Syriana termina de nouer le bandage autour de son avant-bras, et vérifia à ce que la marque au fer soit parfaitement cachée dessous. Elle angoissa à l'idée que cet homme recherché puisse la reconnaître. La "créature" dont parlait ce monstre auquel elle avait échappé... c'était forcément lui.

Cet homme qu'on lui avait ordonné de poursuivre et d'achever, soi-disant pour la libérer de l'homme à l'oeil rouge.

La jeune femme manqua d'avoir la nausée en revivant leur première rencontre, leur premier face à face. Après l'avoir menacée et manqué de tuer à cause de l'affaiblissement que lui causaient ses graves blessures, l'homme avait succombé à un violent malaise dans son propre sang étrange.

Syriana ne regrettait pas sa décision de ne pas obéir. Elle s'en doutait, même si elle aurait eu le courage de le faire, elle n'aurait pas été libre. Sa vie aurait été pire encore.

Elle avait décidé de le sauver. Elle avait vu ce qui l'empêchait de guérir. Elle avait arraché cette monstruosité de cette blessure qui lui faisait faire encore des cauchemars.

Mais cela n'avait pas suffit à gagner la confiance de cet homme dont elle ne connaissait pas le nom. Depuis, il n'avait jamais cessé de la menacer et de se comporter de manière fort distante. Il se méfiait d'elle. Syriana soupira.

"À raison..."

Elle essuya une larme sur sa joue. Comment lui faire comprendre qu'elle ne lui voulait aucun mal ? Elle l'avait défié en dépit de toutes les horreurs qu'il lui avait fait subir pour lui faire peur, afin de la pousser à le quitter. Syriana avait décidé de ne pas céder. Si elle partait d'ici, elle mourrait, sa vie serait de nouveau menacée. Elle devrait trouver un moyen de gagner la confiance de son hôte.

Ses précédentes altercations lui en avait appris un peu plus sur lui. À la capitale, il aurait pu l'abandonner deux fois. La première fois, même s'ils s'étaient disputés et qu'elle s'était encore retrouvée avec une lame sous la gorge, il l'avait malgré-tout emmenée avec lui, sous prétexte de se servir d'elle, ou qu'elle pourrait se faire lire leurs souvenirs communs, les rendant ainsi vulnérables.

"Et il ne s'est pourtant pas débarrassé de moi..." songea-t-elle.

Elle l'avait défié. Elle avait osé lui dire franchement sa pensée, ce qu'elle avait déjà analysé sur lui. Ses déductions l'avaient perturbé, et il s'était éloigné.

La seconde fois aussi, dans cette taverne mal famée, il aurait pu l'abandonner. Syriana n'en revenait toujours pas de son attitude ce jour-là.

Il avait défendu son honneur, mutilé avec violence le responsable, s'était imposé devant tout ce beau monde, et enfin... après une courte hésitation, il lui avait tendu la main en silence. Il l'avait de lui-même invitée à le suivre. Sans s'imposer. Elle aurait pu rester et le quitter à jamais. Mais sa main tendue, hésitante, et la tension dans ses muscles lorsqu'elle lui avait donné la sienne...

Syriana décidé qu'il était temps de briser la glace. Au moins de tenter. La solitude de ces lieux allaient la rendre folle, autrement.

La jeune femme avisa la pièce dans laquelle elle s'était enfermée. Il n'y avait décidément pas grand chose...

Elle fouilla sans grande attente les tiroirs d'une coiffeuse et aperçut des lanières de cuir et des restes de tissu. Syriana sourit. Elle savait déjà quoi en faire. Le Mage avait certainement besoin d'un meilleur maintien pour son arme, que ces bandelettes de tissu qu'il avait assemblé de manière à improviser un étui.

Syriana se mit à la tâche, motivée à l'idée d'avoir bientôt des discussions normales avec son hôte.

§§§§§

Lorsqu'elle le retrouva, elle fut surprise par l'expression de son visage. Perdu dans un premier livre qu'ils avaient obtenu à la capitale, il semblait apaisé en dépit de sa concentration. Syriana sourit :

• J'ignorais que vous étiez capable d'exprimer autre chose que de la froideur.

Il referma le livre :

• Qu'est-ce que tu veux ?

Décidément, la plaisanterie n'était pas son for... Syriana prit sur elle comme à chaque fois. Cette éternelle méfiance s'entendait encore dans son ton. La jeune femme espéra que cette attitude vindicative finirait par changer.
Syriana pénétra dans la pièce et lui tendit l'étui qu'elle avait fabriqué :

• Un cadeau, pour vous. Je me suis dit que ça vous serait utile.

Son interlocuteur n'eut pas la réaction escomptée. Sa méfiance augmenta de plusieurs crans et il se fit menaçant :

• Un cadeau n'est jamais gratuit. Qu'est-ce que tu me veux ?

Syriana retint un soupir exaspéré. Cela faisait quelques jours qu'ils étaient obligés de se tolérer, et il refusait toujours de voir qu'elle ne comptait pas lu faire de mal ? Elle se fit patiente :

• Vous avez raison. Ce n'est pas tout à fait gratuit. Je ne demande rien d'autre qu'un peu de confiance.
• De la confiance ? persiffla-t-il. Comment puis-je avoir confiance à une inconnue telle que toi ?

Syriana ne trouva pas quoi répondre. Le Mage renforça son masque en se composant une expression mauvaise :

• Tu auras beau me dire le contraire, tu n'es pas ce que tu prétends être.

Syriana se retint de poser une main par-dessus son bandage. Cela lui confirmerait ses soupçons. La colère et la frustration l'envahirent.

La jeune femme se détourna et une fois dans l'embrasure de la porte, elle lui fit face une dernière fois et soutint son regard incandescent :

• Réfléchissez à ceci. La confiance, c'est réciproque. J'ai mes propres démons, comme vous. Vous ne cessez de me menacer, et vous osez m'exiger de tout vous dire ? Je suis dans le même état que vous : j'ai peur. Si votre confiance se gagne, la mienne aussi. En dépit de mes craintes, j'essaie de faire des pas vers vous. Parce que j'estime que c'est ça, se surpasser et avancer. Ce n'est pas parce que quelqu'un vient vers vous qu'il a forcément de mauvaises intentions à votre égard. Bonne soirée.