Prologue 2/2 - Il était une fois (suite)
Six ans après leurs noces, le père du prince, roi du pays des champs et des vergers, mourut dans un accident de chasse. Son deuxième fils âgé de 10 ans fut désigné pour s’asseoir sur le trône ancestral, avec sa mère pour régente… écartant ainsi son fils aîné, héritier légitime. Mais le peuple gronda, réclamant à cors et à cris de revoir ce prince si doux, si beau, dont les balades avaient chanté les louanges pendant tant d’années et que l’on savait heureux par-delà la mer, avec une princesse étrangère très belle, très puissante, dont la peau était sombre comme la nuit et le regard doux comme la braise.
Cette rébellion fut écrasée dans le sang, sans retenue ni pitié, et les cris de terreur du peuple opprimé traversèrent le détroit, rapportés par les lèvres des commerçants, des troupes de théâtre ou des pirates qui passaient d’une rive à l’autre… Alors le prince, n’écoutant que son devoir, prit la mer avec femme et enfants et mit le cap sur son pays natal.
Mais le destin n’était pas avec eux. Le vent était fort, les vagues étaient creuses, les voiles étaient fragiles : leur bateau sombra… Par la main de l’Homme (la régente… qui ne voulait pas perdre son pouvoir par le retour d’un héritier majeur?) ou par le hasard de la nature, nul ne le sut jamais. Les rumeurs furent nombreuses mais finirent par s’éteindre. On découvrit leurs tristes corps le lendemain, ballottés dans les eaux noires et déchaînées, pauvres vestiges d’une paix qui venait d’exploser comme des éclats de verre sous une botte inflexible. Ils furent laissés ainsi dans les flots, privés de sépulture par la haine et la bêtise des Hommes et par la rivalité absurde qui divisait leurs deux pays depuis trop longtemps. Seuls leur fils de 4 ans et une servante au nom inconnu ne furent jamais retrouvés, disparus à jamais de la mémoire collective.
Depuis lors, la dictature fleurit dans les champs et les vergers. La légende dit que les dieux de tous les peuples se sont ligués pour punir les Hommes et qu’un jour viendra où un messager unira toutes les nations : il sera prince de tous les sangs, il parlera toutes les langues, ses yeux brilleront comme de l’ambre et la paix jaillira dans son sillage…
Telle est la Légende des Lendemains que l’on se raconte en chuchotant, le soir, dans le noir, à l’ombre rassurante de son foyer, aux quatre coins de notre monde.
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« Lumi ?! »
C’était au moins la millième fois que je lisais cette histoire. C’était ma manière à moi de me rappeler mon enfance, de la ressentir à nouveau, d’entendre la voix douce de ma mère et de revivre des pensées gravées en moi comme des perles de souvenirs, à la fois fragiles et indélébiles. Maman avait tellement changé ces dernières années, comme un feu éteint ou une marionnette cassée. Je me souvenais pourtant de sa douceur, de son odeur, des contes qu’elle me lisait à n’en plus finir quand j’étais toute petite... Et souvent, il me suffisait d’ouvrir un livre pour la sentir battre en moi, comme si cette autre version d’elle-même vivait encore là, sous ma peau, dans mon cœur toujours enfantin.
« Luuuuuuumiiiiiii ?! »
Au cours de mes toutes premières années, ma mère, souvent, m’avait répété de ne jamais oublier l’histoire du petit prince perdu dans les eaux froides du détroit comme s’il avait été rayé de la carte et du temps. Comme si elle avait essayé de me faire passer un message étrange, profond, indéchiffrable. Un message qui se tut du jour au lendemain, dans le cristal glacé d’un petit matin d’hiver, quand une ombre triste et morne qui lui ressemblait pourtant, épousa mon père sous l'œil glacé d’un religieux habillé de noir.
« Lumi, tu es là ? »
Je sursautai et refermai mon livre tandis que mon père s’avançait vers moi, avec ses yeux verts comme nos rivières un jour de pluie et sa tunique claire comme une tendre prairie. Il me sourit dans le silence, posa le recueil de contes et légendes sur ma table de chevet et me prit la main pour me guider vers l’escalier. Une fois de plus, j’étais en retard pour le dîner.
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