J'ai pris part, ce week-end, à une commémoration. Sur les hauteurs d'une petite commune des Alpes, face au Mont-Blanc, 71 vies ont été fauchées, balayées par une coulée de boue, de neige et de rochers. C'était en avril 1970. 71 victimes, dont 56 enfants, emportés dans leur sommeil, dans leur nuit. Pas un cri. Dans l'effroyable fracas du glissement de terrain, pas un cri, pas un bruit. Quelques minutes après minuit, l'alerte est donnée, les sirènes de la commune retentissent. Les pompiers des casernes sautent dans les Dodge, armés de pelles et de pioches et rejoignent les lieux. Un silence assourdissant va les accueillir, un silence sans nom va les engloutir dans cette nuit sans étoile. Les cris, il n'y en pas eus. Les enfants, dans leurs pyjamas, ont été saisis par la mort, dans ce tumulte de glace, de neige et de roches.
Des cris ? Il y en a eus, dans les gorges des familles, des parents, qui ont appris la mort de leur enfant. Juste l'instant du choc, de l'insoutenable annonce, de l'effroyable attente, de l'identification des pyjamas ensanglantés.
Et puis les cris se sont mués en silence, en chappe de plomb. Rien, impossible de dire l'horreur. Rien, juste une sidération tellement violente qu'elle a bloqué les mots dans les gorges et les poitrines.
Du silence, les non-dits de l'indicible, l'oubli, la non-reconnaissance, on rase le terrain et on se terre dans l'oubli. Mais les images furent autant de mots dans les esprits de ceux qui avaient épuisé les larmes de leur corps.
Le temps a passé, le temps a fait taire presque tous les parents mais le temps n'a pas éteint la flamme de l'espérance. Et les voix se sont élevées, et les cris se sont fait entendre, réclamant justice et reconnaissance.
52 ans après, pas de cris, mais des mots, des paroles pour dire la souffrance, pour entamer le deuil, pour continuer à avancer, avec un peu plus de paix et de sérénité. Pour redonner une voix à ces enfants qui n'ont pas eu de cris, dans leur nuit.