le bonheur parfait

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Elle était si belle. Dans sa robe éclatante de mariée, son visage rond, poupée de porcelaine, resplendissait de bonheur. Ses pommettes bombées aux reflets rouges, cette figure piquetée d’une multitude tâches de rousseur, sa chevelure rousse et épaisse, tout paraissait correspondre à la plus belle fiancée qu’Émile aurait pu imaginer.

Il la connaissait depuis l’école primaire, seulement de vue, car elle était dans l’école des filles séparée par un mur de celle des garçons. Il l’avait d’abord aperçue plusieurs fois à la sortie. Son rire plein de gaitée d’enfant avait attiré son attention. Puis, après avoir pensé à elle quelque temps, comme bien d’autres camarades le faisaient pour d’autres filles, il avait pris l’habitude d’essayer de la voir par-dessus le mur de séparation, aidé par la courte échelle de deux complices. Souvent, elle jouait à la marelle près de la cloche sous laquelle discutaient certaines maitresses pendant la récréation. C’était trop risqué de l’appeler. Ainsi passèrent les années, gardant cet amour d’enfant dans un recoin, bien au chaud comme un des seuls trésors d'enfance qui lui resterait á l'âge adulte.

Pourtant un jour, il la croisa de nouveau en traversant le parc, malgré les années de différence son cœur sursauta. Comme instinctivement, il la salua d’un petit geste de tête, rapide, à peine perceptible. Elle le dévisagea sans qu’il puisse savoir si ce regard était une réponse ou juste un hasard. Il ne sut même pas si elle l’avait reconnu. Il venait juste d'entrer à l’école normale d’instituteur. Les études étaient intenses et son temps libre lui était compté. Pourtant, instinctivement il passait le plus souvent qu’il pouvait par le parc dans l’espoir incertain de pouvoir l’y croiser de nouveau. Ce fut le cas. Maintenant préparé, il la salua en la regardant et soulevant légèrement le bord avant du canotier rond de paille jaune qu’il aimait porter dès qu’il faisait soleil. Elle répondit en inclinant discrètement la tête. C’était évident, elle l’avait reconnu! L’espoir fit grandir les sentiments quand après l’avoir croisée par hasard deux ou trois fois, il se rendit compte qu’il la trouvait plus souvent sur son chemin. Au point que le mercredi vers cinq heures devint un rendez-vous hebdomadaire. Parfois il faisait plusieurs fois le tour du parc en l’attendant, ou bien elle était déjà là quand il arrivait. Mais lorsqu’ils se croisaient, ils se saluaient puis sortaient du parc sans même avoir l’audace d’essayer de se retrouver une seconde fois. C’était frustrant, il ne savait vraiment pas comment s’autoriser à lui parler, car finalement , il ne la connaissait pas. Parfois il lui semblait qu’elle s’amusait de cette situation, mais si elle revenait systématiquement se promener, c’est qu’il devait y avoir quelque chose de sérieux.

Au bout de quelques mois, ce petit manège complice trouva enfin une issue. Il pensait, pourtant cette situation insoluble, tant sa timidité et son appréhension de l'aborder augmentaient avec les semaines. Que lui dire ? Comment ne pas être importun ou paraître grossier ? Comment ne pas se ridiculiser ? Comment ne pas tout gâcher par ce premier contact ? Quel prétexte trouver ? Plus il y pensait plus il lui semblait s’éloigner de la solution.

À force de parcourir le parc, il en vint à s’intéresser à un sport nouveau venu d’Angleterre, et déjà très en mode à Paris. Au fond du jardin, il y avait en effet quatre cours de tennis qui faisaient l’attraction des promeneurs. Il décida de s’inscrire pour jouer et prendre des cours. Dès la troisième fois, elle faisait partie des spectateurs. Elle était là, près des chaises où il se reposait entre les sets. Il vint s’y assoir et ce fut elle qui engagea la conversation comme naturellement. Il ne montra pas combien son cœur était serré à entendre ses premiers mots, d’une voie douce et rieuse elle lui posait des questions sur ce sport inconnu. Il dut en expliquer la provenance et les plaisirs de son jeu.

Depuis lors, il ne rêverait plus que d’elle. L’embrasser, lui faire l’amour, dans un imaginaire plus romantique qu’érotique, passer sa vie avec. Passion, désir, construction d’avenir, tout se mêlait, tout s’emmêlait, tout devait être parfait. La pureté de ses sentiments lui donnait toute confiance. Ce fut sur un banc de ce même parc, après de nombreux rendez-vous, qu’il lui déclarait son amour. Dans ces années de la « belle époque », de la France insouciante d’avant la Guerre, où le féminisme pointait timidement sa révolution à travers des comportements toujours plus choquants en ce temps-là, elle était de ces femmes qui revendiquaient leur liberté sous fond de fort caractère. Elle trouva cette déclaration attendrissante, mais aussi tellement « ancien régime ». Elle y répondit par un trait d’humour, pourtant si gentiment, mais qui blessa profondément le cœur d’Émile.

Il ne se découragea pas pour autant. On lui avait appris que la vie était une succession de difficulté à surmonter et que ce qu’on obtenait par l’effort prenait d’autant plus de valeur. Il comprit mieux qui elle était, et qu’il devait être plus moderne avec elle. Il l’invita à aller au bal. Sans chaperon ! Audacieux... Il avait pris quelques cours de danse et sans s'être pour autant transformé en excellent danseur, il ne se débrouillait pas trop mal. Il l’invitait donc sur son terrain.

Elle aussi savait danser et aimait beaucoup cela. Cette valse à trois temps fut une révélation. Leurs corps se frôlant firent apparaitre une telle complicité sur ce seul morceau, que leurs esprits fusionnerent aussi. Cette harmonie des corps qui transcendent les âmes, scella à jamais leurs sentiments réciproques. À la fin de cette première et unique danse, d’autant plus euphorique qu’elle avait bu deux petits verres de vin blanc, elle déclara comme un soleil qui brille « Émile, je vous aime ».

Ils eurent une première relation avant mariage, et quelques semaines plus tard, elle lui annonçait une grossesse qui décidait pour eux d’une union en urgence.

En ce jour de noces, tous deux resplendissaient, rien ne pouvait plus arrêter leur course vers un bonheur certain.

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