, Votre Majesté.

- Si Sa Majesté me le permet, déclare l'une des domestiques, son bain est déjà prêt.

Je me rends dans la salle de bain pour me faire laver, puis dans ma garde-robe où mes femmes de chambre se chargent de m'habiller d'une robe bleue aux broderies d'argent et aux manches longues ornées de dentelles.

Elles tressent ensuite mes longs cheveux roux avant de les relever en un chignon, qu'elles fixent à l'aide de pincettes argentées. Des bas en laine blanche maintiennent mes jambes au chaud et mes pieds sont chaussés de bottines de la même couleur doublées de fourrure.

Le maquillage se compose encore une fois d'un rouge à lèvres rose, d'un léger blush et de mascara, mais le fard à paupières argenté pailleté est cette fois remplacé par un fard à paupières d'un bleu profond.

Il ne reste plus que les bijoux. Elles déposent sur ma tête un diadème argenté orné de saphirs. Un collier similaire vient entourer mon cou, tandis que des boucles d'oreilles aux perles blanches pendent à mes lobes. Les bagues qui viennent orner mes doigt sont surmontées des mêmes petites boules blanches.

Ce n'est qu'alors que je me rends dans mon salon pour y prendre mon petit déjeuner, en compagnie de ma dame d'honneur et de sa fille Ondine, qui se charge de me distraire en jouant de la harpe. Mon regard se pose sur le cadran de l'horloge : dans moins d'une heure, les audiences commenceront.

En parlant de ces dernières, cela me rappelle que je n'ai pas accepté beaucoup des demandes que m'ont fait mes sujets. La plupart des courtisanes cherchent à devenir mes dames ou demoiselles de compagnie, mais je n'ai aucune envie de supporter leur présence à mes côtés toute la journée. Il m'a déjà fallu un peu de temps pour apprivoiser Madame Delaigue et il n'y a que sa compagnie et celle de sa fille que je tolère.

Ensuite, pour ce qui est de celles ou ceux qui me demandent de faire part au roi de leur requête, je leur ordonne toujours d'en parler directement avec mon époux en prétextant que c'est là le meilleir moyen d'obtenir ses faveurs.

Quant à ceux qui me réclament des titres ou charges honorifiques, je leur réponds tout simplement que j'y réfléchirai, mais je n'ai bien sûr aucune intention de les leur accorder avant qu'ils ne m'aient prouvé qu'ils les méritaient.

Je sais, grâce aux rapports de Madame Delaigue et de sa fille Ondine, que cela cause chez ces nobles de nombreux mécontentements. Certains se plaignent dans mon dos du fait que j'ignore complètement leurs demandes, mais je m'en moque. Ils ne peuvent rien contre moi, j'ai la protection de leur roi et si jamais ils osaient s'en prendre à moi, la guerre entre nos deux pays reprendrait aussitôt de plus belle. Ils ne prendront pas ce risque.

C'est ma dame d'honneur qui me tire de mes pensées :

- Votre Majesté, les audiences vont bientôt commencer.

Je me lève et me rends avec elle dans mon boudoir. Les deux heures d'audience passent tout aussi lentement et sont tout autant ennuyeuses que d'habitude. Je commence sérieusement à être lassée par ces courtisans et ces courtisanes qui défilent devant moi pour me répéter inlassablement les mêmes discours, mais je prends sur moi et les écoute tous aussi attentivement que possible.

À midi pile, le dernier courtisan quitte la pièce et je me lève à mon tour pour rejoindre la salle à manger. J'arrive devant les portes de cette dernière en même temps que mon époux, qui me dit alors sur un ton amusé :

- Tiens donc, c'est bien la première fois que nous arrivons ici au même moment.

- En effet . . . me contenté-je de répondre.

Nous passons ensemble à table et, pendant le repas, il me demande :

- Est-ce que vous avez vu ce qui se passe dehors ?

- Vous voulez parler de la neige ? Oui, j'ai vu. Je compte d'ailleurs me promener dans les jardins tout à l'heure pour la voir de plus près.

- Pourrai-je vous accompagner ?

- Si vous voulez . . . dis-je en haussant les épaules.

Le reste du repas se déroule en silence. Une fois que j'ai fini de manger, je retourne dans mes appartements pour me préparer à sortir. Mes femmes de chambre me vêtissent d'un long manteau bleu doublé de fourrure blanche et recouvrent ma tête d'une toque de l'exacte même matière. Je glisse ensuite mes mains dans un manchon clair avant de prendre Otter dans mes bras pour le tenir au chaud durant la promenade. Madame Delaigue et sa fille, elles aussi vêtues d'épais et élégants manteaux, quittent mes appartements à ma suite. Nous traversons le couloir et descendons l'escalier principal, puis sortons dans les jardins. Le sol est recouvert de neige et ses flocons crauquent sous mes pas. C'est un bruit nouveau, particulier, mais agréable à entendre.

En arrivant au bord du lac, je constate que le roi de l'eau y est déjà, vêtu d'un long manteau bleu brodé d'argent et de longues bottes blanches. Il contemple le paysage, l'air pensif. Une fois arrivée à sa hauteur, je dépose Otter sur le sol. Ce dernier ne semble pas dérangé par la température glaciale car il plonge dans l'eau et s'éloigne aussitôt en nageant. Ce n'est qu'alors que le monarque nous remarque et nous adresse en souriant :

- Bonjour, Mesdames.

Je lui réponds par un simple signe de la tête, tandis que mes compagnes lui font la révérence. Le jeune homme aux yeux bleus m'informe ensuite :

- Otter ne pourra bientôt plus nager car dans quelques jours, le lac et le fleuve seront gelés. Ce n'est qu'alors que nous partirons pour le nord.

- Comment est-ce, là-bas ?

- Oh, vous verrez bien par vous-même en vous y rendant, mais en hiver, le paysage y est tout blanc. Il n'y a que des montagnes enneigées et des glaciers à perte de vue. Cependant, cela reste un très joli endroit.

- Est-il habité ?

- Oui, il y a là-bas quelques villages et des animaux sauvages comme des loups, des ours polaires, des phoques et j'en passe.

- Et pourquoi faut-il impérativement attendre que les lacs et le fleuve soient gelés pour s'y rendre ?

- Ah, c'est une surprise ! me dit-il avec un petit clin d'oeil.

Une surprise ? J'ai hâte de savoir ce que c'est ! Espérons juste que ce sera pour moi une bonne surprise . . .

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