le début de la fin..
Après son mariage magnifique, bien que préparé dans l’urgence, il fallut se préoccuper de la future naissance. Ils commencèrent à acheter les vêtements, le petit lit, la poussette. Pendant ce temps, Émile préparait son diplome de fin d’étude qui lui permettrait de devenir enseignant. Il passa son examen en juin 1913, le bébé allait naitre en septembre en même temps qu’il debuterait sa carrière d’instituteur.
Son premier poste était dans une école semi-rurale proche de la ville. Ils purent garder leur maison car il pouvait se rendre à l'école en train. Il y en avait un le matin juste avant le début des cours et un autre plus tard le soir. Ce temps d’attente lui permettait de corriger les cahiers et de préparer la classe du lendemain. Ainsi, lorsqu’il rentrait, il n’avait plus qu’à être le meilleur mari du monde. Sa douce femme l’attendait sur la petite terrasse qui donnait sur le jardin de devant. Debout, le cœur battant, elle ne faisait pas un pas ni disait mot en attendant qu’il se précipite pour la prendre dans ses bras et l’embrasser. Cette cérémonie paraissait être faite pour se répéter à jamais, jusqu’à la fin de leur couple qui ne pouvait être que dans une éternité, le jour de leur mort. C’était un bonheur absolu, sans faille, sans écueil. Sa fille, Marie, était née début octobre, elle était magnifique et en pleine santé.
Noël 1913 fut une époque fantastique. Depuis quelques mois déjà il s’était mis à écrire des nouvelles. Légèrement politiques et surtout satiriques. Il avait pu publier les plus courtes dans le journal régional. Elles avaient eu du succès à en juger par les courriers de lecteurs remplis d’éloges et d’encouragements. Juste avant Noël un éditeur, parmi ceux qu’il avait contactés pour tenter de publier un recueil, lui répondit favorablement. Ainsi, il reçut un à-valoir qui pouvait paraître en soi insigniifiant, mais qui représentait l’équivalent de plus de deux mois de salaire d’enseignant débutant. Grâce à cette chance de dernière minute, ils purent s’offrir de très belles fêtes de fin d’année, invitant les deux familles à une grande réunion qui s’étala sur plusieurs jours.
De petits bonheurs familiaux en réussite professionnelle le couple se construisait une existence qui leur paraissait exemplaire. Comme tout l’annonçait durant la belle époque, comme pour eux, le monde était sur le chemin du progrès, donnant l’espoir de mener inéluctablement vers toujours plus d’améliorations dans la vie humaine. Pourtant, l’été 1914 changea le cours de l'histoire.
Fin juin, sa femme se sentit mal, des maux de tête et des épisodes de fièvre. Le 28 juin l’archiduc austro-hongrois, héritier du trône, François Ferdinand était assassiné en Serbie. Quelques jours plus tard, elle tomba carrément malade. La fièvre typhoïde. N’ayant pas classe en cette période de vacances scolaires, Émile restait à son chevet en permanence, la délaissant à peine pour s’occuper de sa fille. Le 31 juillet Jean Jaurès était assassiné à Paris. Il était sûr qu’en l’accompagnant de tout son amour elle guérirait. Elle fut emportée à la fin du mois de juillet. Le premier août, le gouvernement appelait à la mobilisation générale. Il enterra sa femme au petit cimetière derrière l’église de son quartier. Devant sa tombe, il pleurait à ne pas pouvoir s’arrêter. Perdu dans sa tristesse infinie, il ne comprenait déjà plus quel était le cours de sa vie. Tout sens venait de se perdre dans un tournant brutal de l’existence d’Émile. Pour la première fois, il était confronté au pire qu’il aurait pu imaginer. Le 3 aout, l’Allemagne déclarait la guerre à la France.
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