La peur
On l’avait envoyé en bas. En bas, c’était la boue, le froid humide, la lumière grise tamisée par de sombres nuages épais du nord de la France. En bas, c’était la guerre.
Le souffle court, le cœur à mille, il attendait le signal. Cramponné à la courte échelle qui le séparait de la mort probable, son envie de vomir grandissait avec l’attente. Les mains crispées sur les montants de bois. Elles l’obsédaient, ces mains qui devaient ensuite servir à manier son fusil, ajuster son tir, jouer de sa baïonnette. Elles serviraient la mort pour lui sauver la vie. Elles se paralysaient par le froid et la pluie, devenaient glissantes à cause de la boue visqueuse qui les enduisait. Le doute augmentait. La peur avait trouvé la faille, elle grandissait dans ces mains qui devaient tout à coup serrer davantage pour éviter de trembler. Le combat était là, avant la vraie bataille. Ses mains retenaient leur tremblement à grand-peine, mais le frisson se répandrait dans ses avant-bras, ses bras, jusqu’aux épaules, son corps tout entier finirait par être ébranlé de secousses irrésistibles. Il fallait résister. Il se contracterait, lutterait jusqu’à paraitre une seule et même crampe. Tétanisé.
La peur dans les mains devait d’abord être gagnée par la force et le courage de sa volonté. Ses mains, il ne voulait plus y penser. Il savait que c’étaient ses idées noires qui le pousseraient à refuser d’y aller le moment venu. Il devait les chasser à tout prix. Il tentait vainement d’oublier ses mains, de balayer cette peur qui à tout moment pouvait se changer en panique fatale.
Au milieu des tergiversations de son esprit, sonna le sifflet du sergent de la demi-section. Sans plus réfléchir, peur ou pas, fatigue ou épuisement, faim et douleur, rien ne comptait plus : il fallait s’élancer d’un coup, bondir dans un unique réflexe, hors de la tranchée.
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